L'Union européenne et ses États-membres ont conclu en juin 2012 un accord d'association avec six États d'Amérique centrale (Costa Rica, Guatemala, Honduras, Nicaragua, El Salvador, Panama).
Cet accord est original à double titre.
En premier lieu, s'agissant des parties concernées :
Il implique, côté européen, d'une part l'Union qui agit en application de ses compétences définies par le traité de Lisbonne, et notamment de ses compétences exclusives, en particulier dans le domaine du commerce international, et d'autre part, les États-membres pour les dispositions qui entrent dans le cadre de compétences partagées avec l'Union ou de compétences propres. Ceci n'est pas, à mes yeux, sans soulever quelques interrogations sur le plan juridique. Ceci conduit de fait à soumettre pour ratification aux États-membres des stipulations qui n'entrent plus dans leur domaine de compétences, celles-ci ayant été déléguées à l'Union et sur lesquelles, ils se sont, d'ores et déjà, prononcés dans le cadre des procédures communautaires, le cas échéant, après avis de leur Parlement national comme c'est le cas en France en application de l'article 88-4 de la Constitution. Cette situation serait propice à créer une certaine ambiguïté quant aux conséquences juridiques qu'emporterait une éventuelle décision négative des assemblées parlementaires lorsqu'elles sont saisies pour en autoriser la ratification en France en application de l'article 53.
Cette décision n'aurait, semble-t-il, aucun effet sur l'application des dispositions de la compétence exclusive de l'Union. D'ailleurs, elles sont entrées en vigueur à titre provisoire dès la ratification par la seule Union européenne et les pays d'Amérique centrale comme le texte le prévoit. Toutefois, on peut s'interroger sur la capacité qui serait ouverte alors à l'une des parties de dénoncer l'Accord au motif d'une rupture de l'équilibre d'ensemble du traité.
Il serait légitime d'évaluer l'intérêt qu'il y a à rassembler dans un même texte des dispositions qui obéissent à des modes de ratification différents. La répartition des dispositions en deux instruments eut apporté, me semble-il, plus de solidité juridique.
Côté américain, les six Etats que je viens de citer appartiennent au Système d'intégration centraméricain (SICA). L'organisation n'est pas signataire, mais en établissant un cadre commun dans leurs relations avec l'Europe, l'Accord contribue à promouvoir l'intégration régionale des pays concernés.
Le développement de l'intégration régionale est important pour l'Amérique centrale, qui, sur une superficie un peu inférieure à celle de la France, regroupe près de 45 millions d'habitants mais ne peut être considérée comme une entité politique, unie, homogène et solidaire. Certains États (Guatemala, Salvador) ont connu une longue trajectoire autoritaire, le Costa Rica une expérience plus démocratique, alors que d'autres (Nicaragua) ont conservé une rhétorique révolutionnaire et populiste.
Leurs pratiques et traditions économiques sont tout aussi diverses : fondées sur la monoculture du café (Guatemala, Costa Rica, El Salvador) ou de la banane (Honduras) ou encore économie tertiaire s'agissant du Panama. L'Amérique centrale peine toutefois à combler un déficit flagrant dans le domaine industriel. La plupart de ces États sont par ailleurs engagés dans un processus d' « assainissement bancaire » afin de se mettre en conformité avec les règles internationales.
Vingt ans après la fin des guerres civiles, l'Amérique centrale se trouve toujours confrontée à de nombreux défis. Elle doit sortir de la discrimination et de la violence quotidienne, pour trouver les voies d'un développement juste, inclusif et durable.
Mais dans sa diversité, la région dispose néanmoins des moyens de son émergence : elle bénéficie d'une position géographique exceptionnelle et d'une démographie favorable. L'économie est dynamique : le PIB régional a augmenté de 52% entre 2009 et 2013. Ce dynamisme s'explique aussi en partie par les liens commerciaux étroits que la région a tissés avec les États-Unis.
En second lieu, l'accord est original dans son contenu.
Il s'agit d'abord de développer un partenariat politique privilégié, fondé sur des valeurs communes, en particulier la démocratie et les droits de l'Homme, le développement durable, la bonne gouvernance et l'État de droit, avec l'engagement de les promouvoir sur la scène internationale, notamment dans les enceintes multilatérales.
