Avec 15,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » est la quatrième du budget général, et la première en termes d'intervention de l'État auprès des ménages. Constituant le coeur du financement par l'État de la solidarité en faveur des personnes vulnérables, elle est concentrée sur quelques dispositifs d'intervention coûteux, mais fondamentaux pour notre cohésion sociale, particulièrement en ces temps difficiles : l'allocation aux adultes handicapés (AAH), les établissements et services d'aide par le travail pour les travailleurs handicapés, le revenu de solidarité active (RSA) « activité » et la protection juridique des majeurs.
Le budget triennal 2015-2017 prévoit la poursuite de l'augmentation des crédits, qui atteindront environ 16 milliards d'euros en 2017 - hors compte d'affectation spéciale « Pensions ». Il s'agit d'une augmentation d'environ 500 millions d'euros en deux ans. Cette hausse résulte principalement de l'évolution de deux dépenses : l'AAH, qui coûtera 8,5 milliards d'euros en 2015, et la partie « activité » du RSA, qui représente plus de 1,9 milliard d'euros. Si nous nous référons aux années passées, il est à craindre que l'augmentation de 500 millions d'euros programmée soit insuffisante. Le Gouvernement a engagé en 2013 une revalorisation du montant du RSA de 2 % par an sur la durée du quinquennat, engagée en 2013. Elle absorbera à elle seule la moitié de la hausse de 500 millions d'euros. Si l'on y ajoute la hausse de l'AAH, les mesures de protection juridique des majeurs et d'autres prestations obligatoires prévues par la mission, il n'y a guère de doute que le plafond sera dépassé.
Le programme n° 304, le principal pour l'inclusion sociale, porte essentiellement les dépenses de RSA « activité » et de protection juridique des majeurs. Ses crédits augmentent fortement car son périmètre change. Il accueille deux actions jusqu'alors portées par le programme n° 106, qui disparaît. Cette simplification de la maquette est bienvenue. Par ailleurs, le Fonds national des solidarités actives (FNSA) était jusqu'en 2014 financé par une ressource propre, issue du prélèvement de solidarité sur les revenus du capital, complétée par une subvention d'équilibre de l'État, qui était portée par le programme n° 304. Pour des raisons de clarté et de prévisibilité des recettes, le Gouvernement a décidé de faire porter l'intégralité du financement du FNSA par la subvention de l'État du programme n° 304, qui augmente donc de 1,7 milliard d'euros. Cette re-budgétisation était souhaitable en raison de la volatilité de la recette affectée.
Malheureusement, cette clarification est mise à mal par une affectation exceptionnelle de 200 millions d'euros en provenance du FNSA, opérée, qui plus est, en violation de l'article de loi créant la contribution de solidarité des fonctionnaires. La tuyauterie budgétaire doit respecter les utilisations prévues pour chaque contribution.
La dépense de RSA « activité » va augmenter fortement, en raison du contexte économique difficile et de la revalorisation exceptionnelle, pour atteindre 1,9 milliard d'euros en 2015.
Le Gouvernement supprime l'aide personnalisée pour le retour à l'emploi (APRE), coup de pouce à l'insertion des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), dont j'avais souligné l'utilité l'an passé dans mon rapport de contrôle budgétaire. Je regrette que, sous l'effet de la contrainte budgétaire, la mission « solidarité » se réduise à ses seuls dispositifs de guichet et que disparaissent ou soient réduites les interventions plus ciblées ou les subventions aux associations, qui animent sur le terrain la politique de solidarité.
Le programme n° 304 comporte également d'autres dispositifs d'intervention, dont l'aide alimentaire, qui nous tient particulièrement à coeur, et à laquelle 32 millions d'euros sont alloués en 2015, en complément de quelque 70 millions d'euros provenant d'un fonds européen. Cette somme finance notamment les épiceries solidaires et sociales, initiative très intéressante qui aide les plus démunis tout en leur permettant de conserver, ou de retrouver, la dignité et l'estime de soi dans l'acte de consommer.
Au programme n° 157, le plus important de la mission, les crédits de l'AAH augmentent légèrement pour atteindre 8,524 milliards d'euros. Par rapport à la prévision de dépense actualisée de 2014, cette augmentation n'est que de 50 millions d'euros. Or, la seule revalorisation annuelle normale liée à l'inflation représente 80 millions d'euros. Si l'on y ajoute la progression continue, quoique légèrement ralentie, du nombre de bénéficiaires, il est très probable que cette ligne budgétaire soit sous-dotée et qu'un abondement en cours de gestion soit nécessaire.
Je regrette la faiblesse de l'effort programmé pour les établissements et services d'aide par le travail (ESAT), qui font travailler des personnes handicapées, notamment des handicapés mentaux : aucune nouvelle place n'est construite et l'aide à la modernisation se limite à 2 millions d'euros, alors que les premières conclusions de mon contrôle en cours sur ce sujet montrent des besoins criants en la matière.
Le programme porte également les crédits de fonctionnement de l'État pour les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). La baisse de 10 millions d'euros est compensée par une contribution exceptionnelle de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Cette tuyauterie budgétaire, destinée à compenser provisoirement la raréfaction des ressources de l'État, est regrettable.
Le programme n° 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » est le plus faible de tout le budget général, avec seulement 25 millions d'euros. Il comporte essentiellement des subventions à des associations, globalement stables depuis trois ans - c'est-à-dire qu'en tenant compte de l'inflation, elles diminuent.
Le programme n° 124 est le grand programme support des politiques sociales, sanitaires, de la jeunesse et des sports. Il contient les crédits de fonctionnement et de personnel de ces administrations, au niveau central et au niveau déconcentré. En hausse de 10 %, les dépenses informatiques s'établissent à 27 millions d'euros, afin de combler ce que la directrice générale de la cohésion sociale, Sabine Fourcade, a qualifié de « sous-informatisation » du ministère. Par exemple, les décisions d'orientation des personnes handicapées ne sont pas suivies. Le plafond d'emploi des directions est réduit de 253 équivalents temps plein travaillé (ETPT) - uniquement dans les catégories C et B. Celui des agences régionales de santé (ARS) est réduit de 100 ETPT. Au total, depuis 2011, les administrations sociales ont perdu plus de 800 postes, soit près de 10 % du total, ce qui est considérable. Peut-on continuer ainsi sans remettre en cause les missions qui leur sont confiées ?
Ainsi, malgré l'importance de cette mission pour la cohésion sociale dans notre pays, je propose, en raison de ces baisses continues d'effectifs dans l'administration, de la suppression des dispositifs d'intervention ciblés comme l'aide personnalisée de retour à l'emploi (APRE), comme de la probable sous-dotation de l'AAH, de ne pas adopter les crédits de la mission.