Venant d'un département où la densité de population est de trente et un habitants au kilomètre carré - entre dix et quinze pour certaines intercommunalités - je connais, comme Jacques Genest, le problème des mobilités excessives. Cela recoupe la remarque de Jean-Claude Requier : les enseignants ne viennent dans ces zones que par obligation. Lorsque nous avions des écoles normales départementales, les instituteurs qui en sortaient avaient choisi un milieu qu'ils connaissaient. Il y a bien là, aujourd'hui, un problème de gestion du personnel.
Je suis plus nuancé sur les écoles de trois classes : leur pertinence dépend de la longueur du ramassage scolaire.
Je crois à la responsabilité du directeur d'école, je crois à son autorité sur les enseignants, je crois à la communauté éducative. Encore faut-il qu'il y ait une communauté éducative suffisante pour suivre les élèves...
Je ne reviens pas sur les inégalités introduites par le dispositif relatif aux rythmes scolaires : c'est une évidence.
Monsieur de Legge, sur l'article 55, attendons de savoir ce qu'en dira l'Assemblée nationale. C'est la raison pour laquelle nous demandons la réserve, Madame Des Esgaulx. Je suis un homme de conviction, mais je veux laisser à toutes les parties, y compris à la défense, le temps de s'exprimer.
Il s'agit bien à l'article 55 d'un amorçage. Cette affaire n'est pas terminée, parce qu'elle pose davantage de problèmes qu'elle n'en règle. Tout est dit - tout, à vrai dire, et son contraire. Comme le soulignait Francis Delattre, l'Éducation nationale se prive du concours des élus locaux, alors que ceux-ci déploient, à tous niveaux, des trésors d'imagination et parfois de générosité pour résoudre des problèmes qui leur sont familiers. Si les préfets et les recteurs, mutés presque aussi souvent que les instituteurs, ne connaissent pas le terrain, les élus ont le souci de se succéder à eux-mêmes : ils ont ainsi réglé, entre autres, les problèmes du périscolaire, avant et après les heures de classe : les garderies, les demi-pensions, le soutien scolaire... Nous n'avons pas attendu Vincent Peillon pour prendre notre part de responsabilité en fonction des moyens dont nous disposions. Toutes les difficultés récentes sont venues du caractère obligatoire du dispositif uniforme que l'on nous a imposé. Les élus sont pourtant des partenaires d'autant plus utiles de l'Éducation nationale qu'ils ont avec les parents un contact qui fait parfois défaut aux enseignants.
Le terme d'« amorçage » signifie bien que le Gouvernement a l'intention de se retirer lorsqu'il pourra le faire. Mais il en sera sans doute empêché par des raisons politiques liées à l'enjeu de l'égalité évoqué par Jacques Genest.
Je partage le point de vue de Jean-Claude Requier, mais le monde rural a changé. Il existe désormais des rurbains ou des ruraux périurbains, qui font du rural une utilisation passagère, et n'ont pas le même enracinement que les véritables ruraux. À l'heure du centenaire de la première guerre mondiale, je suis nostalgique des écoles normales départementales et des hussards noirs de la République.
Le problème, c'est que l'enseignement ne provoque pas de gains de productivité. Il faut toujours doter les élèves d'un enseignant. À titre de comparaison, voyez le nombre de vaches ou d'hectares dont peut s'occuper un agriculteur d'aujourd'hui, et combien il en exploitait hier. Tous les métiers ont gagné en productivité sauf celui d'enseignant : voilà la raison de la dégradation relative de sa situation. Nous verrons lorsque nous aborderons le statut des enseignants les réponses à y apporter.
Je rejoins Marie-Hélène Des Esgaulx : répondre aux problèmes de l'éducation nationale par la création de nouveaux postes n'est pas une bonne idée. Ce serait faire semblant de régler les problèmes, sans les traiter en profondeur. S'il y avait une négociation sur les pouvoirs des chefs d'établissement, leur autorité sur les enseignants, et la réforme du statut, nous pourrions faire des efforts dans ce sens, dans une logique donnant-donnant. Mais donner de nouveaux effectifs à un système qui ne les gère pas... Autant souffler dans un violon. Je remercie également Marie-Hélène Des Esgaulx d'appeler notre attention sur le siphonage des crédits de la CAF par le périscolaire.
Je suis entièrement d'accord avec Francis Delattre. Les élus locaux connaissent leur territoire : ils sont la réponse à l'évolution différenciée de l'enseignement selon les caractéristiques sociologiques des territoires. Tout se joue en effet entre quatre et huit ans. Les principaux partenaires restent les enseignants, les élèves et leurs familles. Or celles-ci ont de plus en plus vis-à-vis de l'éducation nationale une attitude de consommateurs : elles mettent leur enfant à l'école comme leur voiture chez le garagiste, et entendent récupérer celle-ci réparée et celui-là éduqué. Cela ne marche pas comme cela ! Les adultes doivent se montrer solidaires pour encadrer les enfants diaboliques - chaque enfant est tenté de manipuler les adultes pour tirer son épingle du jeu. Là où les élus locaux, les enseignants et les parents travaillent ensemble, le système fonctionne ; ailleurs, il ne marche pas.
J'ai été pendant deux ans président du conseil d'administration d'un lycée agricole. Entre les représentants du monde agricole, les parents qui choisissent d'y placer leur enfant, et les enfants, largement responsabilisés et généralement internes - l'internat facilite la vie communautaire et la prise de responsabilités -, la solidarité est forte et les résultats sont là.
