Intervention de Yann Gaillard

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 4 juin 2014 : 2ème réunion
Contrôle budgétaire — Musées nationaux - communication

Photo de Yann GaillardYann Gaillard, rapporteur spécial :

L'un des vecteurs de cette évolution est notamment la gratuité des collections permanentes au profit des jeunes de 18 à 25 ans et des enseignants. Cette gratuité a un coût pour les musées. En effet, si elle leur a été intégralement compensée dans un premier temps, selon des modalités budgétaires d'ailleurs contestables, elle l'est désormais de façon dégressive.

Autre enjeu pour les musées : celui de pouvoir accueillir le public dans les meilleures conditions de visite. Cela induit des dépenses d'investissement, dans le cadre de la rénovation ou de la mise aux normes de sécurité des bâtiments. À cet égard, il me paraît impératif que chaque établissement public dispose d'un schéma directeur des travaux.

En outre, les musées doivent s'atteler à la lourde tâche de procéder au récolement de leurs collections, tel qu'il a été prévu dans la loi de 2002 sur les musées. Je rappelle que le récolement est la vérification de l'existence et de la localisation de tous les biens inscrits sur leurs inventaires. Il s'agit d'une tâche colossale pour les musées, qui requiert du personnel supplémentaire et qui constitue donc un facteur de hausse des dépenses.

À la lecture des indicateurs du rapport annuel de performances de la mission « Culture » annexé au projet de loi de règlement pour 2013, il est évident que la cible affichée de 100 % en 2014, qui correspond à l'obligation légale, ne sera pas atteinte. Il appartiendrait donc à la tutelle de prendre des mesures pour renforcer l'incitation des musées à mener à bien ce travail fondamental. On pourrait par exemple envisager la réduction de certaines subventions aux musées ne respectant pas les cibles.

Tous ces défis obligent les musées à repenser leurs missions et leurs activités. Dans ce contexte, j'ai souhaité m'interroger plus particulièrement sur le rôle des expositions, ces « musées temporaires », pour les établissements : en effet, les musées ont tendance depuis plusieurs années à multiplier leur offre d'expositions. Cette tendance n'entre-t-elle pas en contradiction avec leur mission première de conservation et de valorisation des collections permanentes ? La priorité accordée aux expositions temporaires n'est-elle pas, par exemple, susceptible de retarder l'avancement du récolement décennal ?

Les expositions jouent indéniablement un rôle fondamental pour l'attractivité et la notoriété des musées. Tous les dirigeants de musées que j'ai pu rencontrer en conviennent ; elles leur permettent d'exister au niveau médiatique. Elles jouent aussi un rôle scientifique et, à cet égard, constituent un outil lié à la recherche sur les collections permanentes.

De plus, elles jouent un rôle important de renouvellement et de fidélisation du public. À cet égard, il convient de distinguer deux cas : celui des visiteurs français ou locaux, particulièrement attirés par les expositions ; et les visiteurs étrangers, qui viennent d'abord admirer les collections permanentes du Louvre, d'Orsay et de Pompidou.

L'apport des expositions est plus discutable du point de vue purement budgétaire. Certes, elles peuvent constituer une source de recettes pour les grands musées. Ceux-ci peuvent d'ailleurs se permettre de réaliser quelques expositions « pointues », le succès des expositions populaires pouvant compenser leur éventuel échec. Cependant, les expositions temporaires présentent aussi un certain nombre de risques financiers pour les musées. Les dépenses sont souvent supérieures aux recettes et l'on peut se demander à cet égard si les prévisions de fréquentation sont toujours suffisamment fiables.

Les coûts de production peuvent s'avérer particulièrement élevés, pouvant atteindre jusqu'à 2,5 millions d'euros pour les expositions produites au Grand Palais. En outre, la programmation des expositions se fait généralement deux à cinq ans avant l'évènement, ce qui peut entraîner une certaine rigidité dans les dépenses des musées. Enfin, à défaut de comptabilité analytique, il est difficile d'en identifier le retour financier par rapport à la billetterie associée aux collections permanentes.

La direction du budget m'a indiqué que les musées font peu d'efforts de documentation sur le retour financier de leurs expositions auprès de la tutelle. Je pense qu'il faudrait inscrire des obligations contraignantes en la matière dans les contrats d'objectifs.

Les musées nationaux sont des opérateurs économiques solides. Il n'en reste pas moins que, pour faire face à tous ces enjeux et toutes ces tâches qui induiront des dépenses, il apparaît nécessaire qu'ils puissent diversifier leurs ressources propres. C'est d'ailleurs l'objectif fixé aux établissements publics culturels par le quatrième comité interministériel pour la modernisation de l'action publique de décembre 2013.

Les marges de manoeuvre sont variables selon les musées. Par exemple, le taux d'autofinancement du Louvre est de 53 % en 2012, quand celui du musée d'Orsay atteint 97,8 % à la même date.

