Avec 66,4 milliards d'euros en crédits de paiement pour 2015, la mission « Enseignement scolaire » constitue le premier budget de la France, du moins tant que les taux d'intérêt restent mesurés... Elle figure parmi les seules missions du budget de l'État dont les crédits augmentent (+ 2,21 %), alors même que les effectifs sont stables, dans le primaire comme dans le secondaire. Cette tendance devrait se poursuivre : sur l'ensemble de la programmation triennale 2015-2017, les crédits de la mission progresseront de 1,31 %.
Dans cette mission, 93 % des crédits sont alloués à des dépenses de personnel. Le plafond d'emplois de la mission représente à lui seul 43 % du total de l'État au sens large. Le moindre éternuement sur le statut des personnels a donc un impact budgétaire massif.
Le projet de budget qui nous est soumis présente des aspects positifs. Ainsi, certains auxiliaires de vie scolaire pourront prétendre à un contrat à durée indéterminée (CDI) après six années de contrat à durée déterminée (CDD). L'État respectera ainsi ses obligations, comme tout autre employeur. Les efforts des précédents gouvernements pour améliorer la scolarisation des enfants handicapés seront également poursuivis. Enfin, le renforcement de la formation initiale des enseignants, pour complexe que le dispositif en puisse apparaître, est bienvenu : il s'agit d'un des paramètres de la performance de notre système scolaire.
En revanche, ce budget comporte deux biais majeurs. Il se concentre sur la question des effectifs d'enseignants, comme si c'était la seule solution à tous les problèmes, et il laisse de côté des questions plus fondamentales. Qui sont les élèves et comment l'enseignement devrait-il être organisé pour eux ? Une politique conservatrice des effectifs se substitue à une réflexion qualitative plus globale sur l'offre scolaire.
Nous connaissons les enjeux comme élus, parents, voire grands-parents : décrochage scolaire, persistance voire accroissement des inégalités selon l'origine sociale des enfants, résultats très médiocres des élèves français dans les comparaisons internationales. L'unique réponse du Gouvernement semble consister à augmenter les effectifs. Ainsi, 9 561 postes seront créés en 2015, pour un coût direct annuel de 300 millions d'euros - à multiplier par les quarante années de vie professionnelle - et un coût indirect considérable, dans le primaire comme dans le secondaire, lié à la formation.
Cette politique du chiffre se heurte à une réalité qui n'avait pas été prévue lorsque le Président de la République a pris l'engagement de créer 60 000 postes supplémentaires dans l'éducation, mais l'analyse de l'exécution 2013 fait apparaît un faible rendement des concours : seulement 72 % des postes ont été pourvus dans le second degré. Dans les académies de Créteil et Versailles, le taux d'amission s'élève à plus de 60 % au concours externe 2014 de professeur des écoles, ce qui est problématique : la poursuite de cette politique du chiffre ne risque-t-elle pas de se traduire par une diminution du niveau attendu aux différents concours de recrutement ? Le turnover de la profession augmente. Si les plus anciens retardent leur départ en retraite pour bénéficier du taux plein, les départs en cours de carrière se multiplient. Il faut en tenir compte.
La politique d'augmentation des effectifs se traduit par une diminution du contingent d'heures supplémentaires effectivement réalisées depuis 2012, de sorte que l'offre scolaire n'augmente pas en proportion du nombre de postes. C'est la contrepartie de ce qui a été fait entre 2007 et 2012, où la réduction apparente des effectifs était compensée par le maintien de l'offre scolaire, grâce à toutes sortes d'artifices, par exemple en augmentant les heures supplémentaires ou en jouant sur la comptabilisation des stagiaires. Ne vaut-il pas mieux des professeurs qui travaillent plus, sont mieux payés, plus présents et deviennent expérimentés que des effectifs plus nombreux, qui travaillent moins et quittent plus facilement l'enseignement parce qu'ils n'y trouvent pas leur compte ?
Le foisonnement des options, en particulier dans le secondaire, a un coût et il renforce les inégalités. Bien sûr, comme sénateurs, nous nous attachons à défendre nos établissements. Mais les moyens dépensés dans les régions qui perdent des habitants manquent cruellement dans celles qui en gagnent.
L'augmentation des moyens ne s'est pas traduite par une amélioration des résultats enregistrés par le système scolaire français. Les rapports anciens sur le sujet reflètent la nostalgie d'une école du passé idéalisée. Le système d'évaluation actuel permet du moins des comparaisons internationales. Le système scolaire français y enregistre des résultats moyens, voire médiocres, et déclinants. Surtout, l'écart entre les élèves les plus forts et les plus faibles tend à s'accroître. Cela n'augure rien de bon, et témoigne des effets limités de l'école républicaine sur l'ascension sociale.
Dans Comment sommes-nous devenus si cons ?, Alain Bentolila considère que cette stagnation du niveau des élèves français tient à la fois à des facteurs exogènes et à des phénomènes plus profonds, à des effets de groupe. Je suis très préoccupé de l'avenir des jeunes hommes dans notre pays