Intervention de Annie David

Réunion du 17 juin 2009 à 14h30
Conseil européen des 18 et 19 juin 2009 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Annie DavidAnnie David :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comment aborder la préparation de ce Conseil, qui doit impulser les politiques de l’Union, sans tenir compte du message des urnes ? C’est d’ailleurs le jeu auquel se sont prêtés les ministres et les parlementaires de leur majorité lors du débat à l’Assemblée nationale.

Pour autant, si ce travail est nécessaire, les déclarations de triomphalisme que nous avons entendues nous paraissent déplacées. Interpréter ces résultats, notamment les 28 % obtenus par le parti de la majorité, comme le succès des politiques menées à la fois sur le plan national et à l’échelon européen par le Président Nicolas Sarkozy, ne nous paraît pas judicieux.

Je rappelle que 28 % des votants, c’est un peu moins de 11 % des inscrits ! Pour les sénatrices et sénateurs de mon groupe, ces résultats ne sont en rien un « feu vert » pour la poursuite de vos politiques libérales actuelles, bien au contraire !

Pour nous, le principal message des urnes réside dans l’abstention massive, expression du décalage croissant entre les institutions européennes et les peuples européens. Les chiffres sont éloquents : 60 % des Français et 57 % des Européens ont fait le choix de ne pas se rendre aux urnes. Parmi eux, on trouve principalement des jeunes et des membres des couches populaires.

Une telle abstention n’est le signe ni d’une démocratie vivante ni d’un projet européen porteur de progrès social, puisque les personnes le plus brutalement touchées par la crise sociale ont considéré que l’Europe n’était pas l’espace politique où une réponse concrète à leurs besoins pouvait être formulée. Cela doit nous interpeller, cela doit vous interpeller, monsieur le secrétaire d’État, car ce vote est l’expression de la condamnation des politiques libérales menées et, malgré ce qu’en pense M. Haenel, du traité constitutionnel européen.

D’ailleurs, cette faible participation doit être mise en regard de la participation lors du référendum sur le traité constitutionnel européen : celle-ci avait été particulièrement satisfaisante, avec un taux de 69, 37 % contre 40 % aujourd’hui. Or le taux de participation à ces deux scrutins est lié. Le déni de démocratie que constitue la ratification du traité de Lisbonne par la France, simple avatar du traité constitutionnel que le peuple français avait majoritairement rejeté, a nourri les désillusions et le fatalisme des citoyennes et citoyens.

Pourtant, vous continuez – c’est même le premier point à l’ordre du jour de ce Conseil – de vouloir remettre en discussion le contournement du vote du peuple irlandais pour faire enfin adopter le traité de Lisbonne.

Force est donc de constater l’expression d’une crise de confiance de plus en plus aiguë entre les citoyennes et les citoyens et une Europe qui se construit sans les peuples, voire contre eux. Ce message des urnes est essentiel et nous indique clairement qu’il faut maintenant s’atteler à construire l’Europe des peuples et non celle des marchés.

Je citerai encore un exemple du décalage croissant entre les institutions européennes et les peuples : alors que la dimension sociale de la construction européenne a constitué un enjeu électoral majeur, semblant même faire consensus parmi les candidats, ce Conseil européen s’attache à examiner la crise sous l’angle d’une régulation financière – M. le secrétaire d’État nous l’a encore démontré voilà un instant –, mais ne traite de la crise sociale que dans la continuité des politiques menées jusqu’à présent.

Le fameux « plan de relance sociale » de la Commission, paru dans la presse quelques jours avant le scrutin, sera bien évidemment abordé lors de ce Conseil, mais il est particulièrement peu ambitieux, puisqu’il se contente de débloquer 19 milliards d’euros de crédits déjà programmés. Il s’agit donc, en réalité, d’un geste médiatique, qui n’aura qu’une faible ampleur sur les ravages sociaux de la crise.

« La crise nous rend libres d’imaginer ! » affirme le Président de la République. Or nous savons que son imagination le pousse à rogner les retraites, à privatiser La Poste, à demander toujours plus de sacrifices aux salariés, à aller toujours plus loin dans des réformes qui nourrissent un modèle qui a échoué.

Pour cette raison, nous demandons que toutes les énergies soient déployées afin de construire un nouveau modèle social européen. Ainsi, nous appelons d’urgence la tenue d’un Conseil européen extraordinaire pour une nouvelle donne sociale. Cela passe, notamment, par des mesures en faveur du pouvoir d’achat, des salaires et des pensions, par la définition de législations à imposer aux entreprises pour lutter contre les délocalisations, mais également par l’instauration de nouveaux droits pour les représentants des personnels dans les entreprises et d’une véritable participation des citoyens aux choix importants de société que nous connaissons. En ce sens, je vous rejoins, monsieur le président de la commission, lorsque vous parlez de lien entre les institutions européennes et les citoyennes et les citoyens.

Dans le deuxième point à l’ordre du jour, le Conseil européen se concentre, une nouvelle fois, sur la régulation des marchés financiers et du secteur bancaire. Il devra d’ailleurs se prononcer sur les suites données au rapport Larosière.

À ce titre, je souhaiterais vous faire part de deux remarques : en premier lieu, les propositions de la Commission sont, de l’aveu même du Gouvernement, extrêmement faibles, voire inopérantes ; en second lieu, cette volonté de régulation du marché est réductrice de la nature même de la crise que nous traversons. Ce ne sont pas les banques qui ont failli : c’est l’ensemble du modèle libéral mis en œuvre par les institutions européennes et relayé par le gouvernement français.

