Je vous remercie de votre invitation. La MIRES demande des informations précises, pour aller plus loin que ce qu'on en dit ici ou là.
Vous l'avez constaté, ce budget est bien exécuté, presque à 100 % ; c'est le signe que les demandes sont importantes, mais aussi que nous y répondons avec les moyens dont nous disposons.
Pourquoi une sous-consommation sur quelques lignes des budgets de recherche ? Il s'agit, en fait, d'un effet d'optique, lié à un redéploiement ponctuel du programme d'investissements d'avenir. Le programme 172 affiche un taux élevé de consommation de ses crédits, ce qui démontre que le budget est adapté aux besoins.
Vous soulignez également le dynamisme des dépenses : le nombre d'étudiants augmente, les besoins de recherche et de développement dans notre pays créent des demandes nouvelles. Nos crédits progressent de 600 millions d'euros entre 2012 et 2014, passant de 22,44 milliards d'euros à 23,04 milliards d'euros : cet effort est tout à fait considérable dans le contexte actuel. Cependant, la croissance « naturelle » des dépenses - le tendanciel - aurait été d'un milliard d'euros sur la période : c'est dire que nous participons pour quelques 400 millions d'euros à la maîtrise des dépenses.
Plusieurs facteurs se conjuguent pour augmenter les dépenses. Il y a d'abord l'augmentation du nombre d'étudiants : quelque 25 000 étudiants supplémentaires se présentent chaque année aux portes de l'enseignement supérieur qui, dès lors que l'enseignement public est « libre et gratuit » en France, pratique des frais d'inscription proches de la gratuité, donc très loin de couvrir le coût réel de l'enseignement. Il y a, ensuite, le glissement vieillissement technicité (GVT), qui n'a pas été intégré lors du passage aux « Responsabilités et compétences élargies » (RCE), alors que les établissements subissent une évolution de leurs charges qui peut être liée aux politiques d'embauche du passé. En 2013, le GVT a représenté environ 60 millions d'euros pour 76 établissements, ce qui n'est pas négligeable. Autre héritage, la pyramide des âges : les principales cohortes de babyboomers venant de prendre leur retraite, le nombre de départs en retraite diminue, par exemple de moitié au CNRS, ce qui enlève un facteur d'allègement qui avait joué ces dernières années. Il y a, encore, les mesures catégorielles intervenues avec les textes récents, en particulier la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 concernant l'accès à l'emploi titulaire et l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, qui peuvent s'avérer coûteuses pour les établissements et avoir un impact sur leur politique de recrutement. Il faut compter également avec la contribution française à plusieurs grands programmes internationaux, par exemple les 800 millions d'euros à l'Agence spatiale européenne (ESA), dont nous sommes le premier contributeur. Je pense aussi au programme European Spallation Source (ESS) et au réacteur de fusion ITER, qui est le plus grand programme de coopération scientifique internationale en développement : même s'il n'est pas certain de parvenir à des résultats pratiques sur l'énergie de fusion, les recherches auxquelles il donne lieu sur le plasma, en physique, en neutronique, en imagerie ou encore en informatique embarquée, auront certainement des résultats dont nous devons être partie prenante, d'autant que nous sommes le pays hôte de ce très grand projet. Il y a aussi le renouvellement de grands instruments comme le Synchrotron, au laboratoire européen pour la physique des particules (CERN), ou encore à l'Institut Laue-Langevin, à Grenoble. Il faut savoir que ces outils de pointe de la recherche fondamentale sont également une source de revenus pour notre pays et les régions où ils sont implantés et pour notre pays tout entier, parce qu'ils sont des vecteurs de partenariat d'excellence et qu'ils font progresser nos entreprises de haute technologie, par exemple dans les techniques antisismiques. On considère, ainsi, qu'un euro investi au CERN entraîne 3,45 euros d'activité en services et en sous-traitance. Je pense, encore, aux grands investissements que l'ESA fait en matière de lanceurs et aux applications multiples des recherches, qui touchent des domaines aussi variés que le nucléaire, la régulation des grands systèmes de transports publics, la connectique, ou encore la cryogénie et, même, l'horloge parlante...