Monsieur Dominati, vous avez raison sur la comparaison entre la France et l'Allemagne. Il y a deux explications. La densité de population d'abord : elle est de 120 habitants au kilomètre carré en France, mais de 350 en Allemagne, ce qui a pour conséquence que l'offre scolaire allemande est plus regroupée. Le fédéralisme ensuite : l'éducation est de la compétence des Länder. En France, les élus locaux demandent à Paris la diminution du budget - en fait celle des impôts - et dans leur territoire le maintien des collèges à moins de 100 élèves et des lycées professionnels qui en comptent moins de 300. Cette schizophrénie française favorise l'éparpillement de l'offre. La seule façon d'en sortir, c'est de demander aux gens de se prendre en main ! Nos collectivités territoriales sont cantonnées aux questions d'intendance, et ne s'occupent pas de la politique scolaire. Résultat : lorsque les parents leur demandent d'en faire plus, elles se retournent vers Paris ; le recteur ne fait qu'appliquer les décisions nationales, et finit par demander un changement d'affectation quand il n'en peut mais. Notre système n'est pas bon, j'en ai la certitude absolue.
Monsieur Laménie, le taux d'absentéisme dépend du degré : 76 % des enseignants du primaire sont face aux élèves, contre 92 % dans le secondaire. L'absentéisme dans le primaire s'explique largement par la féminisation de l'enseignement, et à certaines politiques de soutien. S'agissant des enseignants sans affectation, le rapport de Jean-Yves Chamard de 2005 a vieilli : l'actualiser pourrait faire l'objet d'une mission de contrôle de notre commission.
Richard Yung pense que la formation pédagogique s'améliore. Nous n'avons pas encore trouvé le bon système. Je doute que le Gouvernement ait trouvé le meilleur. Ce sujet reste à l'ordre du jour. Le primaire est-il ce point fort de notre système que les autres pays nous envient ? Peut-être. Le maillon faible est en tout cas le collège, car le primaire offre la perspective d'apprendre et de découvrir, le lycée celle d'être formé. Entre les deux, le collège a du mal à se positionner. J'étais partisan du collège unique en tant qu'habitant de zone rurale, où l'on ne peut pas diversifier les collèges, sauf à faire de l'internat. Je me pose désormais plutôt la question de l'autonomie de l'établissement, qui évite de faire la distinction entre les établissements à banquette en bois, et ceux à tapis rouge vers les classes préparatoires. Autonomie, modulation financière en fonction des résultats - sur la base d'une vraie politique, pas seulement aux meilleures écoles parisiennes - dont le suivi est assuré par les élus locaux, voilà les conditions d'un changement réel.
Maurice Vincent souligne que tout ne va pas mal, et il a raison. L'éducation nationale est un immense système. L'ennui, c'est qu'il y a une sorte de jeu de rôle : les enseignants se plaignent, l'administration temporise, et les élus, par fièvre, poussent des cris d'alarme et oublient. Ayons un travail constant sur ces sujets. À la vérité, si mon rapport servait à vous faire vendre une entreprise, vous achèteriez un chat dans un sac, autrement dit quelque chose dont vous ignorez tout ; manquent en effet les effectifs des élèves, ceux des enseignants, les pyramides des âges, les qualifications, les ratios aux niveaux national et régional... Toutes choses qu'il conviendra de faire.
Je rejoins également Serge Dassault. On ne peut pas faire vivre une collectivité sans autorité ni discipline. J'ai été ministre de la défense : les régiments fonctionnent grâce à la discipline. C'est la force des armées, mais aussi celle de l'enseignement. Nous sommes là pour former les jeunes, pas pour les écouter - nous les écouterons plus tard, ou ailleurs. En toute logique, ceux qui détiennent l'instruction la donnent, ceux qui ne savent rien apprennent. Cette conception des choses est un peu traditionnelle, je le reconnais, mais elle me semble adaptée à un public qui n'a pas le bonheur de disposer d'un soutien familial. Certains chefs d'établissements de banlieue difficile ont de bons résultats : il faut les aider. Ils ne le seront jamais par une administration centralisée, qui gère des effectifs globaux, des statistiques, des moyennes. Réintroduisons les élus locaux dans la vie des établissements.
Roger Karoutchi a raison : acceptons le jugement objectif de l'enquête PISA de l'OCDE. Ne nous renvoyons pas à la figure nos échecs respectifs. Certes, l'OCDE n'a pas toujours raison ; mais acceptons de nous comparer - tout en sachant que se comparer ne suffit pas toujours pour se comprendre.
Un tiers des classes est en sous-effectifs, en raison de la multiplicité des options, tandis que les classes des enseignements standards sont surchargées. La Cour des comptes a dénombré en 2013 375 voies disciplinaires de recrutement possibles dans le secondaire, et 272 matières enseignées. Cela explique aussi le nombre d'enseignants sans affectation. La gestion active des carrières doit être une priorité du ministère, qui est sans doute la direction des ressources humaines la plus inhumaine qui soit. Pourquoi ne pas imaginer des carrières différentes, fut-ce pour 2 % des effectifs, ce qui fait tout de même 20 000 enseignants ? L'armée s'en accommode même pour les officiers supérieurs.