Nous préparons aujourd'hui le débat qui aura lieu en séance publique le 13 janvier prochain, conformément à l'article 35 de la Constitution, sur la prolongation de l'opération Chammal en Irak, par laquelle la France, en coordination avec ses alliés, apporte un appui aérien à l'armée irakienne contre le groupe Daech. Nous accueillons d'abord le général Henri Bentégeat, chef d'état-major des armées de 2002 à 2006 et président du Comité militaire de l'Union européenne de 2006 à 2009.
Nos troupes sont présentes sur de plus en plus de théâtres, mais avec de moins en moins de moyens. Les opérations extérieures (OPEX) récentes, dont Chammal, respectent-elles des critères précis tels que ceux du Livre blanc de 2008 ? La grille d'évaluation de l'engagement des forces armées à l'étranger de 2008 est-elle encore pertinente et, dans le cas contraire, quelles améliorations souhaiteriez-vous y apporter ? Compte tenu du poids budgétaire des Opex, pensez-vous comme certains que « nous n'avons plus les moyens de nos émotions » ?
Général Henri Bentégeat, ancien chef d'état-major des armées. - Les opérations Serval au Mali, devenue Barkhane, et Sangaris en République centrafricaine (RCA), répondent aux critères du Livre blanc de 2008 : la gravité de la menace ne faisait aucun doute au Mali comme en RCA, l'urgence ne permettait pas d'envisager une autre solution que des interventions militaires, leur légalité était certaine, elles sont menées en toute souveraineté et leurs objectifs sont clairs et transparents. Il est difficile de répondre sur le sixième critère, celui de l'adéquation des moyens : d'abord parce qu'un chef militaire demande toujours plus de moyens, c'est bien connu ; ensuite parce que tout dépend de la stratégie retenue. Les effectifs sont suffisants dans les deux cas car il est prévu de transférer plus tard les responsabilités à l'ONU, mais ils ne l'auraient pas été pour appliquer une autre stratégie.
La définition dans l'espace ne pose pas de problème : RCA, d'une part, et les cinq pays du Sahel avec lesquels nous avons des accords, d'autre part ; la définition dans le temps est moins précise : nos espoirs de solution politique ayant été déçus, il est légitime de ne pas quitter trop tôt les théâtres d'opérations. Les coûts ont été sous-évalués ; mais il était impossible de le prévoir concernant Barkhane, qui fut un sursaut, un « surge », comme disent les Américains. D'un point de vue militaire, ces opérations ont donné des résultats satisfaisants ; il aurait fallu plus d'effectifs à Sangaris, mais le pays est suffisamment stable pour programmer un transfert aux Nations unies.
L'opération Chammal répond à la menace certaine que constitue le califat, que ce soit pour protéger notre approvisionnement en énergie, à cause du développement des « combattants étrangers », comme les appelle Daech, parmi lesquels figurent de nombreux Français, pour la protection des minorités, notamment des chrétiens d'Orient, ou généralement pour lutter contre la barbarie, comme c'était le cas au Kosovo.
L'urgence était évidente : sans intervention, Bagdad tombait. L'alternative de laisser les pays de la région gérer la situation était irréaliste, compte tenu de leurs divisions, entre sunnites et chiites et même entre sunnites ; nous aurions pu laisser seuls les Américains et les Britanniques, au motif qu'ils sont en partie responsables de la situation...