Ce sont là des questions très importantes.
S'agissant tout d'abord de la réglementation prudentielle des banques et de son aspect international, je suis quant à moi partisan de l'union bancaire depuis longtemps, et ce pour plusieurs raisons...
En premier lieu, il existe une asymétrie d'information très forte entre les banques et leur superviseur. Les banques sont extrêmement sophistiquées, alors que le superviseur dispose de ressources limitées ; il a du mal à embaucher de véritables talents, qui sont par ailleurs payés très cher par les banques. Il est de ce fait très difficile de devenir régulateur. Je ne vois pas comment, dans la zone euro, on pourrait bénéficier de régulateurs compétents. « Pooler » les compétences me semble donc important.
Il est encore plus important de pouvoir compter sur une régulation indépendante. Elle l'est, relevant de la BCE, elle-même en théorie indépendante, mais aussi parce qu'elle se situe en partie en dehors du pays.
Bien sûr la régulation se fait avec des citoyens du pays, mais étudions le cas de l'Espagne. Il existe un rapport du FMI sur ce pays, qui remonte à deux ans, et qui apparaît très intéressant.
Tout le monde se souvient de la crise espagnole et des drames sociaux qu'elle a créés dans ce pays, du fait de ses banques. C'est surprenant, mais le régulateur bancaire espagnol est l'un des meilleurs au monde. Les banquiers centraux reconnaissent que les Espagnols sont parmi les plus talentueux dans ce domaine. La Banque centrale d'Espagne avait mis le gouvernement espagnol et les gouvernements régionaux en garde contre ce qui allait se passer dès 2005.
Dans ce cas particulier, le régulateur a été contourné, et le gouvernement central, ainsi que les régions ont voulu encourager le secteur immobilier, de même que George Bush, aux États-Unis. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on a assisté à une débâcle bancaire. On a donc sollicité les fonds publics, et demandé des sacrifices aux citoyens.
Il y a une leçon à tirer de tout cela : il convient de rendre la supervision indépendante, de sorte qu'on ait une mesure objective. Cela va-t-il fonctionner ? On va le voir à la suite des stress tests. C'est le moment d'y réfléchir. Selon moi, l'Union bancaire a le potentiel de créer une supervision de ce type. Si l'on accepte des relations de connivence entre les banques et l'État, on se met dans une situation délicate.
Vous évoquez le shadow banking, les banques de l'ombre, qui ne sont pas régulées. Cela m'inquiète. Qu'elles ne soient pas au service de l'économie n'est pas toujours vrai. Aux États-Unis, 50 % des prêts aux PME sont accordés par le shadow banking, ce qui est par ailleurs inquiétant.
Toute la question réside dans la migration. La régulation bancaire s'est révélée totalement laxiste avant la crise de 2008. Le laxisme survient toujours dans les périodes fastes, et prépare la crise. Après la crise, on a demandé aux banques de provisionner davantage d'actifs sûrs, afin qu'elles s'auto-assurent contre les problèmes économiques. On pourra parler de la pénurie d'actifs sûrs, qui constitue actuellement un problème sérieux, ou de la stagnation séculaire...
Il peut aussi y avoir migration de l'activité. Comme aux États-Unis, les banques de détail, telles qu'on les connaît en France, peuvent ne plus avoir de marché, et les banques d'investissement, les hedge funds et les autres, peuvent commencer à servir les PME.
Cela soulève la question de l'égalité de concurrence. Si l'on impose trop de contraintes aux banques de détails et aux compagnies d'assurances - il faut en effet également tenir compte de « Solvabilité II » - l'activité risque de se déplacer vers le shadow banking, secteur qui, par définition, réalise de la transformation. Tout le monde en effectue : on emprunte à court terme, pour prêter à long terme. Les banques de détail, elles, opèrent de la transformation en ayant le backup de la banque centrale et des liquidités. Leur assurance-dépôt les stabilise, ce qui n'est pas le cas des banques de l'ombre.
Ce qui m'a choqué lors de la crise de 2008, c'est le fait que les banques d'investissement aient été sauvées. Des banques qui n'étaient pas régulées ont eu accès à l'argent du contribuable ! Il y a là un problème fondamental : elles ont « le beurre et l'argent du beurre » ! C'est une question importante, dont il faut tenir compte.
Il y a plusieurs réponses à ce sujet. Les instances internationales proposent de contrôler les banques systémiques, - banques de détail, banques d'investissement, hedge funds, etc. - qui, si elles éclatent, risquent d'entraîner des crises systémiques.
Dans ce cas, il faut augmenter les ressources des superviseurs bancaires, qui ont déjà bien du mal à réguler les banques de détail, les compagnies d'assurance et, aux États-Unis, les fonds de pension. Demain, on pourra leur demander de réguler les compagnies d'électricité, qui travaillent sur des produits dérivés, etc. Où s'arrêtera-t-on ? Il faut leur allouer des ressources ! On ne peut simplement demander aux régulateurs de tout surveiller sans leur accorder de ressources !
