Intervention de Françoise Tulkens

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 30 avril 2014 : 1ère réunion
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Audition de Mme Nicole Maestracci membre du conseil constitutionnel ancienne présidente du comité d'organisation de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive et Mme Françoise Tulkens ancienne présidente du jury lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive

Françoise Tulkens, ancienne présidente du jury lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive :

Merci de me recevoir.

Le jury a donc été désigné par le comité d'organisation et il a été composé d'acteurs impliqués dans le domaine de la lutte contre la récidive mais aussi de personnes venant de divers horizons : des journalistes, des philosophes ou un chercheur de l'université d'Ottawa... Le jury s'est réuni dans un temps extrêmement contraint, l'objectif étant de trouver des points d'accord sur la prévention de la récidive. Dans le rapport final, nous avons estimé qu'une nouvelle politique publique en ce domaine était indispensable. La prévention de la récidive tient, bien sûr, à la politique pénale mais surtout à la politique sociale. Ce thème majeur a guidé toutes nos propositions et je regrette de ne pas le retrouver dans le projet de loi.

Nos recommandations se sont organisées autour de certains principes d'action. Le premier d'entre eux était : comment punir dans une société démocratique ? Ce point est essentiel car la question des droits fondamentaux est au coeur du système pénal.

Quelle est la fonction des peines ? Cette question est récurrente et tourne souvent autour des notions de la prévention et de la rétribution. Pour nous, la fonction essentielle est celle de la réintégration et de la réinsertion dans la société. Il ne s'agit pas de délivrer des valeurs morales ou sociales, ni de régénérer le délinquant, mais de lui permettre de mener une vie compatible avec la société telle qu'elle est et donc de lui offrir des points d'appui pour sortir du parcours délinquant. L'article 1er du projet de loi ne va hélas pas dans ce sens, car il mêle amendement et réinsertion, ce qui est une toute autre logique. L'article 2 évoque l'individualisation : ce concept date du XIXème siècle. Si l'on veut individualiser, il faut modifier de façon substantielle le champ des interventions. La prison n'est pas un lieu d'individualisation, car tout y est standardisé.

Le jury a estimé qu'il fallait sortir de la centralité de la peine de prison, invention du XIXème siècle. Aujourd'hui, il est essentiel de dire que la prison n'est qu'une peine parmi d'autres, et non la peine de référence ou la peine première. Le projet de loi ne s'oriente pas en ce sens, même si la motivation de la peine par rapport à la personnalité de l'individu est prévue, mais nous savons tous que la notion de dangerosité est sujette à caution.

Certains nous ont reproché de ne pas être allés assez loin en ne proposant pas d'abolir la prison : nous n'aurions jamais obtenu de consensus sur une telle déclaration !

À la « contrainte pénale », je préfère la « peine de probation », plus fidèle à l'esprit du cadre européen. Le Conseil de l'Europe définit la probation comme « l'exécution en milieu ouvert de sanctions et mesures définies par la loi et prononcées à l'encontre d'un auteur d'infraction. Elle consiste en une série d'activités et d'interventions qui impliquent suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l'auteur d'infraction dans la société et de contribuer à la sécurité collective ». La peine de probation est une sanction indépendante, à part entière, qui regroupe l'ensemble des peines non privatives de liberté. Ici, il faut y insister, c'est une peine substitutive qui est créée, non une peine alternative. Le terme de « probation » insiste sur le suivi individualisé. J'avoue que j'ai eu un coup au coeur en découvrant à la lecture du projet de loi que la probation était placée tout en bas de l'échelle des peines. J'y vois un risque, celui de repousser encore la réflexion sur la place de l'emprisonnement dans l'ensemble des sanctions pénales. Il serait dommage d'en être toujours là dans dix ans !

Pour mener une politique responsable en matière de sécurité collective, il faut avoir le courage de dire que l'emprisonnement n'est qu'une peine parmi d'autres. C'est un pari, mais il a été longuement pensé et organisé, avec une série d'études à l'appui. Laxisme ? Tolérance excessive ? Proposer des mesures qui pourraient être efficaces dans la lutte contre la délinquance, c'est tout sauf du laxisme. De tels mots ne servent qu'à interdire tout débat sérieux sur la question.

Il faut revoir le périmètre pénal, c'est indispensable. La tâche en revient au législateur. Or le projet de loi ne prévoit rien en la matière. C'est dommage. Si l'on continue à criminaliser à outrance dans tous les domaines, la politique pénale deviendra impossible. La récidive est au coeur de ce projet de réforme. Il faut non seulement la prévenir, mais mettre en place une politique publique de prévention de la récidive qui ne soit pas forcément pénale - sinon on court à l'échec. Le projet de loi prévoit la suppression des peines planchers : je m'en réjouis. Cela contribuera à la paix sociale, car elles n'ont pas de sens. C'est avant tout pour les récidivistes qu'il faut aménager les peines, afin d'éviter de répéter ce qui n'a pas marché auparavant. L'article 7 sur l'abaissement du seuil permettant un aménagement de peines reste mystérieux : il contredit l'esprit général du texte.

La libération conditionnelle n'est pas une faveur faite au condamné. J'ai été heureuse de constater, à la conférence de consensus, qu'aucun de nous, malgré nos différences, ne pensait plus cela. C'est une mise en liberté responsabilisée, avec un suivi individualisé, une surveillance, des conditions à remplir. À tel point que la plupart des détenus la refusent - ce qui reste paradoxal, car la prison ne réinsère pas. La libération conditionnelle devrait être accordée systématiquement, sauf si le juge estime que des raisons s'y opposent. Pour la conférence de consensus, ce devrait être le mode normal de libération, pour les récidivistes comme pour les autres. L'article 16 ne modifie pas beaucoup la situation actuelle. Le plus problématique reste l'accès des détenus aux dispositifs de droit commun. La conférence de consensus avait fait une recommandation sur ce point. Peut-être fera-t-elle l'objet d'un autre texte ?

Une autre recommandation qui n'a pas été reprise concerne la suppression des mesures de sûreté. Le sujet relève du débat politique et social. À terme, ces mesures devront être supprimées, pour répondre aux exigences de la convention européenne des droits de l'homme.

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