Intervention de Fleur Pellerin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 12 novembre 2014 : 3ème réunion
Loi de finances pour 2015 — Diverses dispositions d'adaptation au droit de l'union européenne dans le domaine de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel - Audition de Mme Fleur Pellerin ministre de la culture et de la communication

Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication :

Le projet de loi NOTRe revient sur la clause générale de compétence, mais la culture y est explicitement inscrite parmi les compétences partagées : l'État et les collectivités territoriales auront à en débattre au sein des conférences territoriales de l'action publique (CTAP), c'est cohérent avec les pratiques en cours depuis de nombreuses années. Des CTAP se sont déjà saisies du sujet : la région Bretagne, par exemple, demande à exercer la compétence Livre et Cinéma, dans le cadre du Pacte d'avenir pour la Bretagne.

Les services déconcentrés de la culture évolueront, je l'ai dit aux préfets et aux directeurs régionaux. Cependant, l'échelon administratif de proximité restera indispensable à la mise en oeuvre des politiques nationales, c'est particulièrement vrai pour la culture. Les services auront donc tout leur rôle à jouer pour cette proximité, autant que pour l'expertise des politiques publiques ; il est possible, aussi, d'adapter les interventions aux territoires : par exemple pour intervenir davantage dans les « zones blanches », peu couvertes par l'offre culturelle, tout ceci fera l'objet de négociations.

Il n'est pas prévu de décentraliser les scènes nationales ; cependant, si une collectivité demande la compétence, il en sera débattu en CTAP.

Les FRAC viennent de fêter leur 30e anniversaire, c'est un acquis des politiques culturelles de l'État et des régions, en témoignent les quelque 25 000 oeuvres qu'ils ont achetées et qu'ils conservent ; la nouvelle carte régionale les renforcera, en particulier pour la circulation des oeuvres d'art : ce sera un atout, plutôt qu'un affaiblissement.

Les CCR les plus anciens reçoivent effectivement davantage de subventions, parce que l'État les a créés seuls, dans des bâtiments qui lui appartiennent et dont il a la charge - par exemple la chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon.

S'agissant de la mission médias, presse et industries culturelles, l'augmentation est de 0,42 % avec près de 4,4 milliards de crédits. Le CNC pourra quant à lui pleinement utiliser l'ensemble de ses ressources, sans qu'aucune ponction ne soit effectuée sur ses réserves.

Là encore, la mission médias matérialise parfaitement les grandes ambitions politiques que j'ai souhaité mettre en avant avec ce budget.

Un exemple, que j'évoquais en ouverture de mon propos : celui de la nécessité de renforcer l'excellence française pour en faire un instrument au service du rayonnement culturel de notre pays. La mission média illustre parfaitement cette priorité, puisqu'elle comporte de nombreux champions nationaux, si l'on songe à l'Agence France-Presse (AFP) ou à notre modèle de financement cinématographique.

Un mot de chaque secteur de cette mission budgétaire afin de vous en donner les grandes lignes et rappeler nos priorités et l'ambition du Gouvernement.

Dans le secteur audiovisuel, en cohérence avec la loi de novembre 2013 confiant à nouveau au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) le pouvoir de nommer les présidents des sociétés de l'audiovisuel public, le Gouvernement a fait le choix de renforcer l'indépendance financière de ces sociétés en réduisant progressivement la part de leur financement public reposant sur le budget général qui aura disparu en 2017. La diminution de 102,7 millions d'euros de subvention de 2015 sera compensée par la hausse des apports de la contribution à l'audiovisuel public (redevance) qui progressera de 3 euros en 2015 en métropole et de 1 euro en Outre-Mer. Par ailleurs, comme vous le savez, une réintroduction de la publicité en soirée sur les antennes nationales du service public n'a pas été retenue pour l'année 2015 car elle aurait, sans étude d'impact préalable solide, potentiellement déstabilisé un secteur audiovisuel confronté à un marché publicitaire en crise et à l'arrivée de nouveaux acteurs réinterrogeant leur modèle économique. Parallèlement, comme l'a annoncé le Président de la République, une réflexion doit être engagée sur la modernisation du financement de l'audiovisuel public au-delà de 2015, le Parlement y sera évidemment associé.

