Nous poursuivons nos travaux relatifs au débat, qui se tiendra en séance publique le 13 janvier prochain, sur la prolongation de l'opération Chammal.
Mon général, je suis très heureux de vous accueillir. Vous êtes à la fois général et professeur, votre parole nous intéresse donc particulièrement. Nous sommes préoccupés par la situation. Nous aurions du mal à refuser d'autoriser la poursuite de l'intervention, néanmoins la simple continuité nous pose problème, notamment au regard des critères énoncés par le Livre blanc de 2008. Nous voudrions avoir votre point de vue, juste avant d'entendre le ministre de la défense.
Général Vincent Desportes, professeur associé à Sciences Po Paris. - Avant de revenir vers les critères d'évaluation des opérations extérieures, je crois qu'il faut dire, affirmer et répéter sans faiblesse : « Daech delenda est ». Ayons la force de Caton l'Ancien.
Daech est aujourd'hui le danger majeur. Nous n'avons certes pas les moyens de tout, en même temps. Les menaces doivent être priorisées, quitte à consentir quelques compromis avec les moins brûlantes : dans le monde réel, dans un contexte de ressources et de moyens limités, notre politique ne peut être que réaliste.
« Daech delenda est » ... mais nous ne pourrons répandre le sel sur le sol de l'Irak et de la Syrie. Il faudra au contraire le rendre fertile pour de nouvelles semences.
« Daech delenda est » ... et pourtant votre interrogation demeure fondamentale : personne ne doute ici qu'il faille détruire Daech, mais devons-nous participer nous-mêmes à cette destruction ?
Un mot sur Daech, d'abord.
Ne doutons pas de la réalité de la menace directe pour nos intérêts vitaux, dont notre territoire et notre population. Daech est le premier mouvement terroriste à contrôler un aussi vaste territoire (35% du territoire irakien, 20% du territoire syrien). Ce qui représente 200 000 km² (soit l'équivalent de l'Aquitaine, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, PACA et Rhône-Alpes réunis) et une population de l'ordre de 10 millions de personnes. Ce territoire est imparfaitement mais réellement « administré » par un « ordre islamique », fait de barbarie et de rackets. Daech dispose d'un véritable « trésor de guerre » (2 milliards de dollars selon la CIA), de revenus massifs et autonomes, sans comparaison avec ceux dont disposait Al-Qaïda. Daech dispose d'équipements militaires nombreux, rustiques mais aussi lourds et sophistiqués. Plus que d'une mouvance terroriste, nous sommes confrontés à une véritable armée encadrée par des militaires professionnels.
Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre ? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences : ce sont les Etats-Unis. Par intérêt politique à court terme, d'autres acteurs - dont certains s'affichent en amis de l'Occident - d'autres acteurs donc, par complaisance ou par volonté délibérée, ont contribué à cette construction et à son renforcement. Mais les premiers responsables sont les Etats-Unis. Ce mouvement, à la très forte capacité d'attraction et de diffusion de violence, est en expansion. Il est puissant, même s'il est marqué de profondes vulnérabilités. Il est puissant mais il sera détruit. C'est sûr. Il n'a pas d'autre vocation que de disparaître.
Le point est de le faire disparaître avant que le mal soit irréversible, avant que ses braises dispersées n'aient fait de ce départ de feu un incendie universel. Il faut agir, de manière puissante et déterminée, avec tous les pays de la région.
Il faut agir, mais qui doit agir ?
Avant d'aller plus loin dans mon raisonnement, je voudrais, comme vous l'avez souhaité, étudier quelques-uns des critères retenus comme fil guide de ces auditions. J'aborderai d'abord celui de la capacité « d'analyse exacte du contour spatio-temporel et financier d'un engagement ». Ce critère est en opposition profonde avec la nature même de la guerre.
