Merci pour votre invitation. Je suis très honoré d'être parmi vous aujourd'hui.
Vous commencez par la question la plus difficile : j'ai été moi-même étonné le jour où j'ai reçu le coup de téléphone de Stockholm m'annonçant que j'avais reçu ce prix.
Je représente un courant fort bien représenté à Toulouse, et plus généralement dans le monde, de personnes qui ont étudié l'économie industrielle et le nouveau rôle de l'État. L'État, ce n'est plus l'État producteur, comme autrefois, mais une sorte d'arbitre qui fait respecter les règles du jeu, qui veille à ce qu'il n'y ait pas trop de défaillances de marché, et qui s'intéresse au bien-être économique général.
Pour ce faire, nous avons tous utilisé des modèles et réalisé en quelque sorte un travail d'ingénieur, en essayant de capturer l'essence du problème, et en étudiant ce secteur particulier. Nous essayons d'apporter des solutions en termes d'interventions publiques, tout en sachant qu'un modèle demeure un modèle, et qu'il faut essayer de le tester avec des données, si possible en maniant la statistique, éventuellement dans un laboratoire, afin d'observer les comportements des personnes. Nous tentons ensuite d'établir des recommandations de politique économique si possible robustes. C'est là ce qu'on appelle la nouvelle économie industrielle.
Il s'agit d'une combinaison du droit de la concurrence, qui consiste à essayer de comprendre les comportements nocifs pour la société, le droit des fusions - quand doit-on accepter la fusion de deux entreprises ? - et toutes sortes de comportements de ce type, ainsi que la régulation.
La régulation concerne d'abord la régulation des industries de réseaux -télécommunications, chemins de fer, électricité - où l'on rencontre des problèmes de concurrence « normaux ». Il existe en effet des goulets d'étranglement : la France ne peut compter cinq réseaux électriques, ou cinq réseaux de chemins de fer. C'est totalement impossible. Il existe donc des situations assez naturelles de monopole, ce qui pose des problèmes de concurrence. C'est une partie du travail que nous réalisons, à Toulouse en particulier.
Avec Jean-Jacques Laffont, dans les années 1980, nous avions tenté de comprendre ce qu'il allait adevenir de secteurs comme les télécommunications, l'électricité, etc., à la fois en termes d'incitation des entreprises du monde entier, dont certaines n'étaient guère efficaces et très coûteuses pour la collectivité, et en termes d'introduction de la concurrence sur les segments où celle-ci pouvait exister.
Il ne s'agit pas d'une liste exhaustive des défaillances de marché. Il en existe d'autres. Dans le domaine de l'environnement, nous allons laisser à nos enfants une dette climatique gigantesque. Il convient de prendre des mesures assez rapidement, en espérant que la COP 21 à Paris ne connaîtra pas le même sort que les conférences de Copenhague, de Kyoto, ou les précédentes, et adoptera non des voeux pieux, mais des engagements contraignants.
Les économistes se sont bien évidemment penchés depuis bien longtemps sur les questions d'environnement et sur la façon de réguler la pollution, sans imposer un coût trop élevé aux entreprises. Comment, par exemple, limiter le coût pour les entreprises de la lutte contre l'émission des gaz à effet de serre ? Si l'on n'y parvient pas, le programme ne sera pas crédible, et l'on n'arrivera jamais à combattre les gaz à effet de serre.
Vous avez par ailleurs, monsieur le président, évoqué la question des banques et la facture qu'elles peuvent laisser au contribuable. Il s'agit en effet de les réguler correctement.
Ces travaux ont été menés par les économistes depuis une trentaine d'années. C'est ce que l'on appelle la nouvelle économie industrielle. Je ne suis qu'un des nombreux chercheurs à avoir travaillé sur ce sujet. J'ai eu la chance de recevoir le prix Nobel, mais il s'agit d'un courant que l'on retrouve dans le monde entier. On a beaucoup développé cette recherche à Toulouse ; il existe toutefois, dans le monde entier, un courant de recherches associé à ce domaine. Le document de 52 pages qui accompagne le prix Nobel décrit les raisons pour lesquelles j'ai obtenu ce prix - ou, plutôt, pourquoi notre collectivité a reçu le prix Nobel, ce qui est plus exact.
Le fait que ce document reconnaisse que nous effectuons de la recherche fondamentale, et que celle-ci comporte beaucoup d'applications, m'a procuré un vif plaisir.
On dissocie souvent la recherche fondamentale et ses applications ; or, nos recherches ont eu un écho important sur les autorités de régulation, sur les autorités de la concurrence, à Bruxelles, à Washington, à Paris et ailleurs, dans les banques centrales. Cette nomination démontre donc qu'il n'existe pas d'antagonisme entre la recherche fondamentale et les applications qui peuvent en découler pour la société.