Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de participer à ce débat préparatoire au Conseil européen qui se tiendra jeudi et vendredi prochains, en présence du Président de la République, du Premier ministre M. François Fillon, du ministre des affaires étrangères et européennes M. Bernard Kouchner, et de moi-même.
Les récentes élections européennes nous ont montré qu’il restait un chemin important à parcourir pour convaincre nos concitoyens de l’importance de l’Europe et du rôle politique qu’elle aura à jouer dans le monde de demain.
Sans commenter ces élections avec un quelconque esprit partisan, je relèverai simplement ce qui a marqué tout le monde : une abstention forte, de l’ordre de 60 % dans la plupart des pays, et la montée de partis eurosceptiques qui vont compliquer l’émergence de majorités claires au Parlement européen.
Cette forte abstention, au moment même où les parlementaires européens vont se voir dotés de pouvoirs supplémentaires en vertu du traité de Lisbonne, lequel, je l’espère, sera adopté d’ici à la fin de l’année 2009, pose une vraie question politique dans le cadre de la construction européenne.
Nous ne pouvons pas, à chaque législature, donner plus de pouvoirs aux parlementaires européens, qui auront désormais à examiner neuf textes sur dix – ils ne se prononcent aujourd’hui que sur la moitié à peine –, si la participation de nos concitoyens aux élections européennes n’est pas plus forte.
La solution passe certainement par davantage de clarté dans les institutions européennes, ainsi que par des liens plus étroits et plus réguliers entre les parlements nationaux et le Parlement européen – je m’y emploierai car il s’agit, selon moi, de l’une des voies d’avenir. Elle passe également par une volonté politique accrue, par plus d’initiatives, par une plus grande capacité de décision de la part de l’Union européenne sur tous les grands sujets qui préoccupent nos concitoyens.
Concernant plus spécifiquement le Conseil européen, nous examinerons trois sujets de fond essentiels.
Tout d’abord, nous nous pencherons sur la question du climat et la préparation du sommet de Copenhague, qui se tiendra à la fin de l’année 2009. C’est l’une des conclusions que l’on peut immédiatement tirer des élections qui se sont tenues la semaine dernière : le climat et le développement durable préoccupent l’ensemble de nos concitoyens. Il est donc impératif que l’Union européenne arrive unie au sommet de Copenhague, pour défendre, comme elle l’a toujours fait, des ambitions fortes en matière de maîtrise du climat et de renforcement du développement durable pour notre planète.
Or, aujourd’hui, un consensus n’a pas encore été trouvé sur l’ensemble de ces questions, qui feront donc l’objet d’un débat lors du Conseil européen. Nous butons encore sur la question du financement des engagements qui seraient pris par l’Union européenne au sommet de Copenhague, certains estimant que le financement ne doit être défini qu’en fonction des émissions de CO2 de chaque État, d’autres qu’il doit dépendre de la richesse de chaque pays. Il reste donc, notamment avec la Pologne, un consensus à trouver sur ce point.
En tout état de cause, la France continuera de défendre, sur ce sujet, une position ambitieuse et réaliste pour l’Europe.
Ambitieuse, parce que le climat et le développement durable sont l’un des moyens d’affirmer la volonté politique de l’Europe, de montrer que cette dernière a un projet politique pour le monde de demain, qu’elle est capable de faire autre chose que de s’occuper de ses propres intérêts, forcément limités, en proposant un modèle de développement viable pour l’ensemble de la planète.
Réaliste, parce qu’il n’est pas question d’imposer de nouvelles contraintes à l’ensemble des pays européens sans que tous les autres pays développés soient soumis aux mêmes contraintes, aux mêmes règles et aux mêmes charges financières qu’imposent ces contraintes.
C’est tout le sens de la proposition du Président de la République, lequel souhaite mettre en place une taxe CO2 qui serait imposée aux pays ne respectant pas leurs engagements en matière de développement durable. Nous ne pouvons pas infliger à nos entreprises des contraintes extraordinairement fortes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et, dans le même temps, laisser entrer librement sur notre territoire des produits provenant de pays qui, n’étant pas obligés de fournir les mêmes efforts, gagneraient ainsi un avantage compétitif.