Car, depuis que le monde est monde, personne n'a jamais pu « commander » à la guerre. Le rêve du politique, c'est l'intervention puissante, rapide, ponctuelle, qui sidère. C'est le mythe cent fois invalidé du « hit and transfer », du choc militaire qui conduirait directement au résultat stratégique et, dans un monde parfait, au passage de relais à quelques armées vassales immédiatement aptes et désireuses d'assumer elles-mêmes les responsabilités. Las ! Les calendriers idéaux (du genre « Cette opération va durer six mois ») sont toujours infirmés par ce que Clausewitz appelle la « vie propre » de la guerre. La guerre appartient à l'ordre du vivant, elle n'est pas un objet, elle est un sujet. Dès lors, n'espérons jamais « commander à la guerre » : c'est elle qui imposera son calendrier et ses évolutions. Cela a toujours été vrai : je relie mon propos à trois stratégistes qui inscrivent dans le temps éternel cette caractéristique incontournable de la guerre. 400 av. JC, évoquant la guerre du Péloponnèse, Thucydite indique que « La guerre ne se développe jamais selon un plan arrêté ». Au XVe siècle, Machiavel considère pour sa part que, si « on rentre dans la guerre quand on veut, on en sort quand on peut ». Il y a quelques années, un officier de cavalerie qui connaît la guerre mieux que personne pour en avoir souffert dans sa chair et l'avoir pratiquée à tous les niveaux, je veux parler de Winston Churchill, affirme dans ses mémoires, « Ne pensez jamais, jamais, jamais qu'une guerre peut être facile et sans surprise ; (...) l'homme d'Etat qui cède au démon de la guerre doit savoir que, dès que le signal est donné, il n'est plus le maître de la politique mais l'esclave d'événements imprévisibles et incontrôlables ».
Il a tellement raison ! Prenons deux exemples récents. Quand les Etats-Unis se lancent dans la deuxième guerre du Golfe en 2003, ils ne savent pas qu'elle va les entraîner, 11 ans plus tard, dans une troisième guerre du Golfe. Quand la France décide de stopper les chars libyens devant Benghazi en 2011, elle ne sait pas que cela va l'entraîner en 2013 au Mali et pour de très longues années dans la bande sahélo-saharienne.
De la première bataille à « la paix meilleure » qu'elle vise, il y a toujours un long chemin chaotique qui ne produit le succès que dans la durée, l'effort et la persévérance. Donc, quand on rentre dans une guerre, il faut avoir de la ressource, ce que j'appelle de la « profondeur stratégique » - notion fondamentale - pour pouvoir « suivre » (dans le sens du jeu de poker) et pouvoir s'adapter... ce que nous avons été tout à fait incapables de faire en Centrafrique par exemple.
Je veux insister encore un peu sur ce problème du nombre, car il est crucial. Il est directement lié au concept de résilience. Résilience dans chaque crise et résilience globale. Aucune de nos interventions ne peut produire ses effets dans le temps court, mais notre capacité de « résilience ponctuelle » est très faible : à peine arrivés, il faut partir. C'est pire dans le temps long, et pourtant il faut bien intervenir face aux menaces extérieures.
Au bilan, quelle que soit l'armée considérée, nous sommes engagés au-dessus des situations opérationnelles de référence, c'est-à-dire que chaque armée est en train d'user son capital sans avoir le temps de le régénérer. Nous avons des forces insuffisantes en volume. Pour compenser, tant au niveau tactique qu'au niveau stratégique, nous les faisons tourner sur un tempo très élevé qui les use. C'est-à-dire que si ce suremploi continue, l'armée française sera dans la situation de l'armée britannique sur-employée en Irak et en Afghanistan et obligée pendant quelques années d'arrêter les interventions et de régénérer son capital « at home ». L'effort considérable produit aujourd'hui au profit des interventions a des répercussions fortes et mesurables sur les forces en métropole, en termes de préparation opérationnelle en particulier.
Le sens des responsabilités exige de tordre définitivement le cou au mythe de la guerre courte. Ecartons définitivement les faux rêves toujours invalidés du « first in, first out » et du « hit and transfert ». Cela n'a marché ni pour les Américains en Irak, ni pour nous au Mali. D'ailleurs le « hit and run » n'est pas un facteur de stabilité : nous en sommes à la cinquième opération « coup de poing » en Centrafrique, 34 ans après la première, Barracuda en 1979. Une opération qui dure n'est pas forcément une opération qui s'enlise !
D'ailleurs le Livre blanc de 2008 a, au moins de manière théorique, bien pris en compte cette nécessité. Il postule que : « les phases de stabilisation peuvent s'étendre sur des années » ou que « ces opérations s'inscrivent dans le temps long » et avance que « l'aptitude à durer » est un facteur fondamental de l'efficacité des armées.
