Votre président a souhaité que je puisse faire un tour d'horizon des principaux théâtres sur lesquels nous sommes engagés. Je vais y procéder puis je répondrai à vos questions.
Je voudrais, en préambule, vous dire ma profonde satisfaction de la libération de M. Serge Lazarevic, qui était le dernier otage français retenu à l'étranger.
Actuellement, 9 490 militaires servent en opérations sur tous les théâtres extérieurs. Vous me permettrez de commencer cette intervention en rendant hommage à leur action, en particulier sur le territoire africain, où depuis le 11 janvier 2013, 18 soldats français ont trouvé la mort.
Je prends la parole au lendemain d'une actualité internationale particulièrement dense. Nous étions avant-hier avec quelques-uns d'entre vous à Dakar où se tenait le Forum international pour la paix et la sécurité en Afrique ; ce forum faisait suite au sommet de l'Élysée qui avait décidé d'un lieu de débat, qui va devenir annuel, permettant aux responsables politiques, aux experts, aux ONG, aux militaires, de participer à la réflexion commune sur la sécurité en Afrique, avec comme objectif une appropriation collective par les Africains de leur propre sécurité et la nécessaire mise en oeuvre de coopérations entre les États africains pour l'assurer. J'ai été frappé par la prise de conscience d'une nécessaire solidarité active des États africains et par la préoccupation partagée sur le développement des trafics de drogue, des migrations clandestines et du terrorisme, qui constitue un risque permanent pour la sécurité du continent africain. Ce forum faisait suite à une rencontre quelques jours auparavant des ministres de la défense des pays des deux rives de la Méditerranée, dans le cadre du « 5+5 ».
J'aborderai successivement devant vous nos opérations en Afrique (bande sahélo-saharienne, République Centrafricaine, lutte contre le virus Ebola) avant de clore sur la situation au Levant.
Cela fait maintenant 4 mois que l'opération Barkhane dans la bande sahélo-saharienne (BSS) a été lancée le 1er août. Ce dispositif inédit et ambitieux commence à porter ses fruits et s'avère un outil de premier plan contre les groupes djihadistes terroristes qui utilisent le Sahel comme un espace qui leur appartient.
Notre stratégie de régionalisation vise, après l'opération Serval, à décloisonner notre action dans cette vaste région - sur la base d'accords bilatéraux avec chaque pays hôte pour apporter une réponse régionale et un commandement global unifié de l'ensemble de nos opérations, qui permettent de gagner en réactivité et en efficacité. Nous en voyons déjà les premiers résultats. Elle s'accompagne d'une démarche d'appropriation effective de cette lutte contre le terrorisme par les acteurs de la région - le Mali, le Niger, le Tchad, le Burkina Faso et la Mauritanie - regroupés dans une instance nouvelle, le « G5 Sahel », qui réunit les chefs d'état-major des armées de ces pays : ils essaient de faire en sorte qu'il y ait une interopérabilité et des opérations communes et invitent régulièrement le chef d'état-major des armées françaises à participer à leurs travaux. Ce groupement régional dispose d'un état-major commun et d'une force de 3000 militaires répartis sur différents sites.
Je souhaite, à présent, détailler quelques-unes de nos avancées concrètes dans le cadre de l'opération Barkhane. Au Mali, alors qu'en septembre dernier, les forces de l'ONU étaient déstabilisées au Nord du pays par une série d'attaques meurtrières sur leurs contingents les plus exposés, la donne a changé. Au cours des dernières semaines, nous observons une diminution très sensible des activités de harcèlement par les groupes armés terroristes. Cette baisse résulte de l'efficacité de nos opérations récentes dans la région de l'Adrar des Ifoghas : l'opération Tudelle, par exemple, conduite début novembre, s'est conclue à elle seule par la neutralisation de 24 djihadistes, le démantèlement d'un camp et la découverte de 9 caches d'armes dans le massif de Tigharghar.
Autre marqueur de succès, la neutralisation d'Ahmed al-Tilemsi, émir du Mujao et commanditaire de l'enlèvement de Gilberto Rodrigues Leal, otage français enlevé en novembre 2012, dont la mort a été annoncée en avril mais le corps jamais retrouvé.
En un an, plus de 200 terroristes ont été neutralisés, dont près de 60 depuis le 1er août. Certains ont été transférés aux autorités maliennes ou nigériennes. Nous allons maintenir cette pression afin, notamment, de faciliter la mise en place du troisième état-major de la MINUSMA à Kidal.
Nous continuerons à exercer cette pression dans le nord Mali en renforçant notre base avancée temporaire de Tessalit afin de mieux soutenir la MINUSMA dans cette zone.