L'ensemble de ces facteurs de croissance de la dépense continueront à jouer au cours des années à venir : l'accroissement naturel des dépenses portées par le secrétariat d'État à la recherche et à l'enseignement supérieur devrait s'élever à 1,6 milliard d'euros entre 2015 et 2017. Par suite, la simple stabilisation de ces dépenses au cours du prochain triennal correspond à une économie de 1,6 milliard d'euros par rapport au tendanciel.
Vous m'interrogez, ensuite, sur l'ANR. Les besoins initiaux de l'Agence ont été, initialement, surestimés. Aussi, dans un souci de rééquilibrage en faveur des organismes de recherche, nous avons décidé d'ajuster la trésorerie de l'ANR, qui était excessive. Vous avez raison de souligner que nous avons atteint un « point bas », la Cour des comptes le dit également ; aussi, la trésorerie de l'Agence ne sera-t-elle pas davantage mise à contribution les prochaines années.
Les ressources européennes ne sont pas assez sollicitées, alors qu'elles ne sont pas d'un accès plus difficile que celles de l'ANR, par exemple, et que nous avons mis en place une cellule d'appui, ainsi que des points de contact nationaux pour aider les petits laboratoires à accéder aux financements européens. Le Président de la République a fait de la recherche l'une des priorités de la France. Dans le cadre du « Pacte de croissance », ce dernier a plaidé en faveur d'une augmentation des moyens consacrés à la recherche et au développement ; aussi a-t-il été suivi par de nombreuses personnalités politiques et, notamment, par Máire Geoghegan-Quinn, la commissaire européenne à la recherche, à l'innovation et à la science, qui m'a un jour glissé : « François Hollande, my hero... ». L'enveloppe consacrée au programme « Horizon 2020 » a été relevée de 30 % par rapport à celle du septième PCRD.
Alors que, lors du sixième PCRD, notre « retour » coïncidait avec notre contribution, à 16 %, il s'est établi, dans le cadre du septième PCRD, à 11,6 %, pour une contribution qui a légèrement augmenté et qui nous place toujours au second rang des contributeurs, derrière l'Allemagne. Cela est, en partie, imputable au nombre important d'appels à projets lancés au niveau national - en particulier par l'ANR et dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA). Le taux de réussite des laboratoires français est pourtant très bon, à 25 %. Nous nous efforçons donc de les aider à y aller davantage, par un soutien technique. Il s'agit également d'un enjeu de visibilité de la recherche française au niveau international. Je ne vois pas de raison de ne pas progresser. En tout état de cause, il y a lieu de se réjouir de la forte présence française dans les projets gérés par le Conseil européen de la recherche (ERC) qui, soit dit en passant, est présidé par un Français, Jean-Pierre Bourguignon. En revanche, les équipes françaises sont moins présentes dans le programme Marie Curie et les programmes de recherche thématiques. Aussi nous sommes-nous attachés à harmoniser les procédures de l'ANR avec celles de l'Union européenne, de façon à ce que les projets qui n'auront pas été retenus par l'Agence puissent, sans travail supplémentaire, candidater dans le cadre des appels à projets européens. Nous oeuvrons aussi à une simplification des procédures. Certes, l'approche européenne des projets scientifiques par enjeux sociétaux - gestion des big data, lutte contre les pandémies, accompagnement de la transition énergétique, etc. - a été reprise en France, de manière à rendre la recherche plus lisible et accessible ; pour autant, cela ne signifie en rien un recul de la recherche fondamentale. Ainsi, les réponses aux appels d'offres lancés, par l'ANR, sur la base de ces enjeux sociétaux concernent pour 70 % d'entre elles la recherche fondamentale et pour 30 % la recherche technologique.