Dans ces conditions, il est bien évident que la délimitation de l'espace et du temps, l'évaluation et la maîtrise des coûts relèvent de la gageure. Ce rêve peut être utile en termes de communication politique, mais son propre discours ne doit pas leurrer le politique.
Comment compléter utilement la grille d'évaluation 2008 ?
Je voudrais d'abord prendre un instant pour rappeler ce qu'il est convenu d'appeler la doctrine Powell, admirée en son temps puis oubliée avec ce dernier après son mensonge public, à la face du monde, le 5 février 2003.
Cette « doctrine » a été définie à l'aube de la guerre du Golfe en 1990. Elle se résume à une série de questions :
- Des intérêts vitaux sont-ils en jeu ?
- Des objectifs atteignables ont-ils été définis ?
- Les risques et coûts ont-ils été objectivement analysés ?
- Toutes les autres options non-violentes ont-elles été épuisées ?
- Existe-t-il une stratégie de sortie permettant d'éviter un embourbement ?
- Les conséquences de l'intervention ont-elles été évaluées ?
- Le peuple américain soutient-il cette action ?
- Avons-nous un réel soutien de la communauté internationale ?
Cette grille est bien imparfaite, mais elle est claire et pourrait encore utilement servir d'exemple à nos responsables exécutifs.
Pour ma part, je dirais que toute intervention doit respecter les grands principes stratégiques. J'en citerai cinq :
Premier principe : il ne faut s'engager que si l'on peut influencer au niveau stratégique. Sinon, on use ses forces sans capacité d'influence, on est plutôt discrédité et on ne gagne rien en image. C'est le cas de la Grande Bretagne en Irak et en Afghanistan ; elle a fini par y être relevée sans gloire après y avoir littéralement usé ses armées jusqu'à la corde. C'est le cas de la France en Afghanistan : elle y a conduit une « guerre américaine » sans influence stratégique globale, sans influence sur le cours des opérations, sans influence sur la direction de la coalition. A contrario, la Libye et le Mali - et l'opération Barkhane désormais - ont eu un effet profond sur la perception de la France dans le monde et par ses partenaires.
Deuxième principe : il ne faut intervenir que là où cela a du « sens stratégique ». C'est-à-dire quand notre action vise à préserver nos intérêts, à être à la hauteur de nos responsabilités... et c'est aussi notre intérêt car la France est grande dans le monde, en particulier par sa place au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais cette place lui est contestée tous les jours, et il faut qu'elle la défende, qu'elle la légitime tous les jours. Et elle ne peut le faire que par sa capacité de gestion utile des troubles du monde. Ce qui, au passage, impose absolument la nécessité de conforter notre capacité à agir comme « nation-cadre » et à « entrer en premier ». N'en doutons pas : notre place parmi les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et notre influence dans les affaires du monde sont d'abord fondées sur notre capacité à agir de manière concrète dans les crises (capacité et crédibilité).
Troisième principe : il faut définir des objectifs atteignables. Serval, au Mali, est un cas d'école : les objectifs fixés par le Président de la République, dont l'état final recherché, ont été clairs et, au moins initialement, compatibles avec les moyens disponibles. En Afghanistan, les objectifs ont très vite dérivé et dépassé les moyens dont la coalition disposait (en termes de temps et de capacité de contrôle de l'espace terrestre en particulier).
Quatrième principe : il ne faut intervenir que quand l'action envisagée est compatible avec les moyens disponibles, immédiatement et à terme. Ici le contraste entre le Mali et l'Afghanistan, mais aussi entre le Mali et la RCA, est frappant. Pourtant le Livre blanc de 2008 était clair sur ce point. Il rappelait que « le critère du nombre - effectifs et équipements - demeure pertinent et ne peut entièrement être compensé par la qualité (...) il reste un facteur déterminant » quel que soit le milieu. Le Livre blanc 2013 parle de « volume de forces suffisants ». Dans les faits, l'opération Serval était un pari extrêmement risqué, chacun le sait, en raison du très faible volume de forces déployées, conjugué à la grande vétusté de la majorité des équipements utilisés. L'opération Sangaris est un pari qui a échoué : le pari fait de la « sidération initiale » a échoué. Ensuite, le déni de réalité conjugué à notre manque de moyens a empêché l'adaptation de la force à la réalité du terrain et au déploiement immédiat des 5 000 hommes qui étaient indispensables.
