Intervention de Jean-Louis Carrère

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 avril 2014 : 1ère réunion
Convention du conseil de l'europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère, président :

en remplacement de Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteure. - Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi n° 369 (2013-2014) autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique qui a été adopté par l'Assemblée nationale, le 13 février 2014.

Notre excellente collègue rapporteure, Mme Garriaud-Maylam, est retenue à Washington pour le séminaire de la Banque Mondiale. Elle m'a donc communiqué son intervention que je m'apprête à vous lire, et renvoie à son rapport très détaillé.

Mme Garriaud-Maylam s'est portée volontaire pour l'examen de ce texte parce qu'elle a déjà eu l'occasion d'étudier un sujet connexe : la traite des êtres humains, et en particulier des femmes, dont elle a rendu compte lors de la récente conférence de la Fondation Marmara à Istanbul. Ella a insisté sur la nécessité de renforcer également la coopération internationale dans ce domaine.

Revenons-en à la présente convention. Elle a été adoptée par le Conseil de l'Europe le 7 avril 2011, puis a été signée par la France dès la date d'ouverture à la signature, le 11 mai 2011.

Elle est l'aboutissement d'un long travail du Conseil de l'Europe qui se consacre à la sauvegarde et à la protection des droits de l'homme. Pour cette raison même, il a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes une de ses priorités.

Cette préoccupation est ancienne puisqu'elle date du début des années 1990, avec notamment :

- en 1993, la Conférence ministérielle européenne consacrée aux « Stratégies pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes dans la société : médias et autres moyens » ;

- en 2002, la Recommandation du Conseil de l'Europe qui prône une approche globale de prévention et d'éradication de la violence fondée sur le genre ;

- et entre 2006 et 2008, la campagne du Conseil de l'Europe pour combattre la violence à l'égard des femmes y compris la violence domestique.

La Task Force du Conseil de l'Europe, chargée du suivi de cette campagne, recommandait déjà, dans son rapport de 2008, l'adoption d'un instrument contraignant sous la forme « d'une convention (...) pour prévenir et combattre la violence à l'égard des femmes ».

En réponse à cette recommandation, en décembre 2008, un Comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, le CAHVIO, a été institué. Sa mission : élaborer un ou plusieurs instruments contraignants en la matière.

La Convention qui est soumise à votre examen correspond au texte final approuvé par le CAHVIO en décembre 2010. Ce texte a été ensuite adopté définitivement par le Conseil de l'Europe, le 7 avril 2011.

L'utilité de cette Convention n'est pas à démontrer. La Task Force du Conseil de l'Europe dressait déjà en 2008 un constat édifiant des violences faites aux femmes.

Plus récemment, l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne a mené une enquête auprès de 42 000 femmes dans 28 Etats de l'Union européenne. Son rapport du 5 mars 2014 révèle une situation alarmante quant à l'étendue des violences physiques, sexuelles, psychologiques vécues par les femmes, y compris pendant leur enfance.

Voici quelques chiffres que je livre à votre réflexion :

- un tiers des femmes interrogées ont été victimes de violences physiques ou sexuelles commises par un adulte pendant leur enfance ;

- un autre tiers des femmes ont été victimes de violences physiques ou sexuelles depuis l'âge de 15 ans ;

- et constat inacceptable, 5 %des femmes ont été violées.

Quand on songe que 67 % de ces femmes n'ont pas signalé ces violences à la police ou à un autre organisme, on comprend mieux tout l'enjeu de ce texte

Je n'ai évoqué que les faits les plus graves mais il faudrait également aborder la question du harcèlement sexuel dont 55 % des femmes ayant pris part à ce sondage ont été victimes.

C'est pourquoi dans les conclusions de son rapport, l'agence européenne encourage les Etats membres de l'Union européenne à ratifier la Convention qui est soumise à votre examen. Elle suggère même que l'Union européenne y adhère.

Quant à la situation en France, on ne dispose malheureusement pas de données systématiques sur l'ensemble des violences faites aux femmes. Il nous faudra attendre, pour disposer d'un outil statistique complet, les travaux de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences mise en place en janvier 2013. La production de statistiques fiables est un enjeu essentiel pour mieux cerner le phénomène multiforme de la violence contre les femmes, et ainsi concevoir de meilleurs dispositifs de prévention, de répression et de protection. D'autres pays sont bien plus en avance que la France en la matière. Dans le contexte de la ratification de la Convention d'Istanbul, cette question de l'élaboration d'outils statistiques pertinents, fiables et réguliers va requérir des efforts spécifiques pour notre pays.

Le quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes pour 2014-2016 montre l'ampleur de la tâche restant à accomplir :

 · une femme sur 10 est victime de violences conjugales ;

 · en 2012, 148 femmes sont mortes de ces violences conjugales ;

 · moins d'une victime sur cinq se déplace à la police ou à la gendarmerie.

