Intervention de Richard Yung

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 octobre 2014 : 1ère réunion
Diverses dispositions d'adaptation au droit de l'union européenne en matière économique et financière — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Richard YungRichard Yung, rapporteur :

Le premier texte soumis à notre nouvelle commission est le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière ou « DDADUE ». La rédaction en est absconse, le texte étant composé essentiellement de références à d'autres textes. Il vise à transposer en droit national plusieurs textes européens, règlements et directives, récemment adoptés. Après la crise financière de 2008, le G20 de 2009 a élaboré une feuille de route pour la réforme des activités bancaires et financières. A suivi une période d'inaction, qui a suscité des critiques. La Commission européenne - et singulièrement Michel Barnier - a ensuite pris ce chantier à bras le corps. Ainsi, entre 2009 et 2014, c'est-à-dire sur la période du mandat de la Commission européenne qui s'achève, une quarantaine de textes ont été pris dans le domaine des services financiers, concernant tous les compartiments de la régulation, toutes les structures et tous les produits : les agences de notation, les hedge funds, le régime prudentiel des banques et des assurances, les produits dérivés, etc.

Certains sujets ont été consensuels, d'autres beaucoup moins. Malgré les récriminations des Anglais, une régulation se construit en matière bancaire et financière. Les négociations ont parfois été rudes, mais le Parlement européen a adopté la quasi-totalité des textes.

Les directives doivent être transposées en droit national avant une date butoir. Les règlements sont d'application directe mais il est parfois nécessaire d'ajuster notre droit. L'Union européenne, du reste, devient de plus en plus... directive et laisse de moins en moins de marge d'interprétation au législateur national.

Le DDADUE adapte notre droit à plusieurs textes européens en matière économique et financière. Un premier bloc a trait à l'union bancaire. Après un débat long, mais fructueux, nous avons adopté à l'unanimité la loi bancaire l'an dernier. Lancé en juin 2012 par le sommet de la zone euro, le projet d'union bancaire tend à unifier la régulation du système bancaire de la zone euro afin de briser le lien entre banques et dettes souveraines. Il consiste en trois piliers : un mécanisme de surveillance unique, un mécanisme de résolution unique et un système unique de garantie des dépôts.

Le mécanisme de surveillance unique, MSU, adopté en 2013, entrera en vigueur le 4 novembre. Une structure spéciale a été constituée auprès de la Banque centrale européenne et elle est dirigée par Danièle Nouy, qui dirigeait l'Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR). Désormais, les 120 plus grandes banques de la zone euro, dont les dix banques françaises les plus importantes, seront directement supervisées par la BCE. Aujourd'hui déjà, dans chaque grande banque française, une équipe de contrôleurs venus de la BCE est à l'oeuvre, passant en revue les risques, les actifs, le passif, les procédures de surveillance et de gestion de crise. Les équipes sont dirigées par des étrangers et c'est très bien.

Le deuxième pilier concerne la procédure unique de gestion et de financement commun des crises bancaires. Il s'agit de mettre en oeuvre dans la zone euro un système de résolution qui reprenne, tout en les adaptant, les mécanismes contenus dans la directive de 2013 qui harmonisait les procédures de résolution nationales. C'est ainsi qu'en France nous avons créé l'ACPR, défini une hiérarchie d'appel des fonds en cas de crise et créé un fonds de résolution, au sein du fonds de garantie des dépôts qui pré-existait.

Au niveau européen, le mécanisme de résolution unique (MRU) repose sur un règlement, qui précise l'architecture générale du système, placé sous l'égide d'un comité à Francfort, dont les décisions seront préparées en lien avec le comité dirigé par Danièle Nouy. L'ensemble paraît compliqué, mais consiste essentiellement en règles de bon sens. Surtout, les procédures de consultation et d'objection doivent se dérouler en 32 heures maximum, pour en assurer l'efficacité.

Le MRU repose également sur un accord intergouvernemental (AIG), à la demande des Allemands qui ne souhaitaient pas une décision communautaire. Sont précisées les modalités de financement du fonds de résolution unique et les clés de répartition entre les banques. L'article 2 bis du projet de loi DDADUE, introduit par l'Assemblée nationale, vise à adapter notre droit au règlement MRU. Pour qu'il soit effectif nous devrons aussi adopter un projet de loi de ratification de l'AIG.

Comme dans la loi bancaire française, il s'agit de déterminer à l'avance qui fait face si une banque se trouve en défaut partiel. Le texte fixe une hiérarchie dans l'ordre d'appel des fonds : d'abord les actionnaires, puis les créanciers qui ont une dette subordonnée, puis les créanciers seniors, puis, si cela ne suffit pas, le fonds de résolution, et, en dernier recours, le contribuable. Il fallait en finir avec une mécanique diabolique dans laquelle les banques réalisent des opérations discutables puis appellent à la rescousse leur gouvernement, mis devant le fait accompli.

