Intervention de Éric Bocquet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 23 octobre 2013 : 1ère réunion
Aide personnalisée de retour à l'emploi apre — Contrôle budgétaire - communication de m. éric bocquet rapporteur spécial

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet, rapporteur spécial :

L'aide personnalisée de retour à l'emploi (APRE) est une aide réservée aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), financée par la mission « Solidarité, insertion, égalité des chances » via le fonds national des solidarités actives. Elle est conçue comme un « coup de pouce » adapté au besoin individuel du bénéficiaire, pour lever des obstacles, en termes de mobilité, d'habillement, de garde d'enfants, à la reprise d'activité des bénéficiaires du RSA.

J'ai souhaité réaliser ce contrôle budgétaire pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la ligne budgétaire de l'APRE a connu des évolutions importantes et peu documentées ces dernières années : elle est ainsi passée de 120 millions d'euros en 2010, 85 en 2011, 50 en 2012, puis 15 millions d'euros en 2013, et repasse à 35 millions dans le projet de loi de finances pour 2014.

De plus, il a toujours été difficile d'obtenir des informations précises sur l'utilisation des crédits : quel est le montant exactement consommé ? Quelle est la part des aides à la mobilité, des aides à la garde d'enfant, etc. ? Quel est, surtout, l'impact réel de ces aides sur le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA ?

Enfin, le Gouvernement réfléchit actuellement à une évolution du RSA « activité » et de l'APRE, qui souffre tous deux, en apparence, des mêmes maux, notamment la difficulté à trouver son public.

J'ai donc décidé de réaliser ce travail de contrôle budgétaire, en menant des auditions à Paris, et en faisant deux déplacements, l'un dans le Pas de Calais, l'autre dans les Hauts de Seine - deux départements aux caractéristiques très différentes.

Au terme de ce travail, je ferai trois principaux constats avant de passer à l'exposé de mes différentes propositions d'évolutions.

S'agissant des constats, l'APRE est une aide essentielle à l'esprit du RSA, très hétérogène, et mal pilotée.

Premier constat : l'APRE est un vrai atout pour la reprise d'emploi des bénéficiaires du RSA. Elle permet de financer des actions qu'aucune aide de droit commun ne prend en charge, qu'il s'agisse du financement des permis de conduire, de la réparation d'une voiture ou encore des vêtements ou de l'équipement matériel pour un nouvel emploi. En 2012, l'APRE a bénéficié à plus de 105 000 personnes, pour un montant moyen de 665 euros. L'APRE est même essentielle à l'esprit du RSA : une des personnes que j'ai entendues sur le terrain a ainsi souligné que « sans l'APRE, le RSA redevient le RMI ».

Cependant, l'APRE souffre d'une lacune dans sa définition même : seuls les bénéficiaires qui ont effectivement retrouvé un emploi peuvent la percevoir. Autrement dit, le « coup de pouce » est toujours a posteriori ; il favorise le maintien dans l'emploi plus qu'il n'impulse directement une reprise d'activité.

Deuxième constat : l'APRE est un dispositif déconcentré très hétérogène. Les préfets ont été libres de définir, en concertation avec les acteurs locaux, les modalités de gestion et de distribution de l'APRE, mais aussi les conditions d'emploi de l'aide. Ainsi, non seulement les responsables ne sont pas les mêmes - il y a plus de 140 gestionnaires à l'échelle nationale -, mais l'APRE est, selon les départements, parfois autorisée, parfois interdite pour la même action, ce qui est notamment le cas des permis de conduire, des frais de formation, ou encore des frais en vue d'un entretien d'embauche.

Troisième constat : l'APRE n'a pas été suffisamment pilotée à l'échelle nationale. C'est le cas du point de vue juridique, les circulaires étant très incomplètes sur les conditions d'emploi. C'est le cas du point de vue financier, les enveloppes annuelles confiées aux départements n'étant notifiées qu'au mois de mai, voire au mois de juin : les gestionnaires départementaux sont ainsi laissés dans l'incertitude sur le montant dont ils disposent pour l'exercice en cours, voire sur la reconduction même du dispositif ! Cela explique en grande partie la sous-consommation des crédits dans les années 2010-2011 ; aujourd'hui, la consommation s'est stabilisée autour de 75 millions d'euros par an, en combinant les dotations annuelles en baisse et les reliquats des exercices précédents.

J'en viens à mes principales propositions.

Je souhaite tout d'abord que soit maintenue l'APRE à l'occasion de la prochaine réforme du RSA et que son enveloppe soit stabilisée au niveau de la consommation actuelle, soit 75 millions d'euros. Il faut cesser d'envoyer aux gestionnaires départementaux des signaux contradictoires qui pénalisent grandement l'efficacité et la régularité de la distribution de l'aide.

