Intervention de Jean-Jacques Lozach

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 juillet 2014 : 1ère réunion
Projet de loi habilitant le gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Jacques LozachJean-Jacques Lozach, rapporteur :

Le Gouvernement a déposé au début du mois, mercredi 2 juillet, un projet de loi l'habilitant à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du nouveau code mondial antidopage.

Ce nouveau code mondial antidopage a été adopté lors de la quatrième conférence mondiale sur le dopage dans le sport qui s'est tenue en novembre 2013 à Johannesburg. Il s'agit de la troisième version de ce code qui a été adopté pour la première fois en 2003. Il est prévu que cette nouvelle actualisation entre en vigueur le 1er janvier 2015.

Ce projet de loi pose un certain nombre de questions que je me permettrai de résumer ainsi :

- en premier lieu, quelle est la portée juridique de cette nouvelle version du code mondial antidopage et quelle est la nécessité de la transcrire dans notre droit interne et dans quel délai ?

- en deuxième lieu, quels sont les apports de ce nouveau code mondial antidopage ?

- en troisième lieu, quels risques pourraient présenter ce texte ?

- enfin, je vous proposerai d'évoquer les principales dispositions qui devraient figurer dans l'ordonnance que le gouvernement nous demande l'autorisation de prendre et, enfin, de porter un jugement global sur ce projet de loi.

Concernant tout d'abord la portée du nouveau code mondial antidopage et la nécessité de le transcrire dans notre ordre juridique interne. Il convient de rappeler que le statut du code mondial antidopage est particulier puisque selon les termes mêmes de la convention internationale de lutte contre le dopage dans le sport signée à Paris le 19 octobre 2005 et ratifiée par la loi n° 2007-129 du 31 janvier 2007 : « les États parties s'engagent à adopter des mesures appropriées (...) conformes aux principes énoncés dans le code mondial antidopage » et « à respecter les principes énoncés dans le code ». Cela signifie que le texte du code ne fait pas partie intégrante de la convention et ne crée aucune obligation contraignante en droit international pour les États parties.

Concernant les délais de transcription, cela signifie également qu'il n'y a pas d'obligation pour la France à transcrire dans son droit interne les dispositions nouvelles du code mondial antidopage au 1er janvier 2015, date de son entrée en vigueur.

On peut rappeler à cet égard que, dans le passé, le législateur n'a pas hésité à sursoir à la transcription des précédentes versions du code. Ainsi, la version du code entrée en vigueur le 1er janvier 2009 n'est pleinement devenue effective que deux ans plus tard suite à l'adoption de l'ordonnance du 14 avril 2010 et à la publication du décret du 13 janvier 2011.

Si la transcription du nouveau code n'est donc pas une obligation juridique, elle n'en demeure pas moins une nécessité politique et, j'oserais même dire, éthique. La lutte contre le dopage est devenue une nécessité universelle ne serait-ce que pour protéger nos propres sportifs à la fois d'une concurrence déloyale et de la tentation de se délocaliser sous des cieux moins regardants. L'exemplarité de la France et de l'Europe dans l'application des règles internationales constitue la meilleure garantie pour inciter l'ensemble des autres pays signataires de la convention de 2005 à être eux-mêmes irréprochables.

C'est ainsi qu'il faut comprendre, me semble-t-il, les déclarations du secrétaire d'État aux sports, M. Thierry Braillard, devant notre commission le 4 juin dernier, lorsqu'il nous a annoncé que le Gouvernement souhaitait avoir engagé le processus de transcription avant que la France n'accueille en novembre prochain sur son sol le comité exécutif de l'agence mondiale antidopage (AMA).

Après avoir évoqué la question de la portée du nouveau code et de son délai de transcription, interrogeons-nous sur son intérêt et ses apports. À ce sujet, on peut observer que les modifications apportées au nouveau code mondial ne modifient pas l'économie générale du dispositif, mais visent, selon l'exposé des motifs du projet de loi, à « renforcer l'efficacité du contrôle et à élargir la gamme des sanctions, tout en veillant à leur proportionnalité ».

Les modifications apportées sont trop nombreuses pour être citées toutes. La plupart sont d'ailleurs très techniques et ne nécessitent pas de transcription législative.

