Votre rapport d'information sur la maritimisation indique que « l'importance économique, diplomatique, écologique croissante des espaces maritimes dans la mondialisation fait plus que jamais de la mer un enjeu politique grâce auquel un État peut rayonner et affirmer sa puissance sur la scène internationale ». Les questions maritimes sont d'autant plus primordiales pour les Outre-mer. Le plateau continental étendu est un sujet méconnu, parfois même au plus haut niveau de la sphère politique nationale. Seuls quelques spécialistes s'en préoccupent. Il est pourtant essentiel pour notre pays et nos territoires ultramarins.
Le rapport et l'avis dont je rends compte traitent de la possibilité pour la France d'étendre sa juridiction sur les ressources naturelles du sol et du sous-sol marins au-delà des 200 milles marins. Il s'agit exclusivement de l'espace maritime relatif au sol et au sous-sol marins situés au-delà des 200 milles marins et mitoyen de la Zone, espace maritime géré par l'Autorité internationale des fonds marins (Aifm) au bénéfice de la communauté internationale. Grâce aux territoires ultramarins, présents sur quatre océans, la France a la possibilité d'acquérir des droits souverains sur les ressources naturelles de près de 2 millions de km2 supplémentaires sur le sol et le sous-sol marins, soit trois fois la superficie du territoire français, Outre-mer compris, et quatre fois celle de l'Hexagone. La convention de Montego Bay, véritable Constitution des océans signée en 1982, dont 165 États sont parties à ce jour, y compris l'Union européenne, dispose dans son article 76 que les pays côtiers peuvent étendre leur juridiction au-delà des 200 milles sur le plateau continental étendu, lorsque le rebord externe de leur marge continentale s'étend au-delà. La Commission des limites du plateau continental (CPLC), commission scientifique, opérationnelle depuis 2000, dont les 21 membres sont élus par les États parties à la convention, est seule apte à émettre des recommandations sur les demandes des pays côtiers. Le délai pour déposer une demande d'extension était de dix ans après la date de ratification de la convention de Montego Bay.
L'extension du plateau continental au-delà des 200 milles marins signifie pour la France l'affirmation de sa juridiction et de ses droits souverains sur des ressources naturelles et un territoire nouveaux. Elle implique d'améliorer la connaissance et la préservation des ressources et de l'environnement marin dans le cadre d'un développement durable, de mettre en valeur l'espace du plateau continental étendu au bénéfice des collectivités ultramarine. Enfin, elle renforcera le rôle géostratégique de notre pays et de l'Union européenne dans le monde.
La France a ratifié la convention de Montego Bay en 1996 et avait jusqu'à 2006 pour déposer ses demandes, délai porté à mai 2009 par décision de la CPLC. Elle a mis en place le programme d'extension raisonnée du plateau continental (Extraplac) dont le budget et les objectifs ont été établis par le Comité interministériel de la mer (Cimer) du 29 avril 2003. Dix ans après le lancement du programme, cinq demandes (Golfe de Gascogne, Guyane, Nouvelle-Calédonie, Antilles et Kerguelen) ont été déposées et ont fait l'objet de recommandations de la CPLC ; quatre demandes (Archipel du Crozet, La Réunion, îles Saint-Paul-et-Amsterdam, Wallis-et-Futuna) sont en attente d'examen, celle de Wallis-et-Futuna datant de décembre 2012 ; deux demandes (Saint-Pierre et Miquelon et Polynésie française) demeurent à déposer à la suite d'informations préliminaires déposées en mai 2009 ; une information préliminaire a été déposée puis retirée deux jours après son dépôt, celle de Clipperton ; un dossier (la Terre Adélie) a fait l'objet de réserve de droits de dépôt dans l'avenir ; six dossiers n'ont pas été déposés (Saint-Barthélemy et Saint-Martin, les îles Glorieuses, Juan de Nova, Bassas de India, Europa et Mayotte). La souveraineté sur les ressources naturelles de 600 000 km2 supplémentaires a été obtenue.