Je propose également d'en évaluer de façon scientifique l'impact sur le retour à l'emploi : aujourd'hui, il est impossible de savoir quelle est la proportion des bénéficiaires de l'APRE qui ont retrouvé le chemin de l'emploi au bout de trois mois, six mois ou neuf mois ! Je pense qu'il y aurait pourtant, dans les résultats d'une telle enquête, matière à légitimer définitivement cette prestation.

Je propose par ailleurs de rationnaliser l'architecture globale de l'APRE, en confiant sa gestion à un seul organisme, prioritairement le conseil général, dans chaque département. L'aide devrait rester une aide d'Etat, financée par le budget général, et avec des conditions d'emploi définis par le préfet : j'y insiste, il ne s'agit pas de transférer une charge aux départements ; d'ailleurs, dans certains zones, d'autres gestionnaires, comme Pôle Emploi ou la caisse d'allocations familiales par exemple, pourraient être choisis. Mais il n'est plus possible d'avoir, dans certains départements, trois, quatre et jusqu'à plus de dix gestionnaires pour des enveloppes de quelques millions d'euros. Cet émiettement nuit à la visibilité sur la consommation de l'APRE ; la remontée d'information, aujourd'hui, est difficile et lente, ce qui explique en grande partie les notifications tardives des enveloppes départementales. Il faut briser ce cercle vicieux, qui s'est installé dès la première année du dispositif, où la complexité de l'architecture locale entraîne des lenteurs de mise en place et de remontée d'informations, qui entraînent à leur tour des retards de notification et des baisses de dotations, conduisant, in fine, à une frilosité des référents sociaux chargés, sur le terrain, de prescrire l'APRE aux bénéficiaires.

Dans le même sens, je préconise que l'Etat signe des conventions pluriannuelles avec ces nouveaux gestionnaires départementaux uniques, qui leur donnent une visibilité sur les enveloppes annuelles dont ils disposent à échéance de deux ou trois ans.

Par ailleurs, il convient de limiter les disparités sans pour autant supprimer toute marge de manoeuvre locale. C'est pourquoi je préconise que le Gouvernement publie une nouvelle circulaire qui, sans imposer une doctrine d'emploi unique et tout en permettant des exceptions justifiées, établisse clairement des « lignes rouges ». Une telle démarche permettra à mon sens, paradoxalement, d'élargir le champ de l'APRE, car j'ai constaté qu'il y avait sur le terrain une forme d'autocensure : certains départements n'autorisent pas certaines actions (par exemple le financement de permis de conduire) car ils craignent qu'elles soient implicitement prohibées par les règles nationales.

La circulaire devrait également ouvrir, sous certaines conditions, notamment la précarité du demandeur et la pertinence du parcours d'insertion, le bénéfice de l'APRE avant même la reprise d'activité effective, dans le cas d'un entretien d'embauche notamment. Cela arrive en pratique dans certains départements, mais mériterait d'être généralisé pour répondre à cette faiblesse structurelle de l'APRE que j'évoquais précédemment.

Cette même circulaire devra enfin fixer un « plafond » maximal pour chaque type d'aide. Aujourd'hui, les plafonds d'aide peuvent aller de 400 à 4 000 euros pour les aides au permis de conduire par exemple : une telle différence de traitement ne me semble pas justifiée, même par des contextes locaux différents.

Enfin, je préconise d'élargir le public pouvant bénéficier de l'APRE. Aujourd'hui, seuls les bénéficiaires du RSA peuvent en bénéficier. Or, les bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique (ASS), sont dans une situation de précarité similaire et nombre de référents, sur le terrain, soulignent qu'il est difficile de leur expliquer qu'ils ne peuvent bénéficier de l'APRE pour une simple raison de statut. Cet élargissement est important en affichage, puisque 430 000 personnes bénéficient aujourd'hui de l'ASS mais, en réalité, il s'agit surtout d'entériner une pratique déjà très répandue sur le territoire. Pour s'en assurer, une expérimentation pourrait éventuellement être conduite dans certains départements au préalable.

Au total, au cours des auditions, j'ai compris que l'existence même de l'APRE était remise en cause, en particulier par le ministère du budget. Je crois, quant à moi, qu'on n'a pas encore vraiment donné sa chance au dispositif, dont chaque intervenant s'accorde pourtant à dire qu'il est utile au-delà de ses difficultés : non seulement parce qu'on a laissé les acteurs locaux dans une incertitude juridique coupable, mais aussi parce qu'on a réduit les dotations au moment même où les architectures locales se stabilisaient. Il faut donc rationnaliser le dispositif sans perdre son originalité, qui repose sur son adaptation au besoin du bénéficiaire et aux contextes locaux.

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