Merci de m'accueillir pour ce premier échange. Je souhaite qu'il y en ait d'autres, le plus souvent possible, car je crois notre dialogue utile sur ces sujets de fond. Je vous présenterai d'abord le cadre général d'action de mon ministère et le sens de la politique que je veux conduire, en distinguant les plans local, national et européen. Pour être cohérente, notre politique économique doit les articuler et appliquer à chaque niveau la même exigence.
Au niveau de nos territoires, et de nos entreprises, je reprends l'important travail de défense du tissu industriel engagé par mon prédécesseur et son administration. J'ai pris à mon arrivée à Bercy les mesures nécessaires pour renforcer le rôle des commissaires au redressement productif, qui mènent un travail fondamental depuis deux ans aux côtés des préfets. Il est de la responsabilité de l'État, avec les acteurs locaux, de préserver l'activité des entreprises menacées. Je prendrai dans les prochaines semaines une circulaire pour ancrer le travail des commissaires dans celui de la direction générale des entreprises et le coordonner avec celui des services financiers de l'État.
Ce volontarisme défensif n'implique pas d'intervenir pour chaque entreprise en difficulté, mais de nous battre dans toutes les situations où cela en vaut la peine, lorsqu'un marché existe, lorsqu'une production est viable. Ce n'est pas le pan le plus médiatique de notre action ; les commissaires au redressement productif et le comité interministériel de restructuration industrielle, dont j'ai gardé les équipes inchangées, travaillent dans un esprit de discrétion et de responsabilité.
La responsabilité de l'État est aussi de fixer un cap. La labellisation la semaine dernière de neuf métropoles French Tech en est une traduction, qui distingue les écosystèmes entrepreneuriaux bien structurés.
Mon ministère ne perd pas de vue pour autant le quotidien de notre économie et de nos emplois. Les PME connaissent des difficultés sectorielles : Carole Delga mène un important travail sur le petit commerce et l'artisanat. Préparer l'avenir, c'est aussi parier sur nos entrepreneurs, qui sont les véritables moteurs de l'économie de l'innovation. Les start-up sont à l'origine de la création de la moitié des emplois en France : il faut les accompagner. La BPI consacrera 20 millions d'euros dès 2015 à la bourse French Tech. Contrairement aux idées reçues, les start-up ne concernent pas seulement quelques quartiers ou quelques territoires.
Cette nouvelle économie doit travailler avec l'économie classique, d'où le volet offensif de notre politique industrielle. J'ai repris les 34 plans mis en place par mon prédécesseur sous l'impulsion du président de la République. Ces 34 objectifs d'arrivée sur le marché de nouveaux produits portés par les industriels eux-mêmes, témoignent de la volonté de l'État d'accompagner PME et grands groupes. Véhicule consommant deux litres aux cent kilomètres, drones, traitement des données de masse, transition énergétique... aucun secteur industriel n'a été oublié. Je commencerai la semaine prochaine une revue des plans famille par famille, à commencer par celle du numérique, pour voir ce qui marche, ce qui marche moins bien, et où sont les synergies. À l'instar des pôles de compétitivité, les plans sont nombreux, et on ne peut donner la priorité à tout... Il ne s'agit pas de couper dans les crédits - ils sont préservés - mais de faire preuve de pragmatisme, de créer de la transversalité et de favoriser l'internationalisation des projets. Un plan est particulièrement important, décliné en région : celui de l'usine du futur, qui alliera industrie classique, numérique et services. C'est ainsi que nous rattraperons notre retard sur l'Allemagne en matière de robotisation.
Au plan national, je défends ce qui peut sembler un oxymore : la stabilité en mouvement. Nous avons pris de nombreuses décisions en matière fiscale et sociale, et fait un certain nombre d'annonces. Le pacte de responsabilité et de solidarité décidé le 14 janvier par le président de la République, décliné depuis avril par le Premier ministre, est une mesure importante. La priorité est de le stabiliser et de l'exécuter, afin de déclencher les comportements d'investissement des entreprises et de consommation des ménages. Quarante milliards d'allègements de charges des entreprises sur trois ans, c'est un engagement fort dans la situation contrainte où sont nos finances publiques, et un signal envoyé aux acteurs économiques. Ses résultats dépendent de l'esprit de responsabilité des partenaires sociaux, en alimentant, dans chaque branche, le dialogue social - dans lequel je vois aussi un facteur de compétitivité. Les résultats sont déjà là : le mois dernier, le coût horaire moyen de la France est devenu légèrement inférieur à celui de l'Allemagne. Il faut y voir les premiers effets du CICE, même si le dynamisme des salaires allemands a aussi joué un rôle important.
Nous n'en devons pas moins accélérer les réformes. C'est un enjeu de compétitivité et d'ouverture de notre économie. D'où ce projet de loi sur l'activité et la croissance, initié par Arnaud Montebourg. Il sera présenté en Conseil des ministres le 10 décembre et soumis au Parlement au premier semestre 2015. Il ne s'agit pas de stigmatiser telle ou telle profession, ni de faire des victimes expiatoires pour favoriser la croissance et redonner du pouvoir d'achat, mais d'accompagner la mondialisation au lieu de la subir, et de transformer notre économie. Notre devoir collectif n'est pas d'appliquer des réformes dictées par Bruxelles, mais de supprimer les blocages de notre économie pour faire baisser les prix, stimuler l'activité et, au-delà, recréer des opportunités pour nos concitoyens. Bref, favoriser l'égalité des chances économiques.
