Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 24 juin 2014 : 1ère réunion
Proposition de contrat d'objectifs et de moyens entre l'etat et l'agence française de développement afd pour la période 2014-2016 — Examen de l'avis

Photo de Christian CambonChristian Cambon, rapporteur :

Deuxième point essentiel de nos remarques : le projet ne contient que très peu d'éléments sur les « moyens ».

Le projet de COM fixe d'abord un objectif de « croissance maîtrisée » du volume d'activité qui ne devra augmenter que de 9 % entre 2013 et 2016 pour atteindre 8,5 milliards d'euros, dont 1,6 milliard pour les outre-mer (1,5 en 2013 et 2014). Il faut remettre cet objectif en perspective des années passées où l'activité de l'agence augmentait plutôt de 10 % par an...

Cette cible sera atteinte, selon le projet de COM, grâce à trois vecteurs :

- l'amélioration du résultat qui, après 92 millions d'euros en 2013, devra atteindre 120 millions cette année et 135 millions en 2016 ;

- cette progression devra résulter d'une maîtrise des charges et d'une poursuite de l'amélioration du coefficient d'exploitation. Les charges ne pourront pas progresser au total de plus de 4,6 % entre 2013 et 2016 ;

- enfin, troisième aspect, le renforcement des fonds propres.

Historiquement, le résultat annuel était mis en réserve pour consolider les fonds propres, particulièrement nécessaires à l'agence en tant qu'établissement bancaire. Le modèle économique est en effet basé sur des engagements de prêts à long terme assis sur le résultat pour couvrir les risques. Or depuis 2004, l'Etat a prélevé tout ou partie du résultat de l'AFD : 100 % en 2006-2008 puis une moyenne de 76 % entre 2009 et 2012.

Cette pratique n'était pas durable pour l'agence, au moins pour deux raisons. D'une part, le renforcement des contraintes prudentielles internationales, notamment du fait des nouvelles règles dites de « Bâle III », nécessite une progression des fonds propres. D'autre part, ces mêmes règles interdisent à tout établissement de dépasser une exposition égale à 25 % des fonds propres sur une seule contrepartie, c'est-à-dire en pratique pour l'agence, sur un Etat. De ce fait, l'agence est déjà obligée de limiter ses interventions dans plusieurs pays historiques et importants pour la France, comme le Maroc, la Tunisie ou le Viêt-Nam.

Dans ces circonstances, un arbitrage interministériel a eu lieu le 8 novembre dernier ; il porte sur quatre points :

- une opération d'ordre comptable, pour un montant total de 840 millions d'euros, permettant de transformer en fonds propres une dette longue existante de l'agence envers l'Etat constituée d'emprunts sur trente ans. Le 28 mars dernier, une lettre du ministre de l'économie et des finances à l'AFD a précisé que cette évolution serait réalisée entre 2015 et 2017 mais sans indication des volumes annuels ;

- l'abaissement du dividende versé par l'Etat qui sera limité à 20 %. La lettre du ministre de l'économie précise que le prélèvement de l'Etat s'élèvera encore à 40 % pour le résultat des comptes 2013 et à 20 % pour 2014-2016 ; il serait ensuite réévalué ;

- la maîtrise des charges et l'augmentation du résultat ;

- enfin, « en tant que de besoin », l'annulation de dettes longues de l'agence envers l'Etat pour un montant maximal de 200 millions. Ce quatrième outil n'est pas même mentionné dans la lettre du ministre de mars dernier.

Pour protéger l'agence, qui a besoin de stabilité et de prévisibilité, le COM devrait intégrer précisément les conditions de l'arbitrage interministériel de novembre, à la fois pour l'opération de reclassement comptable, le plafonnement du reversement du dividende à l'Etat et l'éventuelle annulation de dette. Dans la rédaction qui nous est soumise pour avis, il est simplement fait référence à cet arbitrage interministériel, sans autre précision et alors même qu'il n'a pas été rendu public jusque-là... C'est pourtant bien l'objet du contrat d'objectifs et de moyens de fixer précisément les engagements réciproques de ce type.

Troisième point de nos remarques, la répartition géographique des activités de l'AFD.

Nous avons déjà évoqué à l'instant les évolutions très importantes dans l'utilisation des différents outils de l'aide au développement ; or ces évolutions ont un impact sur la répartition géographique des activités de l'AFD puisque les prêts ne peuvent pas être mobilisés, ou très peu, vers les pays pauvres.

