Je suis avant tout un homme d'entreprise. J'ai consacré ma vie à l'emploi, y compris dans les cabinets ministériels où je suis passé. J'ai beaucoup travaillé aux États-Unis, en France et en Afrique, dans mes fonctions successives, qui ont touché au marketing, à la communication et aux ressources humaines à Rhône-Poulenc-Rorer, devenu Sanofi, puis à Thomson-CSF, devenu Thalès, où j'ai fini directeur adjoint. Depuis que je suis en retraite, j'ai créé un think-tank européen de DRH, convaincu qu'il fallait être plus présents à Bruxelles et nouer des relations plus étroites avec nos homologues allemands. Je suis également conseiller social du fonds stratégique d'investissement (FSI), où il s'agit d'apporter, sur les dossiers d'investissement, un regard sur l'emploi, le social, les ressources humaines, l'environnement ou le management.
Lorsqu'en juin, on m'a demandé d'assurer la présidence de l'Afpa, j'ai vite compris que la crise était grave, et ce d'autant plus que cet organisme est partie intégrante du modèle social français. C'est un outil dont on a plus que jamais besoin. Quel paradoxe, en ces temps tourmentés, alors que les besoins des demandeurs d'emplois sont criants, de voir des formations qui manquent d'inscrits ! C'est que la crise est systémique.
Lorsque j'ai accepté la présidence, je n'étais pas sûr de pouvoir payer, deux jours plus tard, les salaires. Il a fallu une action énergique sur la trésorerie et bien des négociations pour gagner six mois de survie : notre répit court jusqu'au 8 janvier. Le temps de bâtir un plan de refondation, que je présenterai le 15 novembre, avec ma nouvelle équipe de direction.
J'estime que la gouvernance de l'Afpa est moderne. Alors que le monde de l'entreprise débat de la nécessité d'associer shareholders et stakeholders, l'Afpa a su le faire depuis longtemps : toutes les parties prenantes sont membres de son conseil d'administration. L'association a longtemps souffert, en revanche, d'un conflit entre son directeur général et son président, qui a suscité opacité et aveuglement collectif. Dès ma prise de fonction, j'ai remercié le directeur général et cinq autres cadres dirigeants, parce qu'il fallait une équipe soudée. Il faudra trois mois pour reconstruire une direction, car il n'est pas facile de trouver un directeur général à l'Afpa. Cette fonction, dans un organisme qui emploie près de 1 000 personnes et dont le chiffre d'affaires approche du milliard d'euros, requiert, outre un tropisme social, des qualités financières et de managériales. Nous serons prêts le 15 novembre. Je viens également de renommer les directeurs de centres régionaux. Il faut une équipe nouvelle pour un projet nouveau.
Les causes de la faillite de l'Afpa ont été largement incomprises. On a stigmatisé sa lourdeur de mammouth, qui ne lui aurait pas permis de réagir, parlé de personnels trop cher payés... Il est vrai que bien des choses fonctionnent mal. La crise de trésorerie m'a ainsi donné l'occasion de découvrir que si nous avions tant d'impayés, c'est que le service de facturation avait plusieurs mois de retard. Dysfonctionnement facile à corriger : en quinze jours, 60 millions sont rentrés. Surtout, le management n'a pas été à la hauteur, alors que la base, notamment les formateurs, est excellente. Bonne nouvelle, en somme : il est plus facile de renouveler quelques dirigeants que des centaines de formateurs.
Au vrai, toutes ces imperfections ne sont pas la cause de la crise, même s'il est vrai qu'elles auraient pu y conduire, mais à plus longue échéance. Dans un contexte de crise économique et financière, ce sont bien plutôt trois phénomènes conjoints qui l'ont provoquée. Le transfert de nos 900 psychologues d'accueil et d'orientation, tout d'abord, à Pôle emploi. Résultat ? On n'a fait que compliquer les choses pour les demandeurs d'emploi, qui doivent accomplir un véritable parcours du combattant, semé de guichets et de conditions kafkaïennes, pour parvenir jusqu'à nous : seuls 5 % de nos stagiaires nous arrivent par Pôle emploi !
Autre difficulté, les barrières qui se sont élevées entre les régions. Les dossiers se sont multipliés auprès de notre médiatrice. Cette situation donnera lieu, un jour ou l'autre, à un recours devant le Conseil constitutionnel, car le principe d'égalité d'accès à la formation s'en trouve bafoué.