Quant aux violences sexuelles :

 · 16 % des femmes déclarent avoir subi des rapports forcés ;

 · en 2010 et 2011 ,154 000 femmes de 18 à 75 ans se sont déclarées victimes de viol.

Quelle solution ? La Convention d'Istanbul se présente comme un instrument régional novateur.

Instrument régional : je vous rappelle qu'actuellement seules deux organisations internationales disposent d'un traité spécifique sur la violence à l'égard des femmes. Il s'agit de l'Organisation des Etats américains en 1994 et de l'Union africaine en 2003.

Instrument novateur, cette Convention l'est parce qu'elle établit des normes contraignantes pour les Parties. Elle renforce donc utilement la lutte contre la violence à l'égard des femmes menées par les Nations unies, le Conseil de l'Europe et l'Union européenne qui ont certes tous adopté des déclarations mais aucun instrument contraignant visant spécifiquement les violences faites aux femmes.

Novatrice, cette Convention l'est également parce qu'elle déploie une stratégie globale d'éradication des violences faites aux femmes : les « 3P », Prévention, Protection et Poursuites.

P pour Prévention : la Convention engage les Parties à promouvoir des changements de comportement et de mentalité par la sensibilisation, l'éducation, la formation, des programmes de soutien aux auteurs de violence.

P pour protection : de manière évidente, la Convention impose d'apporter aux victimes toutes sortes de soutien : information, assistance juridique et médicale, refuge, logement, soutien économique mais elle exige aussi, ce qui est particulièrement intéressant, la protection des témoins. Elle s'attache notamment au cas de l'enfant témoin.

La Convention oblige en outre les Parties à installer des lignes d'assistance téléphonique gratuite pour les situations d'urgence, fonctionnant 24 heures sur 24. En France, le 3929, accueille déjà les femmes victimes de violence. Ce numéro est gratuit et assure l'anonymat de la personne qui appelle.

Au-delà de l'immédiate réponse aux urgences, la France a néanmoins des progrès à faire dans l'assistance fournie aux victimes sur le plus long terme. La Convention d'Istanbul insiste sur la notion de « guichet unique ». La simplification de l'accès aux différents volets de protection et de soutien est en effet essentielle pour aider des personnes en situation de grand désarroi et de forte vulnérabilité à reconstruire une vie normale. À titre d'exemple, en matière de recouvrement des pensions alimentaires et de conflits relatifs à l'autorité parentale - en particulier lorsqu'ils revêtent une dimension internationale (l'autre parent étant de nationalité étrangère ou vivant à l'étranger), le dispositif d'aide français demeure insuffisamment réactif en comparaison avec la pratique d'autres Etats.

P pour Poursuites : la Convention oblige ainsi les Parties à adopter un arsenal répressif. Son spectre est très large. Il comprend naturellement la violence physique et la violence sexuelle y compris le viol, mais également la violence psychologique et le harcèlement sexuel, et encore aussi les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, l'avortement et la stérilisation forcés.

Cette Convention sanctionne également les crimes commis « au nom du prétendu honneur ». Elle interdit à son auteur de l'invoquer à titre de défense.

En conclusion, cette Convention qui vise à créer une Europe sans violence à l'égard des femmes en appelant à combattre toutes les formes de discrimination à leur égard, devrait donner un nouveau souffle aux politiques menées par la France depuis de nombreuses années.

Le projet de loi, actuellement en discussion, sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes adopte d'ailleurs une approche intégrée comparable à celle de la Convention d'Istanbul. Il a pour objet en effet de traiter de l'égalité « dans toutes ses dimensions (...) : égalité professionnelle, lutte contre la précarité spécifique des femmes, protection des femmes contre les violences, image des femmes dans les médias, parité en politique ».

Autre projet de loi qui aura une incidence sur l'application par la France des principes de la Convention d'Istanbul : la réforme du droit d'asile. Les articles 60 et 61 de la Convention préconisent un examen « sensible au genre » des demandes d'asile. J'attire à cet égard l'attention de notre commission sur les préconisations du Haut Conseil à l'égalité entre les Femmes et les Hommes, dont je fais partie. Actuellement, la pratique montre que les violences de genre ne sont pas considérées comme des motifs suffisants pour accorder le statut de réfugié - tout juste suffisent-ils à octroyer une « protection subsidiaire ».

Ces quelques exemples montrent qu'une fois la ratification de la Convention d'Istanbul définitivement validée, la France aura encore d'importants efforts à fournir pour parvenir à en appliquer les principes.

Quoi qu'il en soit, la première étape est évidemment pour la France de ratifier rapidement cette Convention. Son entrée en vigueur est en effet subordonnée à la ratification par 10 Etats dont au moins 8 membres du Conseil de l'Europe. À ce jour, huit Etats, tous membres du Conseil de l'Europe l'ont ratifiée.

C'est pourquoi je vous propose d'adopter le projet de loi autorisant sa ratification qui devrait être examiné par le Sénat en séance publique, le mardi 15 avril 2014 à 14 heures 30, selon la procédure normale.

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