Intervention de Gérard César

Commission des affaires économiques — Réunion du 19 novembre 2014 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2015 — Mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » et compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » - examen du rapport pour avis

Photo de Gérard CésarGérard César, rapporteur :

Nous allons en effet rapporter à trois voix en nous répartissant le travail. Pour ma part, je me suis intéressé aux grands équilibres des moyens publics consacrés à l'agriculture, à la dégradation de la conjoncture agricole depuis quelques mois. Je me suis également intéressé au traitement particulièrement sévère infligé dans ce projet de loi de finances pour 2015 aux chambres d'agriculture. Enfin, j'ai plus particulièrement examiné les crédits du programme 154 et du programme 215.

Le projet de loi de finances pour 2015 prévoit des crédits en baisse sensible pour la MAAFAR : plus de 260 millions d'euros de baisse en crédits de paiement soit 8,3 % de moins que les propositions de crédits pour 2014. Avec 2,94 milliards d'euros inscrits, nous passons pour la première fois sous la barre des 3 milliards. La progression de 3,8 % en autorisations d'engagement (AE) résulte simplement d'un effet d'optique, du fait de l'inscription sur la seule année 2015 de l'ensemble de l'enveloppe budgétaire quinquennale des mesures agroenvironnementales climatiques (MAEC) et des aides à l'agriculture biologique.

Certes, cette baisse doit être relativisée lorsque l'on compare les crédits budgétaires destinés à l'agriculture à l'ensemble du champ des soutiens à l'agriculture :

Le ministère de l'agriculture gère une enveloppe consacrée à l'enseignement supérieur et à la recherche agricole ainsi qu'une enveloppe consacrée à l'enseignement technique agricole, qui représentent à elles deux plus d'1,7 milliards d'euros, en hausse de 3,3 % par rapport à 2014.

Les crédits de la PAC représentent 9 milliards d'euros - plus de 7,5 au titre du premier pilier et presque 1,5 au titre du deuxième pilier.

Le régime de protection sociale agricole distribue 19 milliards d'euros au titre des prestations maladie, vieillesse ou des prestations familiales.

Si les estimations sont imprécises, les collectivités territoriales contribuent, elles aussi, à hauteur d'environ 1 milliard d'euros.

Les dispositifs fiscaux favorables à l'agriculture et à la forêt - réduction de la taxe sur les carburants, exonération d'impôt sur les sociétés pour les coopératives, exonération de part communale de taxe foncière - sont évalués dans le projet de loi de finances à plus de 2,5 milliards d'euros.

Enfin, ce sont environ 740 millions d'euros de baisses de charges pour les entreprises du secteur agricole et agroalimentaire qui sont attendus avec la mise en oeuvre du pacte de responsabilité.

On ne saurait donc réduire l'analyse des moyens alloués à l'agriculture par la collectivité aux seuls crédits budgétaires de la MAAFAR. Reste que ces crédits connaissent une baisse historique, et cela interpelle nécessairement, dans un contexte préoccupant de dégradation de la conjoncture agricole.

Certaines productions ne sont jamais vraiment sorties de la crise, comme l'élevage bovin allaitant, qui reste une des activités les moins rémunératrices. Les grandes cultures ont connu trois bonnes années, mais la baisse des prix et une récolte de qualité moyenne cet été ont terni le paysage. Les productions animales spécialisées, porc, et volaille restent extrêmement fragiles, en lien avec la fragilité du secteur de la transformation industrielle et en particulier des abattoirs. Les producteurs de lait doivent se préparer avec angoisse à la fin des quotas laitiers dans quelques mois, avec une menace de baisse des prix. Dans le secteur des fruits et légumes, l'embargo russe suite à la crise ukrainienne a fragilisé les acteurs du marché et continue à inquiéter. Dans l'ensemble des secteurs, même ceux qui se portent globalement bien comme la viticulture, nul n'est à l'abri d'aléas climatiques ou d'évènements sanitaires qui peuvent détériorer d'un coup les conditions de production.

Dans un contexte d'atonie du pouvoir d'achat des ménages, les agriculteurs restent dans un dialogue déséquilibré avec l'aval des filières, en particulier la grande distribution, et risquent fort d'être la variable d'ajustement des arbitrages économiques du consommateur.

A ce contexte économique s'ajoute un contexte financier préoccupant pour l'agriculture : le soutien aux secteurs fragilisés par l'embargo russe a quasiment vidé la réserve de crise de l'Union européenne au sein du budget de la PAC : sur les 430 millions d'euros disponibles il n'en reste plus que 88 ! Pour reconstituer des marges de manoeuvre, la Commission européenne envisage de faire jouer les mécanismes de discipline financière en baissant les paiements directs aux agriculteurs. C'est leur faire payer deux fois l'embargo. Une négociation est en cours, mais rien ne dit que la position française l'emportera.