Troisième écueil, enfin, le passage brutal au régime de la concurrence. La formation n'est pas une marchandise comme une autre. Ce ne sont pas des heures de formation qu'achète le donneur d'ordres, mais bien un retour à l'emploi. De ce point de vue, nos résultats sont très satisfaisants : deux tiers d'emplois durables à six mois, soit le même taux que les écoles de commerce. Qui plus est, l'acheteur n'est plus l'État, mais la région, ce qui a requis un apprentissage collectif. Il a fallu trouver des modes d'achat intelligents, car les conséquences en sont considérables, tout comme dans l'industrie, où les formes de partenariat avec la sous-traitance peuvent être déterminantes. Nous sommes passés trop vite d'un système de subvention à un régime d'appels d'offres alors que le marché de la formation a besoin de régularité, d'un partenariat à long terme : tout est donc à réinventer avec les conseils régionaux.
Le passage à la concurrence exige de surcroit une capacité d'investissement, et un fonds de roulement. Aurait-on imaginé soumettre France Telecom aux lois du marché sans fonds propres ? C'est pourtant ce que l'on a fait avec l'Afpa. Et je ne parle pas là de la forme juridique de l'organisme, sur laquelle on a beaucoup glosé : vaut-il mieux un établissement public industriel et commercial (Epic), une société anonyme ou une association ? Pour moi, cette dernière forme est la plus moderne. Toujours est-il que l'endettement à court terme, dans une structure sans fonds propres, était inévitable : dans ces conditions, le moindre grain de sable, la moindre baisse de chiffre d'affaire, 20 % dans notre cas, et c'est la catastrophe assurée.
J'en viens à notre plan de refondation, qui est presque finalisé. Notre déficit a été de 50 millions en 2011, il devrait se situer entre 75 et 80 millions en 2012. A quoi s'ajoutent les difficultés liées à l'immobilier, puisque l'État n'a pas fait les travaux nécessaires qu'il aurait dû conduire en bon propriétaire.
Il s'agit de résorber progressivement le déficit, ce qui, comme toute réforme structurelle, exigera trois années d'effort. N'oublions pas qu'un organisme comme le nôtre ne doit pas seulement être à l'équilibre, mais en excédent pour pouvoir investir. Nous ferons aussi des propositions concernant le système de formation. Nos positions rejoignent pour beaucoup celles de l'Association des régions de France (ARF), avec laquelle nous avons longuement travaillé.
Je vous livre ici deux chiffres, qui méritent examen. Notre activité a reculé de 20 % depuis le passage à la concurrence, mais pour les formations industrielles, nous avons perdu 56 % en deux ans ! Autant dire que notre appareil de formation oeuvre à la désindustrialisation ! La réindustrialisation, l'emploi, voilà mon combat. Or, le principal atout de la France, en matière de compétitivité, ce sont les ressources humaines. L'Afpa, à cet égard, joue un rôle essentiel : 3,5 millions de salariés, soit un salarié sur huit, a un métier grâce à elle. C'est dire combien son rôle est essentiel, en particulier dans l'industrie, qui a été la première frappée par la crise. Deuxième chiffre frappant : le nombre de stagiaires qui se forment dans une région différente de celle où ils résident a baissé de 40 %. Ce manque de mobilité géographique est préoccupant.
C'est d'une révolution culturelle dont a besoin l'Afpa : tel est mon deuxième objectif. L'association s'est structurée autour des titres et diplômes du ministère du travail. C'est ainsi que se sont créés, avec les branches professionnelles, 280 cursus, correspondant chacun à un diplôme. Ces cursus sont généralement d'une durée de six mois. Pour des demandeurs d'emploi qui partent de zéro, ils sont parfaitement adaptés. Mais le monde a changé. Beaucoup nous arrivent désormais avec des qualifications partielles, si bien que les deux premiers mois de formation ne leur sont pas utiles : ils ne veulent pas les suivre, pas plus que les financeurs ne veulent les payer. Se fait ainsi jour la nécessité d'individualiser les parcours, de passer à des formations modulaires qui répondent mieux, tout à la fois, à la demande sociale, à celle des entreprises et à celle des financeurs. Nous avons donc à relever un défi : industrialiser l'individualisation des cursus de formation. Et nous sommes en mesure de le faire, puisque nous pouvons compter sur notre propre bureau d'étude.
Notre deuxième chantier consiste à renouer le dialogue avec les régions, après plusieurs années au cours desquelles les relations ont été trop distendues. Il faudra également se rapprocher du marché des entreprises. Les demandeurs d'emploi occupent aujourd'hui l'essentiel de notre activité, ce qui n'était pas le cas par le passé. Il faut rééquilibrer, parce qu'il existe un vrai besoin : lorsqu'un plan social se prépare, lorsque l'emploi est menacé, il faut agir. Nous devons répondre à la commande publique, mais également aux besoins des salariés des entreprises. Nous nous sommes porté candidats pour être l'opérateur de formation de deux des plus grands plans sociaux que va connaître la France.