L'autre possibilité est d'éviter les effets systémiques. L'évolution vers les chambres de compensation et le marché centralisé, bien que trop lente, me semble une très bonne démarche, non que je sois opposé aux marchés de gré à gré, mais ceux-ci sont très difficiles à comprendre. Ce sont des transactions très spécialisées entre banques, qui emploient des produits extrêmement complexes, dédiés, et que seules deux ou trois personnes dans le monde comprennent. Pour le régulateur ou le superviseur bancaire, il est très difficile de suivre ce qui s'y passe.
Pourquoi a-t-on sauvé la banque d'investissement AIG ? On aurait pu faire comme pour Lehman Brothers... On est intervenu parce qu'on ne savait pas ce qui allait se passer. On n'avait alors aucune idée des produits dérivés qu'avait émis AIG. Les marchés centralisés offrent l'avantage d'une certaine transparence. Ils disposent de prix, d'appels de marges, et leurs risques sont évalués par le superviseur. Le travail est donc facilité. C'est ce qu'il faut comprendre. Les superviseurs ont cependant beaucoup de mal, les banques bénéficiant d'infiniment plus d'informations. C'est normal, mais il faut réduire cette asymétrie, afin de faciliter le travail des superviseurs.
Il existe encore beaucoup d'incertitudes sur le monde financier et sa supervision. On pourra y revenir, car ce n'est pas terminé. On est dans la bonne voie depuis 2008, mais le travail est loin d'être fini.
S'agissant de l'Allemagne, je suis relativement confiant quant au fait qu'elle ne « dévisse » pas. J'ai dit que ce pays avait effectué ses réformes en 2003 et 2004, alors qu'il n'avait pas encore « digéré » la RDA. Vous avez indiqué que l'évolution démographique apparaît très inquiétante. Les Allemands ont compris qu'ils étaient dos au mur : ou ils se réformaient, ou ils ne pouvaient s'en sortir du point de vue des finances publiques. Ils ont donc mené les réformes qui convenaient, en particulier celle du marché du travail. Le chancelier a été très courageux. Cela a remis l'Allemagne sur les rails, alors qu'elle était moribonde en 2003, et a changé ses perspectives.
De même, la Suède, lorsqu'elle a entrepris ses réformes, dans les années 1990, a pérennisé son modèle social qui, sans cela, n'existerait plus.
C'est ce qu'il faut bien comprendre : il s'agit actuellement de notre enjeu.
Enfin, concernant l'épargne, le problème provient du déséquilibre qui existe entre l'offre et la demande de produits sûrs, l'excédent des demandes provoquant d'importants problèmes.
Sur le marché de l'offre, la quantité d'épargne sûre a diminué au cours du temps. Récemment encore, un bon du trésor, une obligation d'État d'un pays de l'OCDE étaient considérés, d'un point de vue prudentiel, comme sûrs à 100 %. Les banques n'avaient donc pas besoin de mettre de capital en face.
Malheureusement, on le sait à présent, les obligations du trésor de l'OCDE ne présentent pas autant de sécurité qu'on le croyait. Certains actifs sûrs ont disparu.
Il en va de même pour l'immobilier : aux États-Unis, on jugeait celui-ci totalement sûr, non dans une seule ville, mais en se basant sur la loi des grands nombres. Cela s'est avéré faux, du fait des chocs agrégés.
L'offre d'actifs sûrs a donc diminué mais, en même temps, la demande a fortement augmenté. Les fonds souverains, la Chine, etc., y ont beaucoup investi, en particulier aux États-Unis. Vous avez entendu parler de la titrisation des subprimes qui, par manque de régulation, a été totalement dévoyée. Au départ, il s'agissait pourtant d'une bonne mesure, qui permettait de dégager le bilan des banques, et de lever plus de fonds propres. En outre, cela permettait aux actifs de rester sains, domaine dans lequel la demande étrangère était très forte. Les États-Unis ayant un système financier très développé, cela permettait d'alimenter la demande.
Enfin, il existe des demandes réglementaires émanant des régulateurs d'assurance, de fonds de pensions et de banques qui, dans le monde entier, en réclament beaucoup. On est donc dans un déséquilibre entre l'offre et la demande d'épargne, qui conduit à des prix d'actifs sûrs extrêmement élevés, entraînant des taux d'intérêt extrêmement faibles, qui posent parfois des problèmes considérables.
Il est certain que tout ceci va dans le sens de l'économie, mais il faut aussi qu'il y existe des perspectives. Les banques investiront dans les entreprises si elles constatent que ces dernières ont des perspectives.
On en revient à la question de la confiance dans l'avenir. On peut essayer de faire en sorte que les banques investissent dans les entreprises, mais si elles n'en ont pas envie, elles feront tout pour dissimuler leurs investissements, pour ne pas perdre d'argent. Il faut donc que les banques éprouvent une certaine confiance si l'on veut qu'elles investissent dans les entreprises.