S'agissant des universités, je veux d'emblée m'inscrire en faux contre l'image misérabiliste qui se répand ici où là. Les universités françaises reçoivent davantage de soutien public que la moyenne de leurs homologues européennes et du monde entier. Cependant, leurs droits d'inscription y sont souvent plus modiques ; elles reçoivent moins de financements privés, notamment par le biais de fondations, de même qu'elles bénéficient de peu de recettes en formation continue. C'est un point où la marge de progrès est importante : alors que la meilleure des formations se trouve à l'université, où la recherche est la plus créative, l'université capte à peine 4 % du marché de la formation continue, lequel ne cesse de se développer. Pour aller plus loin, il faut adapter les formations proposées et faire tomber des barrières ; des universités comme Cergy ou Marne-la-Vallée l'ont fait, avec des avantages certains et une ouverture sur l'extérieur.
Suite au passage aux RCE, les universités ont vu leurs conditions de gestion changer rapidement et en profondeur ; leur budget a parfois décuplé, mais elles n'ont pas été suffisamment accompagnées dans ces changements et les gestionnaires n'ont pas reçu de formation suffisante à la conduite du changement : cela constitue la principale erreur du passage à l'autonomie des universités qui est, en soi, une bonne chose, d'autant que seulement 10 % d'entre elles ont, en tout ou partie, une comptabilité analytique. L'an passé, huit établissements étaient en déficit, contre seize en 2012. Quatre établissements connaissaient deux déficits d'affilée, contre cinq en 2012 : Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Clermont-Ferrand, Paris XIII et Montpellier III, qui sont dans des situations toutefois différentes. Le résultat cumulé des 82 universités françaises progresse cependant, à 208 millions d'euros, contre 142 millions d'euros en 2012 et 137 millions d'euros en 2011. Leurs fonds de roulement s'améliorent, à 1,531 milliard d'euros, contre 1,524 milliard d'euros en 2012, mais 1,785 milliard d'euros en 2010, avec l'effet, entre-temps, du passage aux RCE de nombreux établissements. Ces chiffres, comme l'a constaté la Cour des comptes, attestent de ce que les universités reconstituent leur situation financière, laquelle est loin d'être dégradée comme on l'a dit - la réponse de la Conférence des présidents d'universités (CPU) à la Cour des comptes met en évidence l'amélioration de la situation, tout en pointant le problème de la prise en compte du GVT.
Cette stabilisation a été obtenue au prix d'un effort important de maîtrise des dépenses de fonctionnement des universités, notamment de la masse salariale. Le taux de CAS représente 80 % de l'augmentation de la masse salariale l'an passé.
Les fonds de roulement et la trésorerie des universités, cependant, ne sont pas intégralement mobilisables. Ils peuvent être liés aux financements des projets de recherche, aux investissements contractualisés, dans les contrats de plan État-régions, par exemple. Ils devront encore être mis à contribution, notamment dans le cadre du plan Campus, pour moderniser les établissements, faute de provisions suffisantes de la maintenance, en particulier pour les universités de Paris intra-muros.
J'ai mis en place un dispositif de suivi, d'accompagnement et d'alerte, avec un tableau de bord commun qui cible l'évolution des dépenses des 103 établissements. Il s'agit d'intervenir en anticipation. En deux ans, l'inspection générale de l'enseignement supérieur et de la recherche a réalisé 34 missions d'audit. De nombreuses universités ont été accompagnées dans le retour à l'équilibre de leurs comptes. Le suivi des établissements s'est donc nettement amélioré. Des mesures techniques, comme la simplification des parcours, rendent, en outre, la gestion plus rationnelle - nous avions constaté, par exemple, que près d'un tiers des masters comptaient moins de dix étudiants, ce qui conduisait à disperser trop les moyens et constituait un vrai manque de vigilance.
