Je voudrais vous remercier pour votre attention constante à l'égard des politiques publiques du financement de l'audiovisuel et du cinéma et mettre en exergue une phrase du rapport de la Cour des comptes qui a retenu notre attention : « La gestion du Centre demeure mal connue, alors même que le CNC a de brillantes réussites à faire valoir ».
Pour nous, cette remarque pointe une forme de paradoxe. Nous avons parfois l'impression que notre modèle et notre brillante réussite sont finalement mieux connus à l'étranger qu'en France. Nous sommes copiés dans le monde entier alors que notre modèle suscite parfois des interrogations dans notre propre pays.
Quelques exemples... Demain, nous recevrons M. Youssou N'Dour, ministre de la culture du Sénégal, qui veut mettre en place dans son pays un CNC sur le modèle français après avoir vu que le CNC marocain, lui-même fondé sur le modèle français, avait permis au Maroc de tirer son épingle du jeu en matière de cinéma.
Nous avons également eu la visite, immédiatement après la révolution, du Gouvernement tunisien, et travaillons avec lui à mettre en place un CNC en Tunisie sur le même principe que celui que je vais décrire.
Ce n'est pas un hasard non plus si la ministre de la culture du Brésil a créé un CNC également fondé sur une taxe prélevée sur la téléphonie mobile qui va générer plusieurs centaines de millions de dollars en faveur du cinéma brésilien.
On peut ainsi multiplier les exemples : on connaît le cinéma extraordinairement dynamique de la Corée du Sud, qui a eu un prix à la Mostra, seul grand festival européen de cette année où la France n'ait pas obtenu le grand prix. En Corée, le KOrean FIlm Council (KOFIC) est construit sur la base du modèle français.
Il en va de même sur tous les continents : Philippines, Mongolie, Bhoutan, tous les grands pays qui veulent miser sur leur industrie audiovisuelle, l'une des plus dynamiques de l'économie mondiale - à l'exception des Etats-Unis qui ont leur spécificité et qui jouissent d'une position dominante - regardent le modèle français, y compris la Chine continentale qui ne comprend pas comment la France, sans quota sur les films américains, réussit à bénéficier d'une part de marché de 40 % dans le domaine de la production cinématographique. Nous avons des échanges quasiment mensuels avec la Chine.
Tous ces exemples démontrent que notre modèle intéresse. Je ne voudrais pas résumer la réussite française au CNC mais il est vrai qu'il apporte un soutien essentiel aux films. Il faut en produire suffisamment pour que la qualité soit au rendez-vous et puisse correspondre au goût de tous les publics.
Le CNC soutient également les salles de cinéma. Sans de belles salles et un réseau suffisamment maillé, il n'y a pas de réussite possible.
Enfin, le public français est l'un des plus éduqués du monde. Il n'y a qu'en France que les films de tous pays reçoivent un tel succès. Les cinéastes étrangers, comme l'Iranien Asghar Farhadi, viennent donc s'installer en France pour réaliser leurs films, et récoltent des oscars.
Nous avons une règle d'or, qui est également transposée à l'étranger, la distribution devant financer la création. La seule façon de résister au modèle américain est de construire une alternative avec un soutien public important.
Comme l'a montré le récent rapport de Marc Tessier sur la télévision connectée, la révolution numérique conduit à renforcer la position du CNC, les autres soutiens traditionnels ayant tendance à s'éroder et à s'infléchir. En France, nous disposons d'un modèle d'épargne en quelque sorte forcée qui permet de réinvestir dans la création, la distribution, la diffusion et l'exportation de ressources prélevées en aval sur une filière actuellement dominée par le marché américain. Ce lien est d'autant plus fort que 60 % des aides apportées au cinéma et 80 % de celles qui vont à l'audiovisuel sont des aides automatiques. Ce phénomène ne coûte rien au budget de l'Etat, le CNC ayant même pris des dépenses à sa charge.
La Cour des comptes a salué les réformes engagées par le CNC depuis 2004, date de son précédent rapport. La réforme budgétaire et comptable a permis d'accroître la clarté et la sincérité des comptes mais également la sécurité financière des engagements du CNC, source d'augmentation importante de notre volume de trésorerie.
Le transfert au CNC des opérations de recouvrement et de contrôle fiscal des principales taxes affectées est désormais réalisé à moindre coût. Les personnels sont couverts par un statut d'agents publics en bonne et due forme. La gouvernance et le cadre de l'action du CNC ont également été réformés avec la modernisation de la réglementation du secteur, et la création du code du cinéma et de l'image animée.
Le conseil d'administration se compose à présent, outre des représentants de nos tutelles « culture », « finances » et « éducation nationale », de magistrats, d'un membre de la Cour des comptes, d'un autre de la Cour de cassation, de représentants du personnel et de deux représentants du Parlement.
Autre chantier devant nous, celui du contrôle de la gestion et de la performance des aides. Nous avons eu une succession de contrôles et d'audits externes depuis dix-huit mois - inspection des finances, affaires culturelles, Cour des comptes, Mission d'Evaluation et de Contrôle (MEC) et Commission européenne. Tout cela n'a pas permis de développer totalement notre comptabilité analytique et de contrôle de gestion, qui reste notre priorité en matière de gestion.