Il s'agit ensuite de favoriser la coopération dans tous les domaines d'intérêt commun, afin de rendre le développement économique et social plus équitable et plus durable dans les deux régions, de renforcer et d'approfondir le processus d'intégration régionale ainsi que les relations de bon voisinage.
Il s'agit enfin de favoriser l'intensification des échanges commerciaux. En effet, les relations économiques avec l'Union européenne restent modestes. En 2012, l'Union européenne était le troisième partenaire commercial des pays d'Amérique centrale avec un peu plus de 6 milliards d'euros d'échanges de biens. Elle compte pour 13,4% de leurs exportations et 6% de leurs importations et l'excédent commercial de l'Amérique centrale s'accroît.
Pour l'Union européenne et ses États membres, il s'agit d'ouvrir de nouveaux débouchés à l'exportation, de rééquilibrer une balance commerciale structurellement déficitaire et d'obtenir des garanties quant à la protection de la propriété intellectuelle et des indications géographiques.
En complément aux démantèlements tarifaires (95% des lignes tarifaires dont 100% pour les produits industriels), l'accord comporte des engagements pour une élimination progressive de certains obstacles techniques et une facilitation de la circulation des marchandises. Il couvre la plupart des sujets commerciaux non tarifaires d'intérêt offensif européen, parmi lesquels les mesures sanitaires et phytosanitaires, les services, les marchés publics et la propriété intellectuelle, qui font l'objet de chapitres spécifiques. L'accord prévoit ainsi la reconnaissance et la protection de plus de 200 indications géographiques européennes. Il contient enfin des stipulations quant au respect des engagements relatifs aux normes sociales et environnementales.
Il s'agit donc d'un accord de libre-échange de nouvelle génération, qui couvre non seulement les sujets traditionnels du commerce international mais également les domaines liés (développement durable, concurrence, propriété intellectuelle).
L'entrée en vigueur du volet commercial ouvre donc des perspectives prometteuses. La Commission européenne estime que les échanges commerciaux pourraient augmenter de l'ordre de 20%, soit une valeur de plus d'un milliard d'euros. À long terme, l'accord pourrait accroître le revenu national des six pays, allant de 0,5% pour le Nicaragua à 3,5% pour le Costa Rica.
Il faut signaler également que l'accord a prévu des dispositifs spécifiques (clause de sauvegarde, contingents tarifaires provisoires, mécanisme de stabilisation) pour certaines productions sensibles des pays concernés et notamment pour les productions ultramarines, je pense à la banane, qui ont d'ailleurs fait l'objet d'une résolution européenne votée par le Sénat en 2011. L'Union européenne, de son côté, a mis en place un dispositif de compensation en attribuant une aide aux producteurs de 40 millions d'euros en 2013, année d'entrée en vigueur de l'accord.
En conclusion, je considère :
- que le développement des échanges avec l'Amérique centrale est un objectif souhaitable pour les Etats-membres de l'Union européenne ;
- que l'ouverture de certains marchés doit néanmoins être réalisée avec précaution surtout lorsqu'elle impacte des régions fragiles comme les régions ultramarines. L'accord et les mesures d'accompagnement répondent partiellement aux inquiétudes. Ils supposent toutefois une évaluation régulière, des procédures efficaces d'alerte et probablement une certaine pérennité dans les aides apportées ;
- que l'accord présente l'intérêt de traiter de façon globale des questions politiques, de coopération et de commerce, mais soulève néanmoins des interrogations sur l'articulation des compétences entre l'Union et les États-membres comme je l'ai précédemment exposé ;
- qu'il permet aussi d'inclure, plus que par le passé, les pays d'Amérique centrale dans les processus multilatéraux et d'établir un dialogue donnant l'opportunité de faire prévaloir davantage les positions européennes dans ces processus et notamment dans les organisations internationales.
En conséquence, sauf à rappeler ces préoccupations aux instances européennes et au gouvernement, je ne peux que recommander l'adoption du projet de loi autorisant sa ratification. L'examen du projet selon la forme simplifiée est inscrit à l'ordre du jour de la séance du 6 novembre.