directrice déléguée culture, sport, éducation, affaires européennes et internationales de l'ADF. - Je vous prie de bien vouloir excuser Yves Ackermann, président de la commission de l'ADF que je viens ici représenter, retenu aujourd'hui par ses fonctions de président du conseil général du Territoire de Belfort.
L'approche de l'ADF, engagée dans la préparation du scrutin de mars prochain qui renouvellera les conseils départementaux, a été marquée, vous le comprendrez, par quelques inquiétudes de calendrier. Nous craignions une coïncidence entre l'examen de ce texte et le scrutin, ainsi que l'a indiqué notre président.
Comme l'a dit le Premier ministre hier dans votre hémicycle, nous sommes un pouvoir local intermédiaire. M. Frécon, président du Congrès des pouvoirs locaux du Conseil de l'Europe pourrait en parler mieux que moi, mais je voulais rappeler ici que l'ADF souhaite que l'on se penche sur cette notion. La Confédération européenne des pouvoirs locaux intermédiaires, dont elle détient le secrétariat, est née d'une initiative commune des représentants de cet échelon territorial, qui, à la différence des communes et des régions, ne porte pas partout le même nom, mais qui n'en existe pas moins comme pouvoir intermédiaire. Nous avons mené des études qui établissent que notre sort est commun et que nous exerçons partout les mêmes compétences, ce qui nous engage à tenter de porter un regard commun. Le Premier ministre, dans le discours qu'il a prononcé hier devant votre assemblée, a indiqué que nous avions cinq ans pour évoluer et faire des propositions au regard de la nouvelle carte territoriale.
Pour l'ADF, le département est marqué par trois grandes caractéristiques, qu'a également rappelées le Premier ministre hier. Il est la collectivité de solidarité sociale et territoriale, l'espace d'organisation des schémas de service public et, ainsi que nous le revendiquons, celui de la fameuse ingénierie publique territoriale. C'est sous ce triple éclairage que nous aborderons ce projet de loi.
J'en viens à la question des compétences. En matière d'éducation, l'ADF, qui gère les collèges et les transports scolaires, n'est pas favorable à leur transfert à la région. Nous estimons, au nom de la proximité et de l'efficacité, qu'ils doivent rester au niveau départemental. Le département est, historiquement, une collectivité très liée au bloc communal, notamment en matière de transports scolaires, puisque nous organisons la desserte des élèves pour le compte des communes. Nous avons mené, au cours des derniers mois, la réforme de l'école de la République, dont nous partageons les orientations, tant sur le principe du socle commun de connaissances que dans la réflexion pédagogique engagée sur le partage entre temps scolaire et périscolaire. Nous nous inscrivons donc plus naturellement dans cette logique du socle commun que dans celle du projet de vie professionnelle, qui serait plutôt celle des régions... Les années collège sont celles de la scolarisation obligatoire, ce qui nous rapproche du métier des maires pour le primaire. Une réflexion en profondeur est engagée sur la liaison entre le CM2 et la 6e. Les enfants qui nous sont confiés doivent être scolarisés et c'est pourquoi nous menons une politique d'accompagnement au-delà même du seul volet éducatif. J'ajoute que tout notre bloc social est adossé sur le scolaire : prévention de la délinquance, décrocheurs, mineurs isolés, aide sociale à l'enfance...
En matière de culture, la réflexion a débuté lors du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC) de juillet. Au sein de cette instance, qui permet à tous les niveaux de collectivités territoriales de mener un dialogue régulier avec le ministre, les débats ont porté sur la notion de compétence partagée obligatoire mise en avant par l'ARF. Pour l'instant, nous restons très réservés, car nous voyons mal comment une compétence partagée peut devenir obligatoirement partagée. Le président Lebreton a rappelé qu'alors que les lois de décentralisation ne les y ont jamais obligées, tous les échelons de collectivités se sont saisis de ces compétences et mettent en oeuvre des politiques qui concernent toutes les disciplines culturelles, avec des résultats tangibles : plus de 70 % de l'investissement public en faveur de la culture est le fait des collectivités territoriales. Ce sont la liberté d'agir et la volonté des élus sur leur territoire qui ont amené la culture et le sport à se développer. Rendre la compétence obligatoire conduirait à inverser cette logique.