Sans remise en cause des politiques communautaires libérales gravées dans le marbre par le traité de Lisbonne, du pacte de stabilité, de l’indépendance de la Banque centrale européenne, de la liberté de circulation des capitaux et de l’interdiction des aides d’État, cette régulation financière ne permettra pas d’endiguer la crise.

Il faut donc, à contre-pied des politiques menées, reconnaître et développer des maîtrises publiques, afin de garantir les droits fondamentaux des citoyennes et citoyens européens : droit au logement, à la mobilité, à la formation, à l’accès à la culture, à la santé… Mais, là encore, tous ces pans de l’économie sont successivement soumis aux intérêts des grands groupes, conformément à la stratégie de Lisbonne.

D’ailleurs, nous voyons bien que, malgré la crise, rien n’arrive à ébranler cette certitude des institutions européennes que le marché est capable de répondre seul à tous les besoins. En effet, les conclusions du Conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » du 8 juin dernier rappellent bien cette soumission totale aux injonctions du marché du travail par la définition du concept de « flexicurité » auquel nous ne pouvons adhérer !

En outre, et contrairement à ce que vous nous avez dit voilà un instant, ce Conseil a également exclu toute politique industrielle, puisque les conclusions suggèrent « qu’il conviendrait d’éviter les mesures visant à préserver des changements structurels les emplois ou secteurs qui ne sont plus viables ». Les États et l’Union se déclarent donc incompétents pour répondre à l’urgence sociale et économique.

J’en arrive au troisième point à l’ordre du jour, la préparation de la conférence de Copenhague, question d’une importance majeure.

La préparation de cette conférence doit constituer l’une des priorités politiques de l’Union européenne. Cependant, la récente conférence préparatoire de Bohn nous inquiète quant à la frilosité des pays industrialisés à assumer leurs responsabilités. Ainsi, le Japon et les États-Unis ne se sont engagés à réduire leurs émissions qu’à hauteur, respectivement, de 8 % et de 4 % d’ici à 2020. Il est pourtant plus que temps d’agir et nous vous demandons, monsieur le secrétaire d’État, d’engager fermement notre gouvernement et de faire pression sur ses partenaires pour que l’accord soit ambitieux et équitable.

Nous sommes évidemment en accord avec l’esprit de ces plans et conférences qui définissent un objectif de diminution des émissions de gaz à effet de serre. Pour autant, nous considérons fondamentalement que développement durable et libéralisme ne peuvent cohabiter. En effet, l’idéologie libérale conduit au productivisme et au pillage des ressources pour dégager du profit. Dans un tel schéma, toute action écologique ne pourra donc exister que si elle peut s’avérer rentable.

Par conséquent, comme nous vous le disions précédemment, nous considérons que le corollaire de la baisse d’émission de gaz à effet de serre reste la maîtrise publique.

Dans ce cadre, comment ne pas voir que l’adoption des directives de libéralisation de secteurs comme l’énergie ou les transports nous a privés de leviers importants pour agir en faveur du développement durable ? Par exemple, comment penser une politique des transports de marchandises qui favorise l’intermodalité, alors même que le fret ferroviaire a été laminé par les directives successives ? L’avantage concurrentiel de la route ne cesse d’être renforcé.

Agir pour l’environnement, ce n’est donc pas seulement culpabiliser les citoyennes et les citoyens ou produire des droits à polluer ; c’est surtout repenser les modes de production d’une manière durable. Le 7 juin dernier, nombreuses et nombreux ont été celles et ceux qui nous ont fait passer ce message et ont confirmé leur attachement à la préservation de l’environnement et aux préoccupations liées au développement durable.

Ce Conseil devrait également procéder à la désignation du président de la Commission, désignation importante puisque celui-ci incarne les politiques mises en œuvre au niveau européen. Aussi, les affirmations péremptoires comme celle de M. Bernard Kouchner, qui « imagine mal que le Conseil puisse se prononcer pour une personne autre que le seul candidat pour le moment, c’est-à-dire M. Barroso », ne nous semblent pas à la hauteur de l’enjeu, et nous pensons que cette désignation devrait être faite en concertation avec la représentation nationale.

De plus, comment ne pas reconnaître que M. Barroso est porteur de l’échec des politiques libérales, puisqu’il les a incarnées au niveau de la Commission ? À ce titre, nous sommes particulièrement sceptiques sur l’intérêt d’une telle candidature.

Cette question mériterait également un autre débat au regard du rôle fondamental de la Commission européenne dans le processus d’élaboration du droit communautaire.

Nous souhaiterions donc que les parlementaires nationaux soient consultés non seulement sur la présidence de la Commission, mais également sur l’ensemble des suggestions de la France concernant les futurs commissaires français.

Je souhaite vous faire part de la proposition formulée par un fonctionnaire européen dans une tribune de presse que tout membre de la commission soit nommé parmi des personnalités qui se sont portées candidates aux élections européennes. Cette proposition se justifie par la volonté de sortir de la vision technocratique de la Commission et de lui donner une véritable légitimité. J’aimerais connaître l’avis du Gouvernement sur cette suggestion, qui me semble intéressante.

Voilà les quelques éléments dont je voulais brièvement vous faire part en vue du prochain Conseil européen.

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