Intervention de Robert Badinter

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 30 avril 2014 : 1ère réunion
Prévention de la récidive et individualisation des peines -Audition de M. Robert Badinter ancien garde des sceaux ancien président du conseil constitutionnel

Robert Badinter, ancien garde des Sceaux, ancien président du Conseil constitutionnel :

La contrainte pénale et sa mise en oeuvre doivent être expliquées. C'est une tâche d'autant plus difficile que pour l'essentiel, elle existe déjà. Les modalités du sursis avec mise à l'épreuve y correspondent. Il faudra préciser ce que la contrainte pénale apporte de nouveau. La prison inclut le sursis ; la probation inclut le sursis avec mise à l'épreuve. Les trois piliers sont un moyen efficace de clarifier l'originalité de la réforme.

Le sens et la fonction de la peine sont deux choses distinctes. La fonction de la peine est bien connue : rétribution, dissuasion et réinsertion - c'est l'esprit que nous devons faire souffler. L'échec de la réinsertion est un échec de la peine. La réinsertion doit commencer au premier jour d'exécution de la peine, c'est une exigence posée par le Conseil de l'Europe et le Sénat s'honorerait à l'inscrire dans le projet de loi. Dans un dispositif de droit pénal, la peine a une fonction répressive mais aussi une fonction expressive, c'est-à-dire qu'elle exprime certaines valeurs. Le présent projet est un texte de procédure pénale cependant, qui vise d'abord à clarifier et à améliorer la mise en oeuvre de la loi pénitentiaire. Il est d'abord technique.

Une remarque : dans l'avenir, cette loi restera comme une consécration du pouvoir des magistrats en charge de l'application des peines par rapport à celui des juges du tribunal correctionnel. Le transfert de pouvoir de la formation de jugement au juge d'application des peines (JAP) est considérable. Cela restera dans l'histoire de la sanction pénale.

La question des moyens est au coeur des interrogations. L'étude d'impact me paraît optimiste. Si l'on considère le nombre de juges et de greffiers prévus, particulièrement dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip), l'enveloppe ne suffira pas. Or, que de réformes ont échoué dans le passé faute de moyens...

Un texte de procédure pénale qui ne renforce pas la fermeté à l'égard des auteurs se heurte forcément à l'incompréhension des victimes. Qu'apporte le texte aux victimes ? Une mesure me semble étrange : faut-il vraiment faire connaître à la victime le jour où la peine expire ? N'est-ce pas contribuer à faire resurgir la souffrance après de nombreuses années, ou bien courir le risque de ranimer un désir de vengeance ? Je ne vois pas en quoi cette disposition d'information est utile. Quant à l'impact des témoignages à la télévision, je le connais : après l'abolition de la peine de mort, j'ai vécu huit ans en confrontation télévisée avec des parents de victimes. Rien n'est plus douloureux que le visage des victimes. Face à leurs témoignages, tout discours rationnel est insupportable. Ce déséquilibre entre la rationalité et l'émotion est structurel à l'image.

J'ai observé la montée récente de la vengeance, supplantant la justice dans les textes de loi. Ceux-ci se font toujours plus répressifs pour soulager la douleur des victimes. Il faut avoir la plus grande humanité vis-à-vis des victimes. Cependant considérer la justice pénale comme un lieu de catharsis pour la souffrance et le deuil des victimes, ou bien comme un cadre que l'Etat met à leur disposition pour satisfaire une forme de vengeance, est la grande erreur des dernières décennies. Sans doute cette évolution tendait-elle à réparer une certaine froideur de l'institution. Mais on est allé trop loin et je m'interroge sur l'avenir de cette justice pénale mise au service de la vengeance. Il y a comme un retour à un lointain passé.

Je le répète, enfin, ramener l'aménagement des peines à un an n'est pas concevable, il ne faut pas céder sur ce point.

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