Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 23 octobre 2013 : 1ère réunion
Rôle des douanes dans la lutte contre la fraude sur internet — Contrôle budgétaire - communication de mm. albéric de montgolfier et philippe dallier rapporteurs spéciaux

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur spécial :

Une petite précision : lorsque nous avons assisté à l'ouverture des colis au centre de tri postal par une dizaine de douaniers et d'agents de la Poste, presque 100 % des colis ouverts contenaient des contrefaçons : cela montre que les agents savent, par habitude et à l'aspect du paquet, ce qu'il contient. Cela dit, il faut préciser que 300 tonnes de fret postal transitent chaque jour à Roissy, pour plus de 35 millions d'envois postaux par an : à huit ou dix personnes, seule une petite minorité d'envois peuvent être ouverts... Il y a donc un ciblage par provenance : quand une enveloppe épaisse vient d'Inde, les chances sont très fortes pour qu'il s'agisse de médicaments de contrefaçon - qui seront certainement placebo, si ce n'est dangereux. Le difficile travail manuel d'ouverture est fait très sérieusement, mais avec toutes les réserves qu'implique le nombre considérable d'envois postaux.

Mais la douane n'a pas qu'une mission de lutte contre les trafics et la contrefaçon. Elle a aussi une mission fiscale, qui porte sur la TVA à l'importation en provenance de pays hors Union européenne, les droits de douane, et plusieurs autres taxes alignées sur la TVA.

Vous voyez ici un bordereau d'envoi en fret express qui accompagne un colis en provenance de Chine : l'expéditeur envoie 850 accessoires pour smartphone, déclarés à 260 euros au total, soit 10 ou 20 centimes d'euros/pièce. Ceci n'est évidemment pas leur valeur dans le commerce... Or c'est cette valeur, purement déclarative, qui sert à établir les droits et taxes à l'importation.

Bien sûr, les grandes entreprises telles que Darty, Amazon ou la Fnac - dont certaines sont d'ailleurs résidents fiscaux en France - ne prendront pas le risque de sous-évaluer la valeur des biens. Mais qu'en est-il pour la multitude des sites de vente, installés notamment à l'étranger ? Naturellement, ces sites dont le nombre est considérable ont un intérêt objectif à la sous-déclaration. En clair : ils ne risquent rien ou presque. La probabilité de contrôle est très faible, et la douane n'aurait de toute façon aucun intérêt à engager une procédure pour récupérer quelques euros. Pour opérer un redressement, il faudrait pouvoir établir la valeur de chaque bien, ce qui - on nous l'a dit très clairement - conduit la douane à abandonner les poursuites dans la plupart des cas. Il y a donc un intérêt des opérateurs à un morcellement des envois.

De plus, les « envois de valeur négligeable » (EVN) bénéficient d'une franchise de droits de douane si leur valeur déclarée est inférieure à 150 euros, et d'une franchise de TVA si elle est inférieure à 22 euros. En pratique, de très nombreux bordereaux mentionnent une valeur inférieure à ces seuils afin d'échapper au contrôle, et ceci quel que soit leur contenu ! Théoriquement, la franchise de TVA n'est pas applicable à la vente à distance - mais il est impossible de faire la distinction en pratique. Ces franchises sont donc une porte ouverte à la fraude massive. C'est pour cela que les redressements opérés à Roissy en matière de fret postal s'élèvent à zéro euro, et les redressements en matière de fret express à 750 000 euros seulement.

Il faut donc se demander si les moyens engagés sont justifiés au regard des faibles montants collectés. Par exemple, 104 agents étaient affectés au contrôle fret express et postal à Roissy en 2012. Ce nombre est bien insuffisant au regard de l'explosion du fret express (8 millions d'envois par an à Roissy) et du fret postal (35 millions d'envois par an à Roissy) qui accompagne la croissance du commerce électronique. Rapporté au montant de taxes redressées à Roissy, on parvient seulement à 7 200 euros redressés par agent et par an...