Telle est donc la position que la France défendra au Conseil européen. Je le répète, il s’agit tout à la fois d’une approche ambitieuse, qui vise à donner à l’Europe une véritable volonté politique, et d’une approche réaliste, qui ne grève pas les intérêts des États membres.
Le deuxième sujet de fond, sur lequel un consensus reste encore à trouver, c’est celui de la régulation financière.
À cet égard, je souhaite retracer rapidement l’historique de la crise financière et de la réaction européenne.
Lorsque la crise a éclaté à l’automne dernier, la France, qui exerçait la présidence de l’Union européenne, a été la première à réagir, en demandant une réunion de l’ensemble des chefs d’État des pays membres de la zone euro. Elle a également été la première à proposer une réunion de l’ensemble des pays les plus développés de la planète, le G20, afin de construire un nouveau système financier et de définir de nouvelles règles pour ce système financier qui verrait la disparition des paradis fiscaux, l’établissement de nouvelles règles prudentielles pour les banques et le contrôle des fonds spéculatifs.
Elle a aussi été la première, avec l’Allemagne, à suggérer, avant la réunion suivante du G20 à Londres en avril dernier, que l’Europe adopte une position forte en matière de régulation financière.
La France, qui a défendu cette idée avec Mme Merkel dans le cadre du G20 de Londres, continuera de le faire lors du Conseil européen qui se tiendra demain et après-demain. Pour nous, il est hors de question de revenir en arrière, en cédant ne serait-ce qu’un seul pouce de terrain sur la nécessité de mieux contrôler le système financier mondial. Certes, nous aurons toujours besoin d’un système financier pour alimenter notre économie. Mais, pour que notre économie soit correctement alimentée, pour éviter toute spéculation, celui-ci doit être encadré par des règles claires.
Il faut donc de la supervision. Il convient également de définir des règles en matière d’effet de levier et de solvabilité des banques. Il faut aussi instaurer – c’est un point d’achoppement avec la Grande-Bretagne – des règles d’analyse microprudentielle, c’est-à-dire les plus fines possible, pour connaître réellement les risques pris par les banques et le système financier en général.
Tel est le deuxième sujet sur lequel la France entend se battre au Conseil européen. Nous avons, depuis des mois, sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, bâti de nouvelles règles pour le système financier. Nous ne pouvons pas accepter que celles-ci soient affaiblies ou amoindries d’une quelconque façon. Ce sujet constituera également l’enjeu de la préparation de la troisième session du G20, qui se tiendra à New York à l’automne prochain.
Le troisième sujet qui fera également l’objet des discussions entre les chefs d’État et de Gouvernement, demain et après-demain à Bruxelles, c’est le référendum irlandais et les garanties qui devront être données à l’Irlande afin que cette consultation, qui doit avoir lieu au cours de la dernière semaine de septembre ou de la première semaine d’octobre, se déroule dans les meilleures conditions possible.
Pour ce faire, la présidence française avait pris, en décembre 2008, un certain nombre d’engagements sur les garanties qui seraient apportées par l’Union européenne à l’Irlande. Celles-ci portaient notamment sur la neutralité, la politique européenne de sécurité et de défense ainsi que sur la fiscalité.
Ces garanties doivent désormais être retranscrites en droit européen. La question qui se pose est de savoir si elles prendront la forme d’une déclaration ou, au contraire, d’un protocole plus formel annexé au traité.
Du point de vue français, il n’y a pas de difficulté dès lors que ces garanties ne font que reprendre et expliciter le contenu des traités, sans rien y ajouter ou en retrancher.
En revanche, d’autres États, notamment la Grande-Bretagne, estiment que la mise en place d’un protocole à l’occasion de ce Conseil européen pourrait ouvrir la voie à de nouvelles demandes relatives au traité de Lisbonne. Ils ont donc exprimé un certain nombre de craintes, auxquelles il faudra répondre.
Enfin, le Conseil européen sera également l’occasion d’ouvrir une discussion entre les chefs d’État et de Gouvernement sur une nomination importante et un sujet politique d’actualité.
La nomination importante, c’est bien évidemment la désignation du futur président de la Commission européenne. Le Président de la République a exprimé une position claire sur ce sujet : la France soutient sans ambiguïté la candidature de M. Barroso à un nouveau mandat.