Le bilan du programme Extraplac reste néanmoins insatisfaisant, car le budget alloué n'a pas permis d'atteindre les objectifs fixés par les Cimer successifs -dépôt des dossiers avant le 13 mai 2009, connaissance des ressources du sol et du sous-sol marins du plateau continental étendu, coordination de l'action des ministères concernés, publication des limites extérieures dans le cadre des recommandations de la CPLC. En outre, à quoi bon avoir obtenu des droits souverains sur les ressources naturelles de 600 000 km2 supplémentaires -peut-être 2 millions de km2 demain- si la France ne les exploite pas ? Ces ressources, mentionnées à l'article 77 de la Convention de Montego Bay restent largement méconnues.
Pour s'assurer une politique maritime efficace, la France doit finaliser le programme Extraplac, en revoyant son financement. L'enveloppe globale d'une vingtaine de millions d'euros est apparue faible à la délégation à l'Outre-mer comparée aux 100 millions engagés par le Canada ou aux 40 millions du Danemark. Il est important de finaliser le traitement des dossiers restés en suspens auprès de la CPLC. Le Canada refuse de reconnaître les droits souverains de la France sur l'extension du plateau continental de Saint-Pierre et Miquelon. Le dépôt du dossier français est la seule façon de conduire ce pays à négocier, car la CPLC n'a pas mandat pour examiner des dossiers faisant l'objet de différends portant sur des prétentions relatives au même plateau continental. S'agissant du dossier polynésien, il est essentiel de mener à bien les campagnes scientifiques pour l'ensemble de l'archipel, afin que le dossier soit complet. Le dossier de Clipperton doit être déposé pour affirmer définitivement la souveraineté de la France contestée par le Mexique. Enfin, les problèmes diplomatiques avec le Vanuatu doivent être réglés rapidement pour faire aboutir le dossier calédonien. Il est essentiel de fixer et de publier dans les meilleurs délais les limites maritimes sur la base des recommandations de la CPLC pour opposabilité au pays tiers. Cet objectif, non budgété, requiert la conclusion ou la finalisation d'accords de délimitation avec les pays voisins. Enfin, il faut conforter les moyens humains et budgétaires de la CPLC, pour raccourcir les délais d'examen des dossiers - quinze à vingt ans pour les derniers dossiers déposés par la France !
Pour garantir l'attitude exemplaire de la France face à ce nouvel espace maritime, nous recommandons de protéger et de surveiller les espaces concernés. Un programme national, pluridisciplinaire et ambitieux portant sur la connaissance, l'identification et la quantification des ressources du sol et du sous-sol devra être engagé, les recommandations des Cimer successifs en ce sens étant restées stériles. Enfin, il faudra mettre en place un programme de recherche scientifique marine visant à élargir la connaissance de l'environnement des écosystèmes et des habitats du plateau continental étendu. L'Union européenne doit être informée et associée aux programmes de la politique maritime française.
Le devoir de notre pays est aussi l'exemplarité dans l'encadrement juridique d'éventuelles activités d'exploration et d'exploitation de ses ressources. Nous recommandons d'établir cet encadrement juridique dans les meilleurs délais et plus particulièrement de réformer notre code minier désuet pour l'adapter à la situation particulière du plateau continental étendu au sein des espaces maritimes. Les responsables des collectivités locales et les parlementaires ultramarins -à l'exception de la Nouvelle-Calédonie- ont trop souvent été tenus à l'écart de l'élaboration des dossiers de demande d'extension du plateau continental et plus généralement de la politique maritime de la France. Ils doivent être informés et impliqués. Il est souhaitable que les territoires ultramarins accèdent aux ressources naturelles et aux activités économiques qui y sont liées, afin de compenser sensiblement leurs handicaps structurels. Des dispositions législatives et réglementaires relatives aux compétences des collectivités ultramarines seront adaptées et effectivement appliquées. Enfin, l'approche écosystémique, concertée et collaborative des questions maritimes, leur forte dimension interministérielle et internationale, l'éclatement des crédits budgétaires alloués conduisent à envisager le pilotage de la politique de la mer par un Haut-commissaire ayant rang de ministre, s'appuyant sur une administration renforcée, sous l'autorité directe du Premier ministre. Nous recommandons également l'élaboration d'une grande loi sur les océans afin de rassembler l'ensemble des législations et réglementations définissant le développement de la politique maritime de notre pays. Un document de politique transversale donnant une vision globale de la situation devrait faciliter l'organisation annuelle au Parlement d'un large débat sur la politique maritime française.