Depuis quand une autorité politique se croit-elle autorisée à publier des textes parfaitement illisibles ? Il faut le dire : la montagne n’accouche souvent que de souris !
Où se trouve le temps lointain où une Europe plus concentrée et animée par une Commission plus ambitieuse jetait les bases d’un marché commun, ouvrait les perspectives tracées par le traité de Maastricht – grand événement historique – et s’affirmait par la création d’une « monnaie commune » ? Cette créativité n’est plus qu’un souvenir, une nostalgie.
Les perspectives ouvertes par le traité de Maastricht, qu’il s’agisse des affaires extérieures – le deuxième pilier – ou intérieures – le troisième pilier –, n’ont donné lieu qu’à des avancées symboliques, disons exploratoires, très utiles, certes, mais aussi, disons-le, dérisoires par rapport aux enjeux. Le traité de Maastricht remonte à 1992, soit bientôt vingt ans. Mais l’histoire n’attend pas !
Ce n’est pas en multipliant les conférences, si agréables que soient les lieux où elles se tiennent, les livres verts, qui ne font que répertorier les difficultés, et les décisions-cadres – qui n’ont de décisions que le nom, car elles ne sont que rarement et faiblement transposées –, que les Européens mettront sur pied des opérations militaires opérationnelles communes, une sécurité juridique commune pour les particuliers, une défense efficace contre les multiples formes d’une criminalité transfrontalière florissante.
Ainsi va cette Europe que le Premier ministre lui-même qualifiait, la semaine dernière, « d’Europe des petits pas et des petits compromis ». Pour votre part, monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué un « flottement général » ; je crois vous avoir bien compris, au-delà de ce que vos fonctions vous autorisent à dire.
Le marché commun lui-même ne s’accompagne pas des dispositifs régulateurs qui permettraient à l’économie européenne d’être autre chose que la juxtaposition d’économies nationales dont les disparités fiscales et sociales entretiennent les rivalités, tandis que les enjeux majeurs de l’énergie, de la recherche ou de la protection de l’environnement restent pour l’essentiel l’affaire des politiques nationales, en dépit de l’évidence des intérêts communs. Face à la crise, les réponses, même « harmonisées », restent nationales et ne présentent ni la cohérence ni la force qui permettraient au monde de dire : « l’Europe donne l’exemple », pour reprendre l’expression utilisée par Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat, au cours d’une récente réunion. L’Europe devrait donner l’exemple, mais elle en est à cent lieues.
Il reste l’euro, jadis mal aimé, dont l’efficacité protectrice est aujourd’hui reconnue, mais qui n’est pas réellement une monnaie commune à l’Europe des Vingt-Sept.
Depuis six mois, et pour les six prochains mois, l’Europe est pilotée par des États qui ne sont pas concernés directement par cette monnaie, alors même que nous connaissons une grave crise économique et financière ! N’est-ce pas emblématique de l’inconséquence non pas des citoyens que l’on appelle à voter, mais des appareils gouvernementaux ? Comme est emblématique la crise du lait, qui frappe la région dont je suis élu : elle démontre que la PAC, objet cependant de tous nos soins et unique véritable politique commune, ne donne pas tous les résultats que l’on pouvait en attendre. Comme est emblématique, enfin, la conduite des négociations avec l’Irlande. J’étais à Dublin voilà quinze jours. L’ambassadeur de France, énumérant les conditions posées par l’Irlande, a évoqué la non-harmonisation fiscale. Si vous acceptez de vous engager, par un protocole ou par tout autre moyen, à renoncer à l’harmonisation fiscale des affaires européennes, où allons-nous ? C’est précisément ce qui fait défaut. S’il faut se passer de l’Irlande, nous le ferons ! Ce sujet mériterait à lui seul un débat.
On m’accusera sans doute de noircir le tableau et d’étaler les insuffisances en ignorant quelques avancées, et surtout de ne pas répondre à la question : que faire ? C’est évidemment la grande question ! Le semestre de présidence française y a apporté une réponse par la remarquable démonstration que l’Europe, quand elle le veut, peut en quelque sorte tout faire : depuis la gestion commune de l’immigration jusqu’à l’initiative de l’organisation d’une démarche mondiale commune par les G20 de Washington et de Londres, qui seront relayés par le sommet de l’automne prochain.
Malheureusement, cette démonstration n’est plus qu’un souvenir, même si la bonne coopération franco-allemande, à laquelle M. Pozzo di Borgo est particulièrement attaché, peut apparaître comme un précieux gage de continuité dans le volontarisme.
Comment faire cependant pour passer des intentions aux actes, alors qu’il se trouve toujours parmi les Vingt-Sept quelques membres non disposés à s’engager concrètement et qui se réfugient dans les opting out, qui sont tout simplement insupportables.
Monsieur le secrétaire d’État, notre conviction, partagée, je le crois, par les membres de la commission des affaires européennes, est qu’il ne faut pas perdre trop de temps à vouloir mettre tout le monde d’accord. Que ceux qui sont décidés à agir passent aux actes à quelques-uns afin de démontrer par l’exemple qu’il est possible d’avancer.
Le casier judiciaire européen, créé voilà quelques années, soutenu par trois membres voilà trois ou quatre ans, mis en œuvre aujourd’hui par une quinzaine de membres, est là pour nous montrer la voie à suivre, à savoir les coopérations renforcées, ou avancées, dans tous les domaines, car elles sont sinon la solution idéale, du moins la marque de progrès décisifs, concrets. Ni l’euro ni le système Schengen ne rassemblent tous les États membres : cela ne les empêche pas de fonctionner !
Je suggère donc que, dans les négociations actuelles, notre gouvernement considère cette formule non pas comme un ultime recours relégué dans un avenir indéfini, mais comme une réponse immédiate aux questions qui se posent, que ce soit dans le cadre des traités ou en dehors de ceux-ci, ce qui importe peu, d’ailleurs. Il ne fera que retrouver la vision prophétique de Robert Schuman, affirmant en 1950 : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. »
Revenant à mon introduction, j’affirme que si nous pouvions présenter à nos concitoyens des réalisations concrètes, même partielles, telles qu’un statut familial commun pour les couples binationaux, une police et un parquet communs pour lutter contre la grande criminalité, des universités et des centres de recherche pleinement européens, des harmonisations fiscales et sociales concrètes, alors ils sauraient à quoi sert l’Europe et ils seraient plus disposés à s’exprimer lorsqu’on leur demande leur avis.