Permettez-moi néanmoins d'évoquer devant vous quelques-unes de ces dispositions qui illustrent bien, à mon sens, les progrès qui ont été accomplis et l'intérêt de transcrire ce nouveau dispositif.

Concernant tout d'abord les périodes de suspension, un fort consensus s'est dégagé pour considérer que les tricheurs intentionnels devaient être suspendus pour une période de quatre ans. Ce principe prévu par l'article 10.2 devient donc la norme sauf si le sportif peut établir que la violation des règles n'était pas intentionnelle.

Le nouveau code mondial antidopage met ensuite l'accent sur l'importance croissante des enquêtes et sur le recours aux renseignements pour lutter contre le dopage. Plusieurs articles de ce code sont modifiés pour favoriser la coopération et les échanges d'informations entre les différentes institutions qui concourent à la lutte antidopage.

Les possibilités de réduction des sanctions pour aide substantielle aux autorités antidopage dans la conduite de leurs enquêtes sont, par ailleurs, étendues.

Enfin, le délai de prescription est porté à 10 ans contre 8 ans dans le code actuel pour tenir compte du fait qu'il faut aujourd'hui beaucoup de temps pour découvrir des programmes de dopage sophistiqués.

Une autre priorité du nouveau code concerne la mise en cause du personnel d'encadrement du sportif impliqué dans le dopage. Le nouveau code sanctionne ainsi les « associations interdites » qui caractérisent le fait pour un sportif de s'associer à des encadrants qui ont été suspendus ou condamnés pour des faits en lien avec le dopage.

Un point essentiel concerne la recherche d'un meilleur équilibre des rôles entre les fédérations internationales et les organisations nationales antidopage (ONAD). C'est sans doute le point qui aurait mérité des développements plus importants pour reprendre, par exemple, les propositions de la commission d'enquête sénatoriale présidé par notre collègue Jean-François Humbert, qui a présenté ses conclusions, il y a un an.

Dans les faits, les prérogatives des fédérations internationales et des organisations nationales antidopage ne sont pas significativement modifiées. On peut toutefois mentionner que le nouveau code ouvre la possibilité pour une organisation nationale antidopage d'effectuer des contrôles en dehors des lieux des manifestations organisées par une fédération internationale ou par une organisation responsable de grandes manifestations.

Au final, comme je vous le disais, les avancées sont réelles même si elles ne sont pas révolutionnaires.

Il en est autrement des risques juridiques attachés à ce nouveau code, qui ont été soulevés tant par l'agence française de lutte contre le dopage (AFLD) que par le Conseil d'État. Ces risques d'ordre constitutionnel, qui justifiaient toute l'attention de notre commission, sont de trois ordres et d'importance différente.

Le premier problème tient à la compétence reconnue par le nouveau code au tribunal arbitral du sport (TAS). Comme l'indique de manière constante le Conseil d'État, il n'est pas possible de soumettre au contrôle d'une autorité internationale les décisions d'autorités nationales investies par la loi de prérogatives de puissance publique, qu'il s'agisse d'instances disciplinaires des fédérations sportives ou de l'agence française de lutte contre le dopage.

Cette difficulté était déjà présente dans les précédentes versions du code et une solution « équivalente » en termes de garanties a alors été trouvée consistant à ouvrir à l'agence mondiale antidopage et aux fédérations internationales la possibilité de contester, devant la juridiction administrative, les décisions prises en matière de sanction du dopage par les instances fédérales ou l'AFLD.

L'ordonnance ne devrait donc pas transcrire dans notre droit cette disposition concernant la compétence du tribunal arbitral du sport.

La deuxième difficulté est peut-être plus sérieuse puisqu'elle a trait à l'automaticité des sanctions prévue par l'article 10 du nouveau code mondial antidopage qui vient heurter le principe d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. Pour contourner cet obstacle, le Conseil d'État a estimé dans son avis que les dispositions du nouveau code devaient « être lues comme permettant d'instaurer un régime de sanction maximale », ce qui permet d'éviter tout risque d'inconstitutionnalité.

Le dernier problème est le plus considérable puisqu'il concerne l'obligation faite par le nouveau code à tous les sportifs de se rendre disponibles pour des contrôles « à tout moment et en tout lieu ».