Il est aussi un autre argument. Les voies d'exercice des compétences culturelles au sein du département sont multiples. Certaines, comme la lecture publique et les archives, sont déjà des compétences obligatoires. À l'inverse, le soutien à la création ou au spectacle vivant est totalement optionnel. Entre les deux, il est aussi des compétences partiellement exercées par le privé, comme l'archéologie préventive, mais dans lesquelles beaucoup de départements se sont investis - un tiers d'entre eux possède un service d'archéologie préventive. On voit, à descendre ainsi dans la réalité de l'exercice des compétences, que des modes de gouvernance très divers coexistent, et qu'il est peut-être plus fructueux de se pencher sur cette variété des outils de gouvernance plutôt que sur la question de l'obligation. Il peut exister, en matière culturelle, une forte intégration, pour une discipline, dans un outil. Pour l'État, on peut songer au CNC, au CNL, à l'Institut français... Mais les régions, les départements ont aussi leurs agences. À côté de cela, il existe aussi ce que l'on appelle aujourd'hui des EPL (entreprises publiques locales), mais également des modalités d'organisation d'une compétence culturelle territoriale articulées à la dimension européenne. Un programme comme Intereg, par exemple, permet de mettre en oeuvre des politiques transfrontalières. Un récent rapport de l'Inspection générale des affaires culturelles établit que l'intervention financière de l'État en faveur de la culture en région provient pour une moitié du ministère et pour l'autre des grandes agences nationales. Il serait intéressant de mesurer, de la même manière, ce qu'il en est entre les échelons territoriaux. Il est important de savoir comment la gestion s'organise sur le terrain, pour mesurer ce que pourrait être l'impact de la nouvelle carte territoriale.
L'ADF souhaite enfin que les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) demeurent des interlocuteurs forts pour les collectivités et restent entre les mains de l'État, lequel devrait définir des compétences culturelles dites régaliennes. Le rapport que j'ai cité, se penchant sur les expérimentations menées en Corse ou outre-mer, montre que d'autres manières d'organiser la compétence culturelle sont déjà à l'oeuvre. En Corse, la DRAC conserve ainsi une compétence, que l'on pourrait identifier comme régalienne, en matière scientifique et technique.
Nos débats n'ont pas encore été aussi poussés sur la question du sport. Lors du récent conseil national du sport, le ministre a posé les termes du débat. L'ADF est favorable au maintien d'une compétence partagée mais, à la différence de la culture, la question des financements croisés se pose avec plus d'acuité. Le ministre a clairement indiqué qu'en cas de suppression de la clause de compétence générale, il faudrait trouver le moyen d'en préserver la possibilité. Les collectivités territoriales sont les premières équipementières du sport. Cela fait partie de notre mission d'aménagement du territoire, mais le taux d'obsolescence des équipements approche les 80 %, à quoi s'ajoute le problème de leur mise aux normes.
Autre sujet de réflexion, l'organisation du mouvement sportif en France, qui, à la différence de la culture, est très lié à notre organisation territoriale. Chaque département, chaque région a son comité olympique et sportif, CDOS et CROS. C'est ainsi que les fédérations et les clubs se sont historiquement organisés, et notre action consiste à travailler avec les CDOS et à subventionner les clubs et les fédérations. Les évolutions de la carte territoriale et celle du mouvement sportif, avec lequel nous allons dialoguer, resteront très liées.
L'ADF plaide, comme elle l'avait déjà fait lors des débats sur la loi Maptam, pour que, dans le bloc des compétences partagées, la jeunesse compte comme une compétence à part entière et souhaiterait voir le projet de loi amendé en ce sens.
Ne conviendrait-il pas, enfin, de redéfinir le partage entre service public de la culture et industries culturelles ? Au niveau européen, pour la période 2016-2020, il n'existera plus à proprement parler de programme culture en phase avec les actions que nous menons dans nos politiques locales. De fait, le programme Europe créative, qui s'y substituera, est principalement axé sur les industries culturelles. Votre commission s'est interrogée sur l'impact du droit communautaire des services d'intérêt économique général (SIEG). Nous avions constaté que l'approche très singulière de la France en matière culturelle nous contraindrait à mener, un jour ou l'autre, cette réflexion.
N'oublions pas, enfin, que la question des moyens financiers reste l'ultime régulateur, d'où la déclaration liminaire commune de nos associations respectives.