Cinquième principe : il ne faut « pas faire le premier pas sans envisager le dernier ». La formule est de Clausewitz : deux siècles plus tard, elle est toujours d'actualité. Cela veut dire, avoir une stratégie de sortie : et on opposera facilement ici encore le Mali et RCA. Cela veut dire qu'il faut évaluer sans idéologie, sans aveuglement, les conséquences d'une intervention, surtout si l'on n'a pas l'intention d'aller jusqu'au bout.
Il est bon ici de se rappeler ce que le Ministre Powell nommait le syndrome de « Pottery Barn », grande chaîne de magasins de vaisselle aux Etats-Unis. Nous étions en 2002, et Colin Powell voulait dissuader George W. Bush de lancer son agression de l'Irak. Il disait ainsi : « Quand vous entrez chez Pottery Barn, ce que vous cassez vous appartient ». Il avait raison. L'Irak et le Moyen-Orient « appartiennent » aux Etats-Unis, comme les conflits régionaux, en cascade, que cette agression a engendrés, tout comme l'Etat Islamique, « appartiennent » aux Etats-Unis. De la même manière, la Libye appartient à la France, tout comme le chaos régional que nous avons provoqué sur toute la bande Sahélo-saharienne. Du moins si l'on considère qu'il y a un lien entre le sens de la civilisation et le sens de la responsabilité ...
Je tiens à évoquer votre quatrième point, celui du poids budgétaire des OPEX. Il ne s'agit pas « d'avoir les moyens de ses émotions ». Il s'agit de « consentir les investissements nécessaires à la sécurité des Français », selon le mot du ministre Le Drian. Cela n'a rien à voir !
Il est d'abord bien évident que s'offrir une Porsche et être ensuite incapable de payer le carburant pour la faire rouler relève du non-sens. Madeleine Albright avait bien raison quand elle posait la question : « A quoi servent nos belles forces armées si nous ne pouvons nous en servir ? ».
Le sous-dimensionnement patent du budget OPEX a des effets pervers considérables dont doivent être conscients ceux qui en décident. D'abord, laisser dire par les media, sans démenti formel, que les armées dépensent indûment le maigre budget français relève de la faute morale, au moment où nos soldats se battent sur tous les fronts, pour la France et à ses ordres, avec des ressources beaucoup trop comptées. Ensuite, parce que nous sommes toujours en dessous de la « taille critique », ce sous-dimensionnement du budget a des conséquences directes tant sur le succès des opérations que sur la sécurité de nos soldats : ils s'en retrouvent mis en danger.
Aujourd'hui dès qu'une opération est décidée, les planificateurs ont pour ordre strict de limiter au maximum les moyens, non en fonction des exigences opérationnelles mais selon une stricte logique budgétaire. Puis, dès que l'opération est lancée, la seule préoccupation des planificateurs est de rapatrier au plus tôt le maximum des moyens déployés. Avec trois conséquences funestes :
Premièrement, nos soldats se retrouvent toujours en sur-danger par rapport à une opération planifiée normalement, c'est-à-dire en fonction de sa finalité et des exigences opérationnelles. Les options tactiques sont rarement des options « opérationnelles » : ce sont des choix tactiques par défaut, sous forte contrainte. L'opération Sangaris est un exemple dramatique de cette dérive : moyens très insuffisants dès le départ et aucune adaptation des volumes, même lorsque le besoin est criant ;
Deuxièmement, nos forces ont le plus grand mal à remplir leurs missions et agissent en opposition flagrante avec un principe premier de la guerre, le principe de masse et de submersion. L'action, exécutée à moyens comptés, tarde à produire ses effets et coûte finalement beaucoup plus cher. Ainsi, nos forces sont conduites à mener des opérations séquentielles et non parallèles. C'est l'exemple type de Sangaris : d'abord la Séléka, puis les anti-Balaka : la force française y perd son efficacité et son caractère d'impartialité ;
Troisièmement, nos armées ont été déjà transformées en « kit expéditionnaire », donc capables de gagner des batailles mais pas de gagner les guerres - c'est-à-dire produire un « état de paix meilleur que le précédent » selon le mot de Liddell Hart. Aujourd'hui, on accélère leur retrait, gâchant leurs succès initiaux qu'elles ne peuvent plus transformer en succès stratégique et politique. Après avoir repoussé, détruit ou conquis, nous n'avons jamais assez de forces pour « mailler » et « tenir ».