Pour autant, nous devons aussi être conscients du fait que ces prêts sont un outil très utile pour la France, notamment en termes d'influence et de diplomatie économique dans les pays émergents, et ont un coût budgétaire relativement faible. Faciliter par un prêt le financement d'un grand projet d'infrastructure en Chine, en Indonésie ou au Brésil doit permettre d'entraîner de l'expertise française et, le cas échéant, des contrats pour des entreprises françaises. De ce point de vue, si l'AFD n'est pas une banque du commerce extérieur, elle est tout de même amenée aujourd'hui à jouer un rôle plus large que celui d'acteur de la politique de développement.

Si le COM reprend les objectifs de la loi d'orientation sur la répartition géographique (85 % de l'effort financier global pour l'Afrique et la Méditerranée ; les deux tiers des subventions pour les pays pauvres prioritaires), il ne s'agit pas d'une évolution puisque les résultats de l'agence pour la période précédente sont en ligne avec ces objectifs.

Surtout, ces objectifs risquent de masquer un engagement limité envers les PPP, comme nous l'avons vu tout à l'heure.

Or il ne nous semble pas que ces différents éléments soient antinomiques : la France peut continuer de s'appuyer sur les prêts dans les pays émergents, mais doit parallèlement « réinvestir » sur les PPP pour éviter l'impression de décalage entre les ambitions et les moyens. Le COM devrait donc inclure un objectif d'effort financier global sur les PPP, ainsi que sur le Sahel qui constitue une zone particulière et qui faisait l'objet d'un indicateur dans le COM précédent. Ces objectifs exprimés par rapport à l'effort financier, et non par rapport aux seules subventions, permettraient d'avoir une meilleure vision des réalités de notre politique.

Conséquence de cette ligne de conduite : si nous voulons afficher un objectif ambitieux vis-à-vis des PPP dans le contexte contraint des finances publiques, il nous semble nécessaire de réévaluer le niveau des contributions françaises aux organismes et fonds multilatéraux. Ceux-ci mènent des actions importantes et ont souvent mis en oeuvre des programmes réussis mais, par exemple dans le domaine de la santé, la France contribue parmi les premiers à un ensemble de fonds dits verticaux relativement dispersés. Ceci relève d'abord du Gouvernement et d'une décision stratégique, non de l'AFD dont la mission est de gérer pour l'Etat une grande part de l'aide bilatérale.

Cela nous amène cependant à notre quatrième point.

Le projet de COM reste très en retrait en ce qui concerne la coordination des bailleurs de fonds. Or elle est essentielle au regard du paysage actuel des acteurs de l'aide, notamment caractérisée par la montée en puissance des organismes multilatéraux, des fonds privés et de certains pays qui étaient auparavant - et parfois, encore - considérés comme des pays en développement (Chine, pays du Golfe...).

Le COM doit donc intégrer des objectifs plus ambitieux de coordination des bailleurs de fonds.

Dernier point de notre avis sur ce COM : les secteurs d'intervention.

Contrairement au COM précédent, ce projet ne contient pas d'objectifs en termes de secteurs d'intervention de l'agence, même si les grands enjeux de la politique de développement et de solidarité internationale sont fixés en introduction.

On peut tout d'abord regretter sur le plan symbolique que, pages 13 et 14 du projet de COM, la lutte contre la pauvreté soit mentionnée en deuxième position après le développement économique, même s'il est évident que le développement économique est primordial pour lutter contre la pauvreté.

Il nous semble en tout cas que le Gouvernement et l'AFD ne doivent pas délaisser les secteurs traditionnels d'intervention, comme l'agriculture ou l'eau, qui continuent de constituer des besoins et des demandes fortes de la part des populations locales. En outre, les modalités de déploiement de nos actions de coopération doivent être attentives à l'exercice des fonctions régaliennes dans les pays partenaires : les efforts de développement sont inefficaces voire inutiles si l'Etat de droit est inexistant ou si l'Etat s'effondre...

En conclusion, le projet de COM qui nous est soumis contient de nombreux objectifs, qui sont d'importance inégale. Il s'appuie sur quatre éléments généraux positifs :

- une croissance maîtrisée du volume d'activité de l'AFD, après une phase de progression très forte ;

- l'amplification de la prise en compte de partenariats différenciés qui soient adaptés aux niveaux de développement des pays partenaires ;

- une priorité marquée et transversale pour le développement durable ;

- l'idée de partenariats, notamment avec les collectivités locales, la société civile ou les entreprises.

Ce projet ne pose donc pas de problèmes particuliers et va plutôt dans le bon sens. Nous vous proposons d'émettre un avis favorable à son adoption, sous réserve des différents éléments que nous venons de vous présenter et qui sont précisément mentionnés dans la note que nous vous avons distribuée.

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