Intervention de Jean-Louis Carrère

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 juillet 2013 : 1ère réunion
Ratification de l'accord-cadre et de l'accord de libre-échange entre l'union européenne et la corée — Examen du rapport et des textes de la commission

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère, rapporteur :

président, en remplacement de M. Michel Boutant, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, nous sommes saisis de deux projets de loi de ratification de conventions, que nous examinons conjointement, et qui portent respectivement sur :

- l'accord-cadre entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République de Corée, d'autre part, signé le 10 mai 2010 ;

- et un accord de libre-échange entre l'Union européenne et ses États membres, et la République de Corée, pris en application de l'accord cadre, et signé le 6 octobre 2010.

Comme l'actualité vient de nous le rappeler s'agissant de l'ouverture des négociations avec les États-Unis, l'Union européenne -en l'occurrence la Commission- peut être chargée de négocier, en vertu d'un mandat précis qui lui est confié par les États membres, des accords avec des États tiers, qui portent le plus souvent sur les aspects commerciaux, dans lesquels l'Union a des compétences particulières. Dans ce cas, les accords conclus doivent naturellement être compatibles avec les règles de l'OMC. Mais les accords peuvent aussi avoir un champ plus étendu, et englober y compris le dialogue politique, comme c'est le cas de l'accord-cadre avec la Corée, qui est l'accord le plus large et le plus ambitieux conclu à ce jour par l'Union européenne.

23 états membres ont déjà ratifié ces deux accords, et la France figure parmi les derniers à ne pas l'avoir fait, aux côtés de la Grèce, de Chypre, de la Finlande (et de la Croatie, entrée le 1er juillet dans l'Union).

Je vous présenterai d'abord brièvement l'enjeu et le contenu de ces accords ;

J'insisterai ensuite sur les clauses de sauvegarde et les différents garde-fous qu'ils contiennent, auxquels j'ai été particulièrement attentif pour la préparation de mon rapport.

Quel est d'abord, l'enjeu de ces deux accords ?

L'accord-cadre vise à hausser les relations entre l'Union européenne et la République de Corée au niveau d'un partenariat stratégique. Il étend la coopération à de nouveaux domaines : en matière politique, de développement durable, d'éducation, de justice, de santé, de droits de l'Homme, ainsi que de non-prolifération des armes de destruction massive. Il tire les conséquences du rôle international croissant de la Corée, notamment en matière d'aide au développement.

L'accord de libre-échange, pris en application de l'accord cadre, succède à un précédent accord de 1996. La Corée n'est plus un pays émergent. La 15ème puissance mondiale, membre de l'OCDE et du G20, est à ranger aujourd'hui au rang des pays développés. Grâce à un remarquable effort d'éducation et de recherche, le pays s'est doté d'une industrie performante, qui compte parmi les leaders mondiaux de l'automobile, de la construction navale, de l'ingénierie, ou de l'électronique grand public. Les grandes sociétés du pays, Samsung, LG ou Hyundai sont devenues des groupes globaux. L'accord de libre-échange vise à approfondir encore les relations commerciales avec cette puissance commerciale montante de l'Asie.

Quel est, ensuite, le contenu des deux textes ?

L'accord-cadre comporte, en dix titres, toutes les dispositions non commerciales, en particulier relatives au dialogue politique. L'accord de libre-échange est quant à lui déjà entré en vigueur, à titre provisoire, en juillet 2011 (c'est original : nous nous prononçons sur un texte qui s'applique déjà !). Il constitue la plus ambitieuse libéralisation tarifaire mise en oeuvre par l'Union Européenne à ce jour. L'accord prévoit en effet une élimination quasi totale des droits de douane (de 98,7%), de manière échelonnée. L'accord lève certaines barrières non tarifaires aux échanges et met en place un cadre régulier d'échanges bilatéraux dans le domaine commercial.

Les premiers résultats sont favorables à l'Union Européenne et à la France, avec des nuances selon les secteurs. Les exportations européennes vers la Corée sont passées de 32 à 37 milliards d'euros entre 2011 et 2012, tandis que les exportations coréennes vers l'Union se sont érodées, à 38 milliards d'euros. Un an après l'entrée en vigueur de l'accord, l'Union a ainsi résorbé quasiment tout son déficit commercial (qui est passé de 11 milliards d'euros en 2010 à seulement 98 millions d'euros en 2012, qui serait positif au premier trimestre 2013). Des facteurs conjoncturels expliquent toutefois en partie ce redressement spectaculaire : grosses livraisons aéronautiques côté européen, croissance plus soutenue côté coréen. Les productions industrielles européennes (chimie, machines), animales et alimentaires (viande, produits laitiers, boissons, tabacs) et certains services de transport ont clairement bénéficié de l'accord. S'agissant des intérêts français, l'agroalimentaire, la pharmacie, les cosmétiques et le luxe sont les secteurs gagnants. A l'inverse, le textile-habillement pourrait connaître une détérioration de sa balance commerciale.

Quels sont, enfin, les différents garde-fous et clauses de sauvegarde qui sont prévus ?