Si l'on comprend bien l'intérêt de ce principe de totale disponibilité pour éviter des pratiques dopantes en dehors des temps de la compétition effective, force est de reconnaître qu'il heurte de front deux principes essentiels de notre droit : l'inviolabilité du domicile qui est constitutionnellement garantie entre 21 heures et 6 heures, sauf sous le contrôle du juge judiciaire par exemple dans des cas en rapport avec la grande criminalité et le droit au respect de la vie privée qui est reconnu par la Convention européenne des droits de l'Homme.

L'agence française de lutte contre le dopage avait proposé sans succès à l'agence mondiale antidopage une solution de compromis intéressante, comme me l'a expliqué son président Bruno Genevois, qui aurait consisté à pratiquer uniquement lors de compétitions internationales se déroulant sur une semaine ou plus, des contrôles au lieu d'hébergement du sportif entre 6 heures et 23 heures.

Cette solution n'ayant pas été retenue par l'agence mondiale antidopage, l'exposé des motifs comme le texte même du projet de loi se contentent de mentionner que la transcription devrait se faire dans le respect des principes constitutionnels et conventionnels, une précaution ajoutée par le Conseil d'État mais qui reste, à mon sens, un peu vague.

J'ai donc demandé au Gouvernement de plus amples informations sur le dispositif envisagé pour transcrire cette mesure en laissant entendre que nous ne pouvions nous satisfaire d'un engagement trop flou sur le respect des principes constitutionnels.

Je dois saluer, à cet égard, la qualité des échanges que j'ai eu avec l'administration du ministère des sports qui ont abouti à ce que me soit transmis l'avis du Conseil d'État qui fixe le cadre précis de la transcription que le Gouvernement s'est engagé à respecter.

Le dispositif qui figurera dans l'ordonnance devrait ainsi prévoir que :

- le contrôle après 21 heures ne pourra avoir lieu qu'avec le consentement du sportif ;

- le contrôle devra se limiter au prélèvement d'échantillons ;

- enfin, le contrôle devra garantir une proportionnalité entre les atteintes portées aux droits des sportifs, droit à l'intimité par exemple, et les enjeux liés à la lutte contre le dopage.

Cette triple garantie permet à mon sens de lever toute inquiétude sur la constitutionnalité du dispositif et, ce faisant, sur l'ensemble de l'ordonnance à venir, les autres dispositions législatives ne posant pas de difficulté particulière.

J'ai déjà évoqué précédemment certaines modifications législatives prévues par la future ordonnance qui figurent parmi les principales avancées du nouveau code mondial antidopage :

- l'aide substantielle apportée par un sportif à la découverte d'infractions ;

- la modification du délai de prescription des actions disciplinaires, actuellement de 8 ans, à 10 ans ;

- l'interdiction faite aux sportifs de faire appel aux personnes ayant fait l'objet de sanctions ;

- l'ouverture de la possibilité aux ONAD, telle que l'AFLD, d'effectuer des contrôles en dehors des sites où se déroulent les manifestations sportives internationales ;

- et, bien sûr, les contrôles antidopage à tout moment et en tout lieu.

Il convient d'ajouter que la future ordonnance devrait également introduire des modifications du code du sport afin de prévoir :

- l'extension du champ des institutions susceptibles d'accorder des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) ;

- la création d'une nouvelle infraction relative à la complicité en matière de trafics de substances ou de méthodes dopantes ;

- l'implication des fédérations sportives nationales et du personnel encadrant dans les enquêtes menées par les ONAD.

Comme vous pouvez le constater, le nouveau code antidopage comporte un certain nombre d'avancées et les quelques risques, réels, sur le plan juridique qu'il pouvait comporter ont été à la fois bien identifiés et suffisamment circonscrits que l'on peut estimer que l'autorisation donnée au Gouvernement est correctement encadrée.

Je vous proposerai donc d'adopter l'article unique de ce projet de loi en formant le voeu que le Gouvernement poursuivra ses efforts auprès de l'AMA pour améliorer encore les dispositifs en vigueur en n'hésitant pas à s'inspirer de nos propositions qui demeurent pleinement pertinentes pour combattre le dopage.

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