Un autre risque réside dans la progression des refus d'apurement communautaire. D'un niveau faible ces dernières années - 64 millions d'euros en 2012, 41 millions d'euros en 2013 - les refus d'apurement devraient monter à 427 millions d'euros en 2014. Une contestation de la manière de calculer les aides à la surface pour les agriculteurs dans le cadre du premier pilier, pourrait d'après le rapport de la Cour des comptes de mai dernier, conduire à un refus d'apurement supplémentaire de 1,4 milliard d'euros. Le ministère de l'agriculture mobilise 150 personnes pour travailler sur le calcul des surfaces éligibles aux droits à paiement pour éviter une telle perspective. Il est évident qu'un refus d'apurement d'une telle ampleur sera impossible à gérer par redéploiement de crédits au sein de la MAAFAR, comme cela est pratiqué habituellement.

Le Gouvernement fait le choix en 2015 de mettre les organismes consulaires à contribution, en prélevant sur la trésorerie des chambres de commerce et d'industrie, mais aussi des chambres d'agriculture. Les Agences de l'eau sont également ponctionnées, ce qui pourra poser problème pour l'exercice de leurs missions. Il est possible de comprendre une telle logique : l'état des finances publiques est tel qu'il convient de ne pas laisser dormir des « bas de laine » dans les organismes publics. Mais les modalités du prélèvement des 45 millions d'euros que représente l'excédent de fonds de roulement des chambres ne sont pas satisfaisantes. Certaines chambres ont épargné pour investir. Elles ne pourront plus le faire. La date du 1er juillet 2014 retenue pour calculer les investissements qui sont déduits du fonds de roulement ne permet pas de prendre en compte toutes les actions projetées.

Par ailleurs, la ponction sur le fonds de roulement se double d'une baisse de la taxe pour frais des chambres de 15 millions chaque année pendant trois ans, ce qui représente l'équivalent de 300 emplois de techniciens. Une telle réduction des moyens des chambres est incompréhensible. En effet, les représentants des chambres sont des élus et les chambres assurent des services indispensables au monde agricole. Le monde agricole, par la voix de ses représentants, demande quasiment unanimement le maintien de la taxe pour frais à hauteur de 297 millions d'euros en 2015, comme en 2014. L'économie de 15 millions représente à peine 50 centimes par hectare de terre, répartis par moitié entre propriétaire et exploitant. Mettre en danger les chambres et tout le tissu de l'accompagnement des agriculteurs sur le territoire pour une telle économie constitue un mauvais calcul. C'est la raison pour laquelle vos rapporteurs vous proposeront des amendements modifiant les articles 15 et 18 du projet de loi de finances.

Le programme 154, principal programme de la mission, avec 1,42 milliards d'euros en crédits de paiement, soit presque la moitié du total des crédits de la mission, porte les principaux dispositifs d'intervention économique en faveur du monde agricole ... mais aussi l'essentiel des baisses de crédits : plus de 210 millions d'euros.

Sur l'installation, les enveloppes sont globalement préservées en prenant en compte un taux de cofinancement européen plus élevé depuis cette année. Ainsi, les crédits de paiement sur la dotation jeunes agriculteurs passent de 40,5 à 20,7 millions d'euros, mais avec une contrepartie européenne qui augmente. L'enveloppe pour les prêts bonifiés aux jeunes agriculteurs se maintient à 22 millions d'euros en autorisations d'engagement et 63 millions d'euros en crédits de paiement. L'enveloppe des stages à l'installation dans le cadre du plan de professionnalisation personnalisé est cependant divisée par deux à 2,5 millions d'euros en autorisations d'engagement. Après la disparition il y a quelques années des crédits de soutien aux Associations départementales pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (Adasea), les crédits d'accompagnement se raréfient encore. Enfin, le fonds d'incitation et de communication à l'installation en agriculture (FICIA) n'est plus doté en crédits budgétaires cette année. Les documents budgétaires indiquent que le produit de la taxe sur la cession de terres agricoles rendues constructibles, estimé à 12 millions d'euros, remplacera les 11,5 millions de crédits quoi existaient jusqu'à 2014. Mais cela ressemble à un tour de passe-passe car le produit de la taxe devait déjà servir depuis son instauration à soutenir l'installation des jeunes agriculteurs.