Nous avons déjà plusieurs fois eu l'occasion d'évoquer ensemble la question de l'asymétrie entre un marché européen très ouvert et l'existence de barrières et protections plus ou moins avouées chez nos partenaires, qui fait apparaître l'Europe comme « l'idiot du village mondial », qui défavorise nos industries et qui nourrit la méfiance voire le ressentiment de nos concitoyens contre le projet européen. La question de l'accès aux marchés publics est cruciale, surtout pour nous qui pouvons vendre des prestations en matière de transport urbain, de ferroviaire, de bâtiments et travaux publics, d'assainissement...

Aussi, j'ai été particulièrement attentif à l'existence de différents garde-fous, dans le texte des accords avec la Corée. Chacun connait en effet la brillante réussite économique et le caractère particulièrement offensif des Coréens (rappelons-nous le contrat de 20 milliards de dollars pour la construction de 4 centrales nucléaires aux Émirats Arabes Unis, remporté par les Coréens contre le consortium EDF AREVA et TOTAL en 2009 !). Ne soyons donc pas trop naïfs.

Les textes me semblent offrir cinq types de garanties :

Premièrement, les marchés de défense ne sont naturellement pas couverts par ces accords, non plus, il faut le relever, que le nucléaire civil ;

Deuxièmement, « l'exception culturelle » est respectée : les services audiovisuels sont totalement exclus des accords, et s'agissant de la coopération culturelle, elle fait l'objet, à la demande de la France, d'un protocole distinct de l'accord commercial, qui organise les coopérations franco-coréennes dans ce domaine (avec des encouragements à des co-productions et à des échanges d'artistes...). Je témoigne, d'ailleurs, de notre partenariat très actif avec les Coréens à Angoulême, dans le domaine de la bande dessinée ;

Troisièmement, il existe une disposition qu'on pourrait qualifier d'anti « Cheval de Troie », obtenue là aussi à la demande de la France. La Corée offre en effet des ristournes de droit de douanes très favorables à des pays tiers, dont la Chine. Il ne faudrait pas que, par ce biais détourné, les productions chinoises ne pénètrent de façon non contrôlée sur le marché européen. Il existe donc une clause de sauvegarde spécifique, assortie de garanties écrites de la Commission européenne, avec la définition de seuils de déclenchement et un délai de réponse rapide (les consultations doivent être menées dans les 15 jours).

Quatrièmement, des comités de suivi et des groupes de travail veilleront à l'élimination des barrières non tarifaires. Si les droits de douane et les contingents sont facilement mesurables, la levée des obstacles règlementaires est plus difficilement quantifiable. Je pense non seulement à l'accès aux marchés publics mais aussi au démantèlement des normes, qui sont particulièrement importantes pour notre industrie agro-alimentaire, pour la cosmétique ou pour le luxe (c'est-à-dire pour nos exportations françaises). La suppression des barrières non-tarifaires devrait bénéficier également aux produits électroniques, pharmaceutiques et médicaux, puisqu'une reconnaissance des procédures de certification européenne est prévue.

On observe un certain raidissement coréen autour des questions règlementaires depuis l'entrée en vigueur anticipée de l'accord en 2011. Les textes prévoient que des comités de suivi mixtes veillent à sa mise en oeuvre : c'est très important, il faudra savoir y être influents, offensifs et persuasifs.

Enfin, la question la plus sensible est celle du secteur automobile. L'accord de libre-échange combine, certes, des contingents et une baisse des droits de douanes qui sont globalement plus favorables aux industries automobiles européennes pour leur accès au marché coréen. Toutefois, compte tenu de la situation de nos constructeurs et du caractère offensif des groupes coréens, la France, soutenue par l'Italie, a demandé et obtenu l'introduction d'une clause de sauvegarde spéciale en matière automobile, mise en oeuvre par un Règlement européen, afin de lutter contre des effets déstabilisateurs pour nos industriels, qui n'ont vraiment pas besoin de ça.

D'ailleurs, dans les mois qui ont suivi l'entrée en vigueur anticipée de l'accord, en 2011, on a craint un afflux massif de petites cylindrées coréennes. La France a demandé l'activation de la clause de sauvegarde en août 2012. La Commission et la direction du Trésor ont mené des études plus approfondies qui ont montré qu'après une hausse modérée en 2011, les importations automobiles coréennes s'étaient stabilisées en 2012 et avaient décru au 1er trimestre 2013. La clause n'a donc pas été activée. Réciproquement, les importations de véhicules européens en Corée ont progressé de 26 % en 2012, après une progression de 25 % en 2011 -principalement au bénéfice des voitures allemandes, mais pas seulement-. Restons attentifs !

En conclusion, Monsieur le Président, mes chers collègues, je pense que nous serons d'accord pour dire que, si ce type d'accords peut entraîner un bénéfice mutuel pour les deux parties, les chiffres le montrent s'agissant de la Corée, nous devons toutefois être particulièrement vigilants à la fois lors de la définition du mandat de la Commission, mais aussi au cours des négociations qu'elle mène en notre nom et, enfin, lors de leur application. Je pense à l'accord en négociation avec le Japon, ou à celui avec les États-Unis, notamment. Les intérêts en jeu sont trop importants, et au final ce sont nos emplois qui sont concernés.

Je vous propose de ratifier ces deux conventions et de procéder à leur examen en séance publique -le dernier jour de la session extraordinaire- sous la forme simplifiée.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte les deux projets de loi et propose leur examen sous forme simplifiée en séance publique.

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