En outre, avec un taux moyen de ressources propres des musées nationaux de l'ordre de 42 %, on pourrait se heurter bientôt à un effet de seuil potentiellement difficile à surmonter. C'est d'ailleurs ce que l'on peut constater à la lecture du rapport annuel de performances de la mission « Culture » annexé au projet de loi de règlement pour 2013. Malgré un résultat général supérieur à la prévision pour 2013 - celle-ci était de 41 % -, qui s'explique notamment par la très bonne fréquentation des musées, la cible pour 2015 est stabilisée à 43 %. Enfin, il faut garder en tête que les musées ne sont pas des établissements commerciaux. Ils ont d'abord une mission de service public.

Dans ces conditions, quelles sont les pistes envisageables de renforcement des ressources propres en dehors de la billetterie ?

Le mécénat est en perte de vitesse dans un contexte économique moins porteur, ce qui rend difficile la recherche de partenaires potentiels. Cette ressource reste toutefois fondamentale pour les musées. Elle a par exemple permis de financer intégralement la rénovation des salles du mobilier du XVIIIe siècle au Louvre.

Une autre piste qui me paraît, à l'inverse, appelée à se développer dans les prochaines années, est l'ingénierie culturelle et la valorisation de la marque associée aux grands musées, alors que de plus en plus de pays émergents souhaitent se doter de musées prestigieux, tels les Émirats arabes Unis avec le Louvre Abu Dhabi, dont les premières oeuvres de la collection sont actuellement visibles au Louvre. L'accord conclu entre les autorités françaises et émiriennes prévoit un certain nombre de retours financiers au profit des musées nationaux français.

Dans le même ordre idée, la conception d'expositions internationales itinérantes clé en main apporte des ressources conséquentes aux musées. Ainsi, ce type d'activités a représenté, en 2012, 7 % des recettes propres du musée d'Orsay. De même, le musée Picasso a pu financer une partie du coût de ses travaux de rénovation en organisant une exposition rémunérée des chefs d'oeuvre du peintre à travers le monde.

Enfin, je pense qu'on ne peut pas faire l'impasse sur le levier de la politique tarifaire. Certes, la tutelle est très attachée au principe de gratuité pour les jeunes dans un objectif de démocratisation culturelle, mais cette politique est très généreuse et prive indéniablement les établissements de recettes conséquentes. Ainsi, près de 40 % des visiteurs du Louvre entrent gratuitement. Dans un contexte budgétaire contraint, il ne me paraîtrait pas anormal de revoir à la marge les conditions de cette gratuité, en étudiant dans quelle mesure une telle évolution serait susceptible ou non de remettre en cause l'objectif de démocratisation culturelle.

En outre, la politique tarifaire va au-delà de la question du prix du billet : les établissements, en lien avec leur tutelle, pourraient développer des stratégies tarifaires autour de la modulation des tarifs en fonction des pics de fréquentation par exemple. La tutelle semble évoluer un peu sur cette question. Elle a par exemple accepté la suppression de la gratuité du premier dimanche du mois en haute saison au musée du Louvre. Il s'avère d'ailleurs que cet avantage bénéficiait principalement aux tour-opérateurs étrangers...

Au-delà de la diversification des ressources propres, les musées ont des leviers pour améliorer leur pilotage et leur gestion et pour rationaliser leurs dépenses.

Cela passe à mon avis par un renforcement du rôle de la tutelle, qui doit accompagner les musées en donnant des directives plus précises sur les objectifs de politique culturelle qu'elle entend leur assigner. De ce point de vue, on constate une certaine amélioration depuis 2012, la tutelle se montrant plus proactive. Le cabinet de la ministre m'a par exemple indiqué que le projet de loi sur les patrimoines contiendrait des dispositions relatives au renforcement du contrôle scientifique et technique des musées.

Il faut malgré tout qu'elle fasse preuve d'une réactivité beaucoup plus grande dans l'élaboration des contrats de performance et des lettres de mission adressées aux dirigeants des musées. Je pense en particulier au cas du MuCEM : certes, la première année d'ouverture de ce musée est une réussite indéniable. Mais il faut désormais s'atteler à consolider ses recettes de fonctionnement et à inscrire ce succès dans la durée.

S'agissant de la rationalisation des dépenses, je soulignerai le lancement d'un travail portant sur l'achat public par le ministère de la culture, en lien avec le service des achats de l'État. Ce type de démarche visant à mutualiser les coûts doit être poursuivi et approfondi.

Il conviendrait aussi de renforcer la coordination entre les musées, notamment pour éviter les doublons dans la programmation des expositions. Certes, il existe déjà un certain nombre de garde-fous destinés à éviter l'empiètement des musées les uns sur les autres. Toutefois, les musées nationaux, notamment ceux qui sont situés à Paris, se heurtent à la concurrence de musées privés et des musées de la ville de Paris. De ce point de vue, des initiatives allant au-delà de la coordination informelle et visant à mieux réguler l'offre culturelle me paraîtraient pertinentes.

Enfin, je pense qu'il faut continuer à développer les partenariats et les coopérations entre musées nationaux, ainsi qu'entre musées nationaux et musées territoriaux, dans un objectif à la fois de démocratisation culturelle, à travers la densification de l'offre muséale sur l'ensemble du territoire, et de mutualisation des coûts. Ces partenariats pourraient porter aussi bien sur l'offre scientifique que sur la politique tarifaire. Je vous remercie.

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