Intervention de Hubert Haenel

Réunion du 17 juin 2009 à 14h30
Conseil européen des 18 et 19 juin 2009 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Hubert HaenelHubert Haenel, président de la commission des affaires européennes :

C’est tout de même un paradoxe : depuis 1979, les pouvoirs du Parlement européen n’ont cessé de s’accroître et, parallèlement, la participation aux élections européennes n’a cessé de se réduire.

Cette situation est évidemment préoccupante. Le Parlement européen a déjà un rôle central dans le fonctionnement de l’Union ; avec le traité de Lisbonne, ses pouvoirs vont être encore significativement renforcés. Si la participation continue à décroître, nous risquons de voir un jour ou l’autre se développer un procès en légitimité contre l’Union.

Quels remèdes peut-on envisager ?

Certains préconisent un changement du mode de scrutin, avec des listes transnationales pour une partie des sièges. Pour ma part, je n’ai pas d’objection de principe contre cette idée, mais je me demande si les électeurs se mobiliseront davantage lorsqu’ils auront à choisir entre des listes interminables d’inconnus.

Beaucoup souhaitent – c’est d’ailleurs dans l’esprit du traité de Lisbonne – que les partis politiques européens aient chacun leur candidat à la présidence de la Commission européenne, ce qui ferait mieux ressortir les enjeux du scrutin. Là aussi, je crois que ce changement, s’il se produit un jour, n’aura sans doute pas la portée qu’on imagine. En effet, la composition de la Commission continuera à reposer principalement sur les propositions des gouvernements et restera donc pluraliste sur le plan politique. D’ailleurs, une Commission trop politisée aurait du mal à jouer son rôle de trait d’union entre les États membres, lequel est indispensable au bon fonctionnement de l’Union. En réalité, quoi que l’on fasse, ce n’est pas demain que l’on verra alterner les majorités à l’échelon européen comme elles le font à l’échelon national.

Je crois donc que les réponses de ce type au problème de l’abstention ne sont pas suffisantes. Il faudrait plutôt réfléchir, par exemple, à ce qui fait que l’information sur les questions européennes reste si faible, cinquante ans après le traité de Rome. Il faudrait également se demander pourquoi ces élections ne semblent pas plus importantes aux yeux de nos concitoyens, alors que des choix cruciaux se font à l’échelon européen.

Bien sûr, des questions de ce type ne paraissent jamais urgentes, et l’on aura vite fait d’oublier les élections européennes qui ont eu lieu voilà une dizaine de jours. Mais c’est à tort, car il faudrait engager un travail de fond pour y répondre, et ne pas attendre les élections suivantes pour s’inquiéter à nouveau du problème de l’abstention et se lamenter.

L’Europe va être placée, dans les prochaines années, devant de grands choix : jusqu’où faut-il s’élargir ? Jusqu’à quel point faut-il réorienter notre mode de développement ? Faut-il garder une politique agricole commune ? Jusqu’où doit aller la solidarité financière entre les États membres ? Ces choix devront être abordés de telle manière que les citoyens n’aient pas le sentiment que des questions aussi importantes restent tranchées loin d’eux, voire sans eux, comme ce fut trop souvent le cas jusqu’à présent.

À cet égard, le rôle des parlementaires nationaux sera essentiel. Il l’est déjà mais le sera encore davantage avec le traité de Lisbonne. Il nous appartient d’être un lien entre les citoyens et des institutions européennes qu’ils continuent à juger lointaines et difficiles à comprendre. Si, comme je l’espère, le traité de Lisbonne est enfin ratifié, nous aurons des responsabilités nouvelles et des comptes à rendre aux Français. On ne pourra plus, comme on l’a fait trop souvent, botter en touche, ni faire de l’Europe l’éternel bouc-émissaire.

Aux grandes questions que je viens de mentionner, il faudrait ajouter celle du degré de différenciation au sein de l’Union. Les progrès de la construction européenne, au moins dans certains domaines, ne vont-ils pas désormais passer plutôt par des coopérations concrètes entre certains États membres ? Ce sujet a été fréquemment abordé, avec raison me semble-t-il. Il l’a encore été récemment par notre collègue Pierre Fauchon, qui a fait un excellent travail.

Les négociations délicates sur les garanties à donner à l’Irlande en vue de son second référendum nous montrent aujourd’hui combien cette évolution est incontournable. Il nous faudra savoir préserver l’unité européenne tout en étant capable de faire du « sur-mesure » dans certains domaines. Mais il ne sera pas toujours facile de concilier ces deux exigences.

En tout état de cause, ce serait une erreur de vouloir atténuer la portée des engagements pris à l’égard de l’Irlande et qui l’ont été, je le rappelle, en contrepartie de l’organisation d’un second référendum. Il n’est pas question de demander au peuple irlandais de se dédire : celui-ci ne doit donc pas se prononcer sur la même question que la première fois. Je sais que la voie est étroite, car, dans le même temps, il est inconcevable de toucher au traité lui-même, comme vous l’avez fort justement rappelé, monsieur le secrétaire d’État. Mais soyons clairs : l’Europe a un besoin vital urgent de tourner enfin la page institutionnelle, et elle ne pourra le faire qu’avec l’accord du peuple irlandais. Tous les moyens sont donc bons pour le convaincre, fin septembre ou début octobre au plus tard, de dire enfin oui ! Nous aurons alors des instruments pertinents pour agir et prendre les bonnes décisions.

J’en viens aux incertitudes sur les conditions de nomination du président de la Commission. Elles illustrent bien cette nécessité de tourner la page. Comme je l’avais souligné dans un rapport voilà quelques mois, nous sommes vraiment dans un no man’s land. Comment veut-on que les citoyens – tout au moins ceux qui lisent encore les journaux ou écoutent d’une oreille un peu fine la radio le matin – ne soient pas rebutés par des controverses de ce type, qui ne sont pas sans rappeler les « délices et poisons » de la IVe République ?

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