Je voudrais maintenant revenir sur notre performance, effectivement reconnue en matière de cinéma. Elle est la conséquence de l'approfondissement de ce mécanisme initié en 1948 avec la taxe sur les salles de cinéma, transposée aux chaînes de télévision en 1986 et étendue en 2007 au champ des nouveaux réseaux, au nom de la neutralité fiscale et technologique et de la règle qui veut que plus le nombre de canaux de diffusion augmente, plus le volume d'heures de programmes demandées augmente aussi. Qu'il s'agisse de cinéma ou de programmes audiovisuels, il faut toujours fournir plus à ce secteur. C'est ce que permet le modèle des taxes affectées. Ces dernières doivent demeurer proportionnelles à l'évolution du chiffre d'affaires global dans ce domaine.
On a tendance à se focaliser sur la période récente, durant laquelle on a assisté à un rattrapage du retard qui existait. La Cour des comptes a réalisé un travail d'analyse très intéressant sur une très longue période et a mis en évidence qu'entre 1988 et 2000, le budget du CNC est passé de 224 millions d'euros à 480 millions d'euros, soit une hausse de 114 %. Il a donc davantage augmenté dans la décennie précédente qu'au cours de la décennie immédiate. Dans le même temps, les dépenses des ménages en programmes audiovisuels ont crû de 135 % entre 1988 et 2000 et de 107 % entre 2001 et 2011.
Le budget du CNC, qui a augmenté de 60 % autour de la même période, s'est en réalité développé moins vite, et le rattrapage réalisé grâce à la réforme de 2007 a permis de combler ce retard et de faire face à ce mouvement exceptionnel mais malheureusement ou heureusement durable qu'est la révolution numérique. Celle-ci conduit à bouleverser l'ensemble du champ audiovisuel et à démultiplier le nombre de programmes accessibles au consommateur, dont la durée de consommation a augmenté également au fil du temps.
Je voudrais également insister sur la question de notre performance en matière audiovisuelle. Elle est certes moins exceptionnelle qu'en matière de cinéma. On se réfère souvent à l'Allemagne, mais la performance de la France est bien meilleure que celle de tous les autres pays, y compris l'Allemagne, dont la part de marché est de moitié inférieure à la part de marché française. Ceci est également lié au nombre de films produits, la France produisant 207 films d'initiative française contre 132 films pour l'Allemagne.
Il est important de conserver cette proportion à l'esprit, notre part de marché de 35 % nous permettant de dépasser les films internationaux, dont les films américains.
Face à l'effondrement de la fréquentation en Italie, au Portugal, en Espagne, la France réussit à faire de mieux en mieux en parts de marché et en fréquentation mais aussi, par le très grand nombre de coproductions, à générer une économie en soutenant les grands cinéastes de toute l'Europe. C'est pourquoi l'ensemble des CNC européens est derrière la France dans son combat face à la Commission européenne concernant la taxe qui a été ajustée l'année dernière par le Parlement. Le Premier ministre est intervenu directement auprès de M. Barroso et nous ne désespérons donc pas de voir le sujet réglé prochainement. C'est essentiel pour l'intégrité de ce modèle, la neutralité fiscale et technologique devant fonctionner jusqu'au bout, que ce soit en matière de paradis fiscaux ou numériques.
Notre performance en matière d'animation est également exceptionnelle. Nous sortons environ dix longs métrages d'animation par an, fait unique au monde. Seuls les Coréens, les Japonais et les Américains peuvent en faire autant. Nos parts de marché augmentent. La progression du chiffre d'affaires à l'exportation de nos programmes audiovisuels a augmenté de 13 % en 2011.
La fiction française demeure cependant fragile, moins performante ces dernières années sur nos écrans que les fictions américaines. Il y a à cela deux raisons : les diffuseurs, notamment privés, ont fait le choix d'acheter des programmes américains sur étagère parce qu'ils coûtaient moins cher, ceux-ci étant déjà amortis sur leur marché principal. Ceci a permis, dans une logique de court terme, d'avoir des audiences satisfaisantes qui habituaient le public à des programmes d'excellente qualité. A l'inverse, les autres pays ont privilégié leurs fictions nationales.
De plus, le CNC a moins investi en proportion sur la fiction française que sur les autres genres, les diffuseurs investissant des moyens importants dans la fiction, la formatant ainsi un peu plus. Nous avons par ailleurs eu des besoins importants en matière de documentaires et d'animation. La solution est celle mise en oeuvre par le directeur général de Canal Plus, qui a engagé une nouvelle stratégie à l'égard de la fiction, en augmentant les moyens, que ceux-ci proviennent du CNC ou des diffuseurs, le CNC n'intervenant qu'en second rang. Pour mémoire, un épisode d'une série américaine coûte deux millions de dollars ; en France, on est plutôt à 700.000 euros. Il faut donc pouvoir augmenter pour être plus performant. Quand on le fait, on réussit même à exporter nos formats aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Jean Picq prônait une modernisation de l'Etat par le développement des agences. Dans le champ culturel, le CNC, en matière de politique du cinéma ou Le Louvre, en matière de politique des musées, sont numéro un et deux mondiaux. L'agence est-elle un gage de modernité, de gestion et de meilleure performance économique ? Nous avons la faiblesse de le penser, en tout cas pour le secteur culturel !