Les outils de résolution et la hiérarchie d'appel des fonds sont les mêmes que ceux prévus par la loi bancaire en France. Le seul changement est la prise en compte des créanciers seniors, dont la dette est contractuelle, ce qui est juridiquement moins sûr.

La question centrale est celle du financement, en partie laissée ouverte par le règlement qui fixe seulement les règles du renflouement interne. L'utilisation en dernier ressort du fonds de résolution unique, alimenté par les banques et doté à terme de 55 milliards d'euros, est réglée par l'AIG. Les États s'engagent à verser les contributions nationales des banques au fonds de résolution unique européen. Celles-ci sont d'abord affectées à des compartiments nationaux, puis progressivement mutualisées pendant une période transitoire de 8 ans.

L'enjeu concerne la répartition des contributions nationales. La Commission européenne, par un acte délégué pris sur la base de la directive BRRD, fixera la clé de calcul. La négociation, à Bruxelles, semble mal engagée pour la France, dont le secteur bancaire serait le premier contributeur, à hauteur de 30 %, loin devant l'Allemagne, 20 à 25 %. Les Allemands ont fait pression pour exclure leurs « petites » banques, qui ne sont pourtant pas si petites. Cela n'est pas acceptable. Il faut soutenir nos négociateurs. Inspirons-nous des Allemands qui refusent de transmettre au Bundestag les textes européens tant qu'ils ne sont pas conformes à leur position. Je vous proposerai un amendement en ce sens.

Enfin, le dernier pilier de l'union bancaire est l'unification des systèmes nationaux de garantie des dépôts. Une garantie existe déjà en France à hauteur de 100 000 euros par déposant. Le système est élargi au niveau communautaire, la principale avancée concernant le délai de remboursement aux déposants, ramené de vingt à sept jours. Le fonds français, de 2,7 milliards d'euros, sera doté à terme d'au moins 5,5 milliards.

La directive Solvency II, ou Solvabilité II, réforme le cadre prudentiel applicable aux sociétés d'assurance, en revoyant le mode de calcul de leurs risques et de leurs fonds propres. Le Trésor s'assurera de sa bonne transposition en lien avec les professionnels ; un accord a été trouvé avec les assureurs afin que la norme de capital soit relevée mais adaptée à leurs engagements de long terme, qui participent au financement de l'économie.

Le paquet MIF II relatif aux marchés d'instruments financiers, comprenant une directive et un règlement, adapte la législation pour tenir compte des nouveaux acteurs et des plateformes de négociation d'actions, d'obligation de produits dérivés qui opèrent à côté des bourses traditionnelles.

Un autre texte est relatif aux abus de marché. Je vous proposerai de le retirer du DDADUE pour en reporter l'examen à plus tard.

Enfin l'article 8 du projet de loi transpose le chapitre 10 de la directive comptable. Il s'agit d'un dispositif spécifique qui vise à lutter contre la corruption et le détournement de fonds, en organisant la transparence des entreprises forestières ou extractives, notamment d'hydrocarbures ou de mines, sur les paiements qu'elles effectuent auprès des autorités nationales des pays où elles opèrent. Cette règle, qui a suscité de nombreux débats à l'Assemblée nationale, a été adoptée par le G20 et transcrite en droit interne par les Américains.

Ce projet de loi contient essentiellement des habilitations à légiférer par ordonnance. Le Parlement est toujours sourcilleux face à cette procédure qui le dessaisit de sa compétence de législateur. J'étais a priori réticent devant le nombre d'habilitations demandées. C'est pourquoi je me suis attaché à examiner l'opportunité de chacune et les justifications avancées. Je vous proposerai de réduire voire de supprimer certaines habilitations, ou bien d'en restreindre le délai, malgré les réticences du Gouvernement.

J'estime néanmoins que les demandes sont pour l'essentiel justifiées par la technicité de la matière et le calendrier. La transposition de Solvabilité II doit intervenir avant le 1er janvier 2016 et plusieurs dizaines de réunions doivent être menées entre le Trésor et les professionnels. De même, pour de nombreux textes, le Gouvernement attend des actes d'exécution, nécessaires pour engager le travail de transposition. Or la négociation de ces actes peut prendre un certain temps alors même que le délai de transposition a commencé à courir. Dans d'autres cas, la transposition consiste en un simple copier-coller des textes européens ou en quelques ajustements à la marge.

La matière bancaire et financière est désormais communautarisée. Nos méthodes de travail doivent évoluer. Il importe de nous tenir au courant des négociations conduites à Bruxelles et de nous inspirer du modèle allemand, c'est-à-dire de montrer que le Parlement a son mot à dire. Ce faisant, nous aiderons nos négociateurs à faire prévaloir nos intérêts.

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