Sur la modernisation des exploitations et l'intervention en faveur des filières, il faudra espérer faire mieux avec moins en 2015. Les aides à l'export ou à l'agroalimentaire se maintiennent respectivement à 10 et 5,5 millions d'euros : ces montants restent modestes. L'enveloppe de crédits en faveur de l'agriculture ultramarine, et en particulier des filières sucre et banane, est en très légère diminution, à hauteur de presque 122 millions d'euros en crédits de paiement. La dotation de FranceAgrimer est fortement réduite à 25 millions d'euros, contre 87 millions proposés en 2014. La baisse est en partie compensée par une hausse de 18 millions d'euros prise sur le CASDAR et 34 millions d'euros provenant du programme des investissements d'avenir (PIA). Cela contraint FranceAgrimer à couper des pans entiers de son activité, notamment à arrêter les actions de promotion, qui représentaient 17 à 18 millions d'euros en 2014, et relèveront désormais exclusivement des interprofessions. Les crédits de modernisation, qui par le passé servaient à financer le plan de modernisation des bâtiments d'élevage, sont stables à un peu moins de 45 millions d'euros, et un effet de levier est attendu grâce à des cofinancements européens sur le deuxième pilier et des collectivités territoriales. Ces crédits doivent participer au plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE), annoncé à 200 millions d'euros par an. Une montée en charge du dispositif est prévue avec 56 millions d'euros inscrits en autorisation d'engagement.

Sur la gestion des risques, les crédits de crise - fonds d'allègement des charges et Agridiff - restent à un niveau très bas, la pratique étant de n'ouvrir des crédits en cours d'année que si des crises surviennent effectivement. De la même manière le fonds des calamités agricoles (FNGRA) n'est pas doté en 2015. Il encaisse 147 millions d'euros par an de taxe sur les conventions d'assurance, ce qui suffit à assurer son fonds de caisse. Avec une ligne budgétaire de 24,3 millions d'euros, contre un 19,3 millions d'euros en 2014, le soutien à l'assurance récolte paraît suffisant sur le papier. Mais la pratique a montré que l'enveloppe communautaire et nationale de presque 100 millions d'euros n'était pas à la hauteur du besoin. Les agriculteurs, en conséquence, ne bénéficient pas d'un subventionnement effectif à hauteur de 65 % de la prime d'assurance. C'est pourquoi un amendement est présenté pour augmenter légèrement cette enveloppe, afin de ne pas donner de signe négatif, à la vieille de la réforme de l'assurance en agriculture, le ministre ayant annoncé pour la mi-2015 la mise en place du contrat-socle.

Le programme 154 porte aussi l'ambition agroenvironnementale, ce qui se traduit pour 2015 par une explosion des autorisations d'engagement en matière de nouvelles mesures agro-environnementales et d'aides à l'agriculture biologique puisque 304 millions d'euros sont inscrits, contre 64 en 2014. Mais cette progression résulte d'un effet d'optique, avec une inscription de l'enveloppe totale pour 5 ans, alors que les crédits de paiement ne représentent que 66 millions d'euros, soit autant que les mesures agroenvironnementales régionales et que la mesure agroenvironnementale rotationnelle en 2014.

Enfin, le programme 154 enregistre la suppression des crédits pour les contrats vendange, ce qui est regrettable. Certes, une partie de la baisse de l'enveloppe destinée à compenser auprès de la mutualité sociale agricole (MSA) les exonérations de cotisations pour les travailleurs occasionnels, qui passe de 473 à 418 millions d'euros s'explique par des raisons techniques : la prise en compte de l'exonération de cotisations familiales dans le cadre du pacte de responsabilités, et la fin du bénéfice de la mesure pour les entreprises de travaux agricoles ou forestiers, qui bénéficient par ailleurs du CICE. Mais 17 millions sur cette enveloppe résultent de la fin des avantages du contrat vendange, ce qui est dangereux pour le monde viticole. Un amendement propose de rétablir à l'article 47 du projet de loi de finances l'exonération totale de cotisations salariales pour le contrat vendanges.

Le programme 215, qui porte les moyens de fonctionnement du ministère de l'agriculture, et en particulier les rémunérations et cotisations sociales des agents des services centraux et déconcentrés, ainsi que les crédits pris sur le programme 154 destinés à supporter les dépenses de fonctionnement des opérateurs du ministère, comme l'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE), FranceAgrimer, ou l'Agence de services et de paiement (ASP) n'appellent pas de remarques majeures. Il faut noter que les réductions de crédits sont désormais moins lourdes, certains opérateurs comme l'ASP ou encore l'IFCE, qui étaient en situation délicate, faisant l'objet de rebasages budgétaires bienvenus. Le plafond d'emploi du ministère sur le programme 215 baisse de seulement 176 emplois, pour s'établir désormais à 8 762 équivalents temps plein. Il faut saluer l'effort en matière de crédits informatiques, qui devrait permettre d'accélérer le passage aux procédures électroniques, qui permettent de contenir le coût de gestion des différents dispositifs d'aide, notamment de la PAC.

Au final, j'émets ainsi en ma qualité de rapporteur un avis de sagesse sur les crédits de la MAAFAR et du CASDAR.

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