L'université de Versailles Saint-Quentin a cumulé les difficultés : lors du passage aux RCE, l'établissement a créé 158 emplois, escompté quelques 18 millions d'euros de recettes supplémentaires, qui n'ont pas été atteints, mais qui ont été dépensés ; au total, pour 15 000 étudiants, l'université compte 38 sites, c'est trop. Ensuite, l'établissement n'a pas bien négocié ses partenariats publics-privés (PPP), notamment celui sur l'efficacité énergétique avec, comme résultat, de devoir rembourser 2,4 millions d'euros par an... pour un bilan énergétique apparemment alourdi. Nécessitant une négociation ardue lors de leur établissement, les PPP doivent être utilisés sur les projets les plus lourds et complexes. C'est ainsi qu'on est passé de projets à 100 % PPP à seulement 38 % de PPP dans le cadre du plan Campus.
Je me suis impliquée dans la renégociation de contrats passés par cette université et pour prendre les mesures nécessaires au retour à une meilleure situation financière de l'Université de Versailles Saint-Germain-en-Yvelines, tout en butant sur des difficultés à obtenir des informations, l'agent comptable étant parti sans avoir été remplacé. Fin 2013, nous avons fait une avance remboursable de 800 000 euros pour le paiement des salaires, puis nous avons convenu d'un prêt de 2,6 millions d'euros pour cette année. Il reste des sacrifices à faire, des choix à poursuivre, pour confirmer le redressement des comptes et confirmer le retour à un fonds de roulement positif.
Les COMUE répondent à un objectif d'ensemble, celui de développer des stratégies communes autour de vingt-cinq pôles universitaires, tout en laissant à chacun la liberté de s'organiser : les conseils d'administration maîtriseront leur budget, le SNESUP peut être rassuré, et ce seront bien les universités qui décideront de ce qu'elles veulent mutualiser. À ce jour, on compte cinq associations d'universités et vingt COMUE. Seize statuts de COMUE ont été votés, à une très large majorité, et sont en instance de validation. Plusieurs COMUE sont interrégionales : une COMUE Poitou-Charentes, Centre et Limousin, une COMUE Bretagne et Pays de Loire, une COMUE Normandie et une COMUE Bourgogne-Franche-Comté. Ici encore, les universités font figure de pionnier. Les COMUE n'occasionnent pas de surcoût, les mutualisations feront plutôt faire des économies et renforceront même l'efficacité de l'action : quand plusieurs universités mutualisent leur service de relations internationales ou celui d'insertion sociale des étudiants, par exemple, elles ont chacune plus de poids.
La réforme des bourses poursuit un objectif général de mon action, celui d'améliorer les conditions de vie des étudiants. Sur les 600 millions d'euros d'augmentations budgétaires, les deux-tiers vont aux aides aux étudiants. Nous avons, en particulier, financé le dixième mois de bourse, une promesse de la majorité précédente, qu'elle n'avait pas tenue. Nous avons ajouté 160 millions d'euros l'an passé et nous augmentons encore les bourses de 158 millions d'euros cette année. Reste, effectivement, 85 millions d'euros prévus pour 2015, qui feront l'objet du débat budgétaire - nous avons des assurances que cette enveloppe ne sera pas remise en question. Au total, nous aurons ainsi renforcé l'aide aux étudiants de plus de 400 millions d'euros.
La première vague n'a jamais été financée par des redéploiements. Contrairement à ce qu'on a pu en dire, ce sont bien les crédits du ministère qui ont abondé cette priorité. Nous visons les étudiants les plus précaires et ceux issus du bas des classes moyennes, qui travaillent plus de quinze heures hebdomadaires au risque d'échouer dans leurs études. Les 135 000 étudiants boursiers supplémentaires annoncés par Laurent Wauquiez ne touchaient en fait aucune bourse - ils étaient exonérés de frais d'inscription et de cotisation sociale étudiante - nous leur donnons désormais, ou donnerons l'année prochaine, 1 000 euros. C'est un progrès.