La stabilisation des crédits de l'audiovisuel public sur les trois prochaines années nécessitera de la part des sociétés un réel effort de maîtrise et d'économies, compte tenu de la progression automatique de certaines de leurs charges. Cependant, il ne remettra pas en cause leur capacité à assurer leurs missions : ainsi, les grands équilibres des contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions et de France Médias Monde sont respectés, les dotations publiques à Radio France et Arte sont stables ou en légère progression, et la dotation de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) retrouve un niveau proche de celui de 2013, après la diminution exceptionnelle de 20 millions d'euros de l'an passé compte tenu du prélèvement sur son fonds de roulement. Le Président de la République souhaite, par ailleurs, que l'État clarifie sa vision stratégique du rôle et des missions de France Télévisions à l'horizon 2020, avant que le CSA ne nomme le président ou la présidente du principal opérateur du service public de l'audiovisuel au printemps prochain. Mes services et ceux du ministère des finances engagent ce travail sur lequel vous serez bien entendu consultés.

Dans le secteur du cinéma, le Gouvernement n'affectera pas les capacités d'action du CNC par un prélèvement sur les réserves de l'établissement. De même, il ne sera procédé à aucun plafonnement des taxes prélevées sur le marché de la diffusion cinéma et audiovisuelle, conformément à la décision prise dès son arrivée par la majorité de restaurer l'intégrité du modèle de financement mutualiste du fonds de soutien au cinéma et à l'audiovisuel. Au contraire, afin de prendre en compte le recul prévisionnel de 10 % des recettes attendues du CNC par rapport au budget primitif 2014, l'établissement sera autorisé à puiser dans sa réserve de solidarité pluriannuelle pour amortir l'impact conjoncturel de cette baisse sur les investissements du secteur et éviter ainsi un effet récessif préjudiciable à la diversité de la création et à l'emploi.

L'année 2015 sera pour le CNC l'occasion de poursuivre les actions de modernisation des soutiens cinématographiques et audiovisuels, pour soutenir la création, promouvoir la diffusion sur tous les supports d'oeuvres françaises dans toute leur diversité, consolider les entreprises et renforcer leur compétitivité y compris à l'export, et rendre plus transparentes les relations entre professionnels. 2015 verra aussi la mise en oeuvre effective, après autorisation de la Commission, des dispositifs de soutien automatique et sélectif en faveur de la vidéo à la demande, dont l'objectif est de mieux structurer l'offre légale française, pour favoriser notamment la meilleure visibilité pour le public.

Un autre des enjeux qu'il nous appartiendra collectivement de relever dans les mois à venir est celui de la mutation structurelle du secteur de la presse. Conformément à l'engagement du Président de la République, l'année 2014 a été consacrée à la réforme des dispositifs des aides à la presse élaborée en 2013 : désormais, le fonds stratégique pour le développement de la presse est modernisé en faveur de la transition numérique, par un décret de juillet dernier. Nous ne distinguons plus aujourd'hui entre la presse papier et la presse en ligne car, comme le Gouvernement a eu l'occasion de l'affirmer lors de l'abaissement du taux de TVA aux services de presse en ligne, il n'existe pas de distinction fondamentale entre les supports d'accès à l'information : le principe de neutralité technologique doit s'appliquer. De même, le fonds stratégique privilégie désormais les projets mutualisés - c'est indispensable à l'heure de la contraction des volumes que nous constatons - de même qu'il s'est adjoint des compétences d'experts en matière numérique, afin d'être plus pertinent et plus réactif dans le choix des projets financés. Parallèlement, les critères de l'aide au portage ont été refondus, conformément aux engagements : si l'année 2014 est bien une année de transition, le dispositif créé met fin à la distinction, si souvent critiquée, entre aide au flux et aide au stock. Afin de mutualiser les outils de production, l'aide est désormais versée aux réseaux de portage eux-mêmes, et elle est bonifiée en cas de portage multi-titres. De la même manière, l'aide versée aux éditeurs prend désormais davantage en compte l'évolution des volumes portés, tout en étant plus prévisible : c'est désormais, je crois, une aide plus intelligente et plus efficace pour faire évoluer les comportements économiques.