Ainsi, de l'Afghanistan à la RCA en passant par le Mali, le problème majeur est celui de la « permanence » et le syndrome qui lui correspond, celui de « Sisyphe guerrier », reconquérant tous les matins ce qu'il a dû abandonner la nuit.
J'en arrive à Chammal. Après quelques détours, j'en conviens, mais l'on ne perd jamais son temps à prendre un temps de recul stratégique, à une époque où, justement, la tendance est de raisonner dans le temps court, en termes de dépenses de comptoir, des problèmes qui relèvent du temps long et d'investissements lourds.
Je ne m'attarde pas sur l'ahurissante contradiction actuelle entre, d'une part, l'embrasement du monde à nos portes, à notre est, à notre sud-est, à notre sud, la multiplication de nos interventions et, d'autre part, la détérioration profonde et rapide de nos capacités budgétaires avec, en aval, celle de nos capacités militaires. Tout le monde le sait, à droite et à gauche. Certains, trop peu nombreux, le disent.
Il y a toujours plus d'opérations et toujours moins de moyens. Et nous courons sans espoir derrière au moins un succès concret. Nous déshabillons Pierre pour habiller Paul, puis Paul pour rhabiller Pierre et habiller Jacques.
Trop tôt, nous réduisons nos forces au Mali parce qu'il faut aller en RCA ; là, notre faible contingent produit des résultats bien imparfaits mais déjà nous le déshabillons parce qu'il faut bien faire Barkhane ... mais qu'il faut aussi aller reconquérir au Mali l' Adrar des Ifoghas que nous avons lâché trop vite. L'adjudant Thomas Dupuy y trouvera la mort ...
Alors ? Tenons-nous au principe bien connu de la guerre : le principe de concentration ... ou à sa version populaire : « qui trop embrasse mal étreint ». Arrêtons de nous éparpiller ! Regardons les choses en face.
Etat islamique. « Daech delenda est » : certes ! Nous sommes profondément solidaires, mais nous ne sommes aucunement responsables. Nos intérêts existent, mais ils sont indirects. Nos capacités sont limitées et dérisoires, là-bas, par rapport à celles des Etats-Unis et notre influence stratégique est extrêmement limitée. Bien que nous soyons le 3e en termes de participation aérienne, nous sommes considérés par les Américains comme le 9e contributeur, derrière l'Arabie Saoudite. Au sein de l'état-major interalliés et interarmées opératif au Koweït, notre poids et notre accès est très limité, avec seulement une cinquantaine de postes non ABCA sur un millier. Le problème est d'une très grande complexité et ne sera réglé que dans le temps très long, en exigeant toujours plus de moyens.
Barkhane. Nous sommes profondément responsables. A la fois du chaos que nous avons créé et, qu'on le veuille ou non, de la stabilité de la bande sahélo-saharienne et de la frange nord-ouest de l'Afrique noire. De plus, nous y avons des intérêts directs de toute nature. Le problème est militairement beaucoup plus simple, avec des solutions politiques plus claires. La sortie sera plus aisée. Personne ou presque ne viendra nous aider, parce que la solidarité internationale, parce que la solidarité européenne n'existent pas. A défaut d'aide internationale, nous disposons d'une grande autonomie stratégique. Nous, nous y sommes pour longtemps et il faudra bien aller, un jour, en outre, s'occuper du chaos libyen et de la menace Boko Haram qui va continuer à se poser de manière croissante. Nous n'aurons pas le choix.
Alors ? Alors, de grâce, concentrons-nous. Laissons quelques officiers planifier dans les centres d'opérations ; laissons nos trois couleurs flotter sur l'état-major de la coalition anti-Daech. Il faut continuer à payer le prix minimal pour le ticket d'accès à l'information, mais il fait veiller au contrôle de son inflation, déjà en oeuvre. Mais concentrons tous nos efforts et nos maigres moyens sur cette opération Barkhane, gigantesque défi stratégique et logistique, conduit aujourd'hui avec un effectif dérisoire pour une mission de sécurité ultra-complexe couvrant une zone immense de cinq pays aux frontières poreuses, avec un dispositif français déjà au bout de ses capacités.
Et nous n'avons pas le choix : nous devons y vaincre, forcément sur le temps long. Pour le monde. Mais surtout pour la France et la sécurité de nos concitoyens.