Nous ne stigmatisons pas les notaires. Le secteur fonctionne bien, il n'est pas question de toucher aux fondamentaux. Les actes authentiques resteront de la compétence exclusive des notaires. Nous ne voulons pas sortir du droit canon ! Mais regardez le notariat sous l'angle économique : nous avons perdu 600 offices depuis 1980, pendant que la population augmentait de 10 millions et les transactions de 250 %... Les notaires associés qui tiennent les offices sont à plus de 80 % des hommes de plus de 45 ans gagnant plus de 17 000 euros par mois. Les notaires salariés, qui ont les mêmes diplômes, sont en majorité des femmes de moins de 45 ans. Il y a donc bien quelque chose de grippé dans ce secteur. Les avocats ne sont plus une profession réglementée : leur moyenne d'âge est de 45-50 ans, et 53% d'entre eux sont des femmes. Il est paradoxal de parler de profession « libérale » à propos des notaires... On peut conserver l'ADN du notariat à la française, fait de sécurité juridique et d'un maillage fin du territoire, mais revoir les conditions d'accès à la profession, améliorer le service. Les notaires eux-mêmes y sont prêts, comme ils sont prêts à abaisser leurs tarifs : laissons-leur la possibilité de le faire, en ne fixant que des plafonds.
Quant à la politique d'ouverture du capital des entreprises, je souhaite une réforme ambitieuse de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié. Nous devons restaurer une épargne salariale abîmée, et l'ouvrir aux plus petites entreprises. C'est un moyen de créer de nouvelles collectivités humaines, et un facteur de compétitivité. Comme un grand chef d'entreprise du nord de la France avait coutume de le dire, « lorsque mes salariés sont aussi mes actionnaires, je leur parle différemment ». L'actionnariat salarié mobilise les jeunes et récompense ceux qui prennent des risques : nous souhaitons renforcer le dispositif actuellement en vigueur.
S'agissant du travail le dimanche, nous souhaitons, là encore, décloisonner les choses. Nous nous appuyons sur le rapport Bailly. Le régime sera simplifié ; davantage de pouvoir sera confié au maire pour les ouvertures dominicales, et la loi prévoira un mécanisme de compensation pour les salariés, qui n'existe pas aujourd'hui dans les zones d'intérêt touristique. Dans ces zones comme dans quelques grandes gares, là où existent des opportunités de supplément et non seulement de déport d'activité d'un jour à l'autre, un arrêté pourra autoriser l'ouverture des commerces le dimanche et en soirée, dans un esprit de concertation avec les acteurs locaux.
La réforme des conseils de prud'hommes a été conçue avec François Rebsamen et Christiane Taubira, à partir des grandes lignes de son projet de justice pour le XXIème siècle. La justice prud'homale est incertaine et lente : 27 mois de délai - mais 4 ans à Paris ! - et seulement 6 % de conciliation, qui était la justification première du système ; en outre, le taux de réformation des jugements est extrêmement élevé. Nous pouvons préserver l'esprit originel du système, le paritarisme, tout en réduisant les délais, améliorant la visibilité des peines par la fixation de barèmes, facilitant la conciliation.
Nous attendons beaucoup du débat parlementaire, car ce texte peut encore être enrichi. Il y a deux façons de l'aborder : soit comme une prise de risque inconsidérée ou une posture, mais ce n'est pas ma philosophie ; soit comme une tentative, en dépit de toutes les difficultés politiques, sociétales et de tous les corporatismes, de redonner à notre pays une forme d'espoir. Offrons aux Français la possibilité de prendre des initiatives, et cessons de regarder notre économie et notre société par le prisme des intérêts constitués, car ils sont impuissants à mobiliser toutes nos forces. Redonnons une espérance aux jeunes, à ceux qui se sentent condamnés aux marges, mais sont animés par une volonté et un esprit d'initiative.
Le sens de ces réformes est aussi à chercher au niveau européen, par où passe la réussite de notre pays dans la mondialisation. Pendant trop longtemps, à droite comme à gauche, on s'est laissé aller à la tentation d'injecter de l'argent public et de promettre aux Français une protection contre les réformes imposées par Bruxelles. Nous voulons faire l'inverse. Réduire les dépenses publiques est difficile et impopulaire. Mais les réformes que nous proposons sont nécessaires, pour le bien de notre économie, pour notre crédibilité vis-à-vis de nos entreprises et de nos partenaires, qui n'attendent que cela. Être exigeants avec nous-mêmes nous autorisera à l'être avec l'Europe, au moment où le plan du président Juncker engage 300 milliards d'euros d'investissements. Nous avons besoin d'un véritable plan d'investissement, susceptible de provoquer un choc macroéconomique et d'accompagner notre politique d'offre par une vraie politique de demande. Ce plan devrait nous faire profiter de 10 milliards d'euros en trois ans.
Outre la philosophie de mon action, j'évoquerai bien sûr sur le budget de mon ministère si vous le souhaitez.