Les six programmes de la mission « Justice » sont dotés de 9,24 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 7,94 milliards d'euros en crédits de paiement, en hausse respectivement de 21,91 % et de 1,71 % par rapport à 2014. La progression des autorisations d'engagement demandées pour 2015 correspond au renouvellement d'une majorité des marchés de gestion déléguée de l'administration pénitentiaire.
L'article 13 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 prévoit une augmentation de 1,2 % des crédits de paiement de cette mission en 2015-2017 par rapport à 2014, sous l'effet notamment de la création de 600 postes par an. Les emplois créés en 2015 se répartiront entre l'administration pénitentiaire (528 ETP), la protection judiciaire de la jeunesse (56 ETP) et la justice judiciaire (49 ETP), alors que 33 emplois seront supprimés dans le programme soutien « Conduite et pilotage de la politique de la justice ».
Si la justice apparaît bien comme l'une des priorités du Gouvernement, le budget qui nous est soumis et les créations d'emplois proposées doivent être considérés dans le contexte d'une sous-exécution chronique du plafond d'emplois, d'une performance contrastée et d'un retard de la France par rapport aux autres pays européens.
La dernière étude comparative des systèmes judiciaires de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice ne place la France qu'au 37e rang sur 45, selon le critère du budget de la justice rapporté au PIB par habitant. Selon les données de l'étude datant de 2012, la France comptait ainsi moitié moins de juges professionnels que la moyenne des pays du Conseil de l'Europe et quatre fois moins de procureurs. Nous comprenons mieux pourquoi ils sont tellement surchargés...
Le plafond d'emplois sur lequel se prononce le Parlement est en outre chroniquement sous-exécuté, ce qui pose la question de la sincérité budgétaire. L'écart entre le nombre de magistrats en activité et le plafond d'emplois atteint 1 244 emplois équivalent temps plein travaillés (ETPT), soit 13,6 %.
Dans ce contexte, les résultats de performance sont pour le moins contrastés. Les délais moyens de traitement des procédures civiles ont augmenté entre 2012 et 2013, et l'on anticipe un allongement par rapport aux prévisions du projet annuel de performances (PAP) annexé au projet de loi de finances pour 2014. La dépense moyenne de frais de justice par affaire pénale a progressé de plus de 8 % entre 2012 et 2013. La surpopulation carcérale augmente : le taux d'occupation des maisons d'arrêt s'établissait à 131 % en 2012 et à 134 % en 2013, la cible 2017 (133 %) ne visant qu'une très légère amélioration. Enfin, la dégradation des conditions de travail et l'insécurité croissante des personnels pénitentiaires se mesurent par l'augmentation, entre 2012 et 2013, du nombre d'évasions (de 3,8 à 4,4 évasions pour 10 000 détenus sous garde pénitentiaire directe ou en sortie sous escorte) et du taux d'agression contre un personnel ayant entraîné une interruption temporaire de travail (de 16,7 % à 21,5 %).
Quel écart entre les ambitions politiques du Gouvernement et les moyens alloués à la justice ! En particulier, l'augmentation des effectifs dans les juridictions d'application des peines et les services pénitentiaires d'insertion et de probation reste nettement insuffisante par rapport au surcroît de travail résultant de la création de la contrainte pénale par la loi du 15 août 2014. L'application des réformes judiciaires devrait être étalée dans le temps, afin de ne pas alourdir encore les tâches des personnels.
Enfin, plusieurs postes de dépenses apparaissent, une nouvelle fois, sous-dimensionnés : ainsi les frais de justice (449,9 millions d'euros), inférieurs de plus de 120 millions d'euros à la prévision d'exécution pour 2014, malgré les économies réalisées pour freiner leur augmentation.
Dans l'attente d'une réforme du financement de l'aide juridictionnelle qui pourrait intervenir en 2015, le financement complémentaire par des crédits extra-budgétaires, proposé à l'article 19 du projet de loi de finances, ne répond pas à l'objectif de modération de la pression fiscale et pénalise les détenteurs de contrats d'assurance de protection juridique. C'est pourquoi notre commission, sur l'initiative du rapporteur général, s'est prononcée pour une solution de financement pérenne et lisible : le rétablissement de la contribution pour l'aide juridique.
Si l'effort accompli dans le domaine de l'administration pénitentiaire est appréciable, l'objectif de 63 500 places de prison, sur lequel se fondait la programmation triennale 2013-2015, a été reporté à 2019, empêchant de mettre en oeuvre le principe d'encellulement individuel dans les maisons d'arrêt. La régulation budgétaire ayant porté en 2013 et 2014 sur les créations de places de prison, le solde annuel net moyen de 762 places sur la durée du quinquennat (2013-2017) reste inférieur de plus de moitié au solde net annuel de créations de places entre 2008 et 2012, lequel s'établissait à 1 575.
L'article 56 rattaché augmente le montant du droit de timbre dû en appel et allonge sa durée de perception, afin de financer les indemnités dues aux avoués dont l'office a été supprimé. Je vous propose d'adopter cet article qui tire les conséquences d'une sous-évaluation des dépenses et d'une surévaluation des recettes.
L'article 56 bis diffère de deux années supplémentaires l'entrée en vigueur de la collégialité de l'instruction, serpent de mer des réformes de la justice dont le principe a été voté en 1985, 1987 et 1993 et 2007, mais jamais mis en oeuvre faute de moyens, puisqu'il exigerait la création d'environ 300 postes de magistrats. Ce ne sera guère que son quatrième report... Un nouveau projet de loi devant être prochainement débattu au Parlement, je propose, dans l'attente de cette discussion, d'adopter cet article.
L'article 56 ter reporte de deux années supplémentaires l'entrée en vigueur de la suppression des juridictions de proximité. Comme pour l'article 56 bis, des consultations sont en cours en vue d'un débat parlementaire, même si aucun projet de loi n'a encore été déposé.
L'article 56 quater, enfin, reconnaît le caractère discriminatoire et abusif du licenciement pour faits de grève des mineurs grévistes en 1948 et 1952, et prévoit de leur verser, ainsi qu'à leurs ayant-droit, une allocation forfaitaire. Si je suis favorable à cet article qui répond à une situation spécifique et clôt un contentieux ancien ; je regrette néanmoins que son coût s'impute sur les crédits d'aide juridictionnelle destinés aux plus pauvres.
Je vous propose d'adopter sans modification les crédits de la mission « Justice », qui correspond à la mise en oeuvre d'une politique régalienne, ainsi que les articles 56 à 56 quater rattachés aux crédits de cette mission.