Il n'en reste pas moins que des enjeux d'ampleur attendent la presse dans les mois qui viennent, notamment dans le domaine de sa diffusion : les travaux d'inspection menés conjointement par l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), l'Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGIET) sur l'avenir de la diffusion, chargé de faire des propositions de schéma industriel soutenables pour les trois réseaux actuels de diffusion, le portage, le postage et la vente au numéro sont en cours de finalisation. La chute des volumes constatée depuis deux ans, de près de 10 % par an pour la vente au numéro s'agissant de la presse quotidienne nationale (PQN), de 3 à 5 % pour les autres acteurs, ne sera pas soutenable pour la filière si l'ensemble de celle-ci n'engage pas des réformes à la hauteur des enjeux. Car ce sont bien les éditeurs eux-mêmes et les autres acteurs de la filière qui ont en main les conditions de leur mutation. Cela passe par l'ouverture résolue des réseaux de portage, par une mutualisation des moyens à la disposition des messageries - je ne peux qu'insister pour que les travaux engagés entre Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse (MLP) autour de leur système d'information commun accélèrent leur résultat afin de générer les économies et les améliorations de services attendues par tous. Cela passe aussi par une recherche de plus grande efficacité économique du postage : les travaux en cours entre La Poste et la presse magazine doivent porter leurs fruits. Dans ce contexte, les moyens en faveur des différents réseaux de diffusion de la presse sont préservés en 2015, dans mon budget ou dans celui de mon collègue en charge de l'économie.

Les moyens en faveur du pluralisme sont également préservés.

Mais dans ce contexte de forte mutation, l'État a souhaité concentrer ses moyens en faveur de la qualité de l'information : c'est le sens de la priorité appuyée du Gouvernement à l'Agence France-Presse (AFP) qui verra ses moyens augmenter de 5 millions d'euros en 2015. Ce soutien budgétaire est un élément d'un soutien plus large à ce champion national que constitue l'AFP, l'une des trois seules agences de presse d'échelle mondiale. Non seulement l'agence participe pleinement du rayonnement de notre pays à l'étranger mais elle permet à l'ensemble de nos journaux, y compris sur les théâtres difficiles d'opération où les éditeurs peinent désormais à envoyer leurs journalistes, de disposer d'une information de qualité. L'année 2014 a ainsi permis de sécuriser le financement public de l'agence au plan communautaire, et d'élaborer, grâce aux travaux du député Michel Françaix, les voies et moyens d'assurer la nouvelle vague d'investissements nécessaires à la complète mutation numérique de l'agence. Le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFP qui devra être signé avant la fin de l'année traduira l'ambition que nous avons collectivement pour le devenir de l'agence.

Mes propos ne seraient pas complets si je n'évoquais pas avec vous les crédits en faveur des industries culturelles. Les crédits de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) sont maintenus cette année au même montant que ceux de l'année dernière, 6 millions d'euros. Ce montant a été retenu, en tenant compte de la situation financière globale de cette autorité administrative qui pourra encore, en 2015, et même s'il s'agit probablement là de la dernière année où cette solution pourra être retenue, prélever sur son fonds de roulement pour assurer le financement de ses missions.

En matière de livre et de lecture enfin, je suis heureuse que ce programme puisse illustrer, après deux années d'efforts très importants, une reprise des capacités d'investissement du ministère de la culture. L'avancement du grand chantier de remise aux normes du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France (BnF) pèse désormais moins sur notre budget. Cette marge de manoeuvre sera redéployée, à la fois pour augmenter la dotation dédiée aux travaux de maintenance, de renouvellement et de mise en sécurité des installations du site de Tolbiac : une enveloppe exceptionnelle de 18 millions d'euros sera dégagée en trois ans. C'est l'un des objectifs importants du contrat de performance signé avec l'établissement cette année. Les autres axes concernent notamment la poursuite des chantiers d'excellence que mène la bibliothèque en matière numérique, l'enrichissement continu de Gallica du fait de la politique de numérisation mais aussi de développement du dépôt légal numérique, l'élaboration des outils de référencement international des métadonnées, capacité d'expertise et de coopération pour l'ensemble des bibliothèques universitaires et de lecture publique de notre pays. Ce budget triennal permettra aussi, j'en suis très heureuse, le lancement du projet de rénovation de la Bibliothèque publique d'information (BPI), afin d'améliorer les conditions d'accueil du public, en lien avec le Centre Pompidou et de redonner à la BPI son rôle central d'animateur du réseau des établissements de lecture publique. Alors que l'année 2013 et le début de l'année 2014 ont pu voir se concrétiser la priorité présidentielle en faveur des librairies indépendantes, l'année 2014 a été consacrée aux bibliothèques : ce budget en est la traduction concrète pour les deux établissements publics de l'État.

Voilà ce que je voulais dire à ce stade avant que nous n'entrions dans le temps de la discussion et des réponses aux questions que vous voudriez me poser.

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