Les agents font donc tout leur possible en matière de lutte contre la contrefaçon et les stupéfiants, mais ils sont évidemment totalement démunis face à l'enjeu du redressement des droits et taxes.

Au-delà même de ces obstacles pratiques et juridiques, il nous est apparu - et c'est plus grave - que la récupération des droits à l'importation et de la TVA n'était pas une priorité pour la douane. Les services de la DGDDI nous ont clairement dit que leur priorité était de lutter contre les trafics, ce qu'ils font je pense très bien (avec toutes les limites déjà mentionnées). Pour la douane, les enjeux fiscaux ne sont pas prioritaires, du fait du morcellement sous forme d'envois de faible valeur. Mais la somme de ces envois correspond tout de même à des enjeux massifs ! Rappelons les chiffres : le commerce en ligne représente 45 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France et 312 milliards d'euros en Europe, le secteur bénéficiant par ailleurs d'une croissance à deux chiffres certaines années.

Un mot sur la cellule « Cyberdouane », que nous avons également visitée. Il s'agit d'un service spécialisé dans la lutte contre la cyberdélinquance, placé depuis 2009 au sein de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Les agents de Cyberdouane ont pour but de mener une veille sur Internet et de conduire des enquêtes sur un certain nombre de sites.

Là aussi, il nous est apparu que la priorité était de lutter contre les trafics de marchandises, de faux médicaments, de stupéfiants, de contrefaçons etc. qui sont contrôlés par des réseaux criminels. Les enquêtes menées par Cyberdouane produisent à cet égard de bons résultats : sur les 277 dossiers pris en charge depuis 2010, près de 40 % concernent les contrefaçons, suivi des trafics de médicaments, stupéfiants et anabolisants. Ces marchandises prohibées suivies par Cyberdouane sont souvent disponibles sur des sites Internet « cachés », comme nous avons pu le voir lors de notre visite. Mais la lutte contre la vente de marchandises légales qui échappent à l'impôt est totalement oubliée. Le recouvrement de la TVA et des autres taxes ne fait pas partie des priorités de Cyberdouane.

Un autre problème se pose pour faire payer les sites en question : la douane perd sa compétence dès lors qu'un site est hébergé à l'étranger - c'est-à-dire l'immense majorité des cas, y compris les sites en « .fr ».

Nous nous sommes donc demandé si l'enjeu du recouvrement de la TVA - mais aussi de l'impôt sur les sociétés (IS) ou de l'impôt sur le revenu (IR) - faisait partie des priorités de la DGFiP, par contraste avec la DGDDI. Cette question n'entre pas dans le champ de notre contrôle, mais compte tenu des enjeux considérables du commerce en ligne, elle mérite d'être posée.

Là encore, nous sommes dubitatifs. Il est ressorti d'un entretien avec le service du contrôle fiscal que seulement 599 « e-commerçants » européens s'étaient déclarés auprès de l'administration fiscale française, sur 550 000 sites recensés en Europe... Normalement, tout site de vente à distance établi dans l'Union européenne et réalisant plus de 100 000 euros de chiffre d'affaires annuel doit se déclarer auprès de la DGFiP ; mais en pratique, il n'existe aucun moyen de vérifier le respect de cette obligation. Pour savoir si un site dépasse ce seuil, la DGFiP doit s'adresser à l'administration fiscale du pays d'établissement de la société, par exemple la Belgique ou le Luxembourg, dont vous imaginez la bonne volonté...

Le directeur général des finances publiques, Bruno Bézard, avec qui je me suis entretenu avant-hier, est bien conscient des enjeux, mais a confirmé que l'administration manquait de moyens juridiques, que le droit était en retard par rapport à la pratique. J'estime donc que le sujet n'est donc pas la priorité de la DGFiP, qui préfère multiplier les contrôles fiscaux quotidiens sur les contribuables moins « complexes ».

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