Entre Kidal et Gao, nous assistons toujours à un équilibre précaire entre les groupes armés signataires, dans le contexte de création d'un rapport de forces visant à influencer l'issue des négociations d'Alger qui vont reprendre en janvier 2015. Ce processus conduit par l'Algérie, soutenu par l'Union africaine et par la France, vise à la recherche d'une solution politique inclusive et définitive au Mali sur la base d'une feuille de route qui a été établie lors des premières sessions.
En parallèle à notre action sur le terrain aux côtés des forces maliennes et de l'ONU, EUTM Mali a débuté le 24 novembre dernier, sous commandement espagnol, la formation du 6e bataillon des forces maliennes. 500 militaires européens participent à cette mission dont 10% de Français.
Pour conduire son action, l'opération Barkhane s'appuie sur un réseau de bases avancées temporaires, qui ont vocation à croître ou à décroître en fonction de l'actualité et des espaces sur lesquels nous souhaitons porter notre effort, comme celle de Tessalit au Mali, celles d'Abéché et de Faya-Largeau au Tchad ou celle de Madama au Niger où nous achevons la construction d'une piste d'aviation. Cette base deviendra le point d'appui des opérations bi ou tri-partites que nous mènerons dans cette région avec les forces armées nigériennes et tchadiennes et constituera une sentinelle face au sud libyen, dont tous mes interlocuteurs, lors du premier forum international sur la paix et la sécurité en Afrique qui vient de se tenir à Dakar, ont souligné le caractère central pour leur propre sécurité.
Enfin, s'agissant du Tchad, à la périphérie de l'opération Barkhane dont l'état-major se trouve à N'Djamena, le nord du Nigeria est confronté au développement du terrorisme djihadiste de Boko Haram. Dans la suite du sommet de Paris organisé par le Président de la République en juillet 2014 pour lutter contre cette secte djihadiste et devant le risque important de contagion dans la région, la France a pris l'initiative de mettre en mouvement les partenaires du bassin du lac Tchad (Nigeria, Niger, Tchad et Cameroun) qui ont décidé de constituer une unité susceptible de réagir aux actions de Boko Haram en fournissant chacun l'équivalent d'un bataillon. Mais il faut faire en sorte que ces résolutions soient mises en oeuvre. On en revient toujours à notre préoccupation de l'appropriation collective par les Africains de leur propre sécurité et du développement de la coopération entre eux. Notre présence doit être un accélérateur de coopération. Nous avons donc décidé d'épauler cette démarche et de susciter la création d'une cellule légère de coordination et de liaison à N'Djamena qui associera les quatre partenaires. Ce n'est pas une intervention mais un soutien apporté aux pays de la région, qui reconnaissent tous que la menace est prégnante.
Il y a tout juste un an, nous nous engagions en Centrafrique, pour répondre à l'imminence d'une catastrophe humanitaire, sécuritaire et économique, une situation qualifiée de pré-génocidaire par certains observateurs. Aujourd'hui, il me semble qu'on entre dans une phase de stabilisation.
La présence de Sangaris a permis d'apaiser les tensions. Le trafic aérien et commercial retrouve une activité normale. La circulation reprend sur l'axe routier principal reliant le Cameroun à la capitale, ce qui est très important pour ce pays enclavé pour son approvisionnement et le transport de l'aide humanitaire. Sur le plan humanitaire, le camp de M'Poko a considérablement diminué. Les écoles ont repris... La vie reprend progressivement en Centrafrique.
À Bangui, malgré quelques épisodes de violence sporadiques, la situation a permis la reprise d'une vie économique et le retour de nombreux réfugiés. Les pics de violence subsistent - nous avons eu deux blessés hier - mais sont plus espacés, moins longs et moins violents, ce qui requiert néanmoins notre vigilance. En province, la situation reste contrastée et, par endroits, volatile malgré l'intervention de la force Sangaris en appui à la MINUSCA, avec des zones de frictions entre les « anti-balaka » et les « ex-Séléka » notamment dans la région de Bambari.
Je vous rappelle que la MINUSCA est déployée depuis le 15 septembre, même si elle n'a pas achevé sa phase de montée en puissance. Ce sont plus de 8 500 soldats qui oeuvrent désormais en RCA. L'objectif est d'atteindre 12 000 soldats en avril 2015 et d'étendre le déploiement vers l'est du pays.
L'action de l'Union européenne est également importante. Un travail remarquable a été accompli par l'EUFOR RCA (700 soldats), notamment en contribuant avec Sangaris au déploiement de la MINUSCA pour la garde de l'aéroport de M'Poko. Le mandat de l'EUFOR, sur proposition de la France, a été reconduit jusqu'au 15 avril et sa transformation en mission de conseil et d'assistance au profit des Forces armées centrafricaines, décidée.
C'est maintenant sur un plan politique que nos efforts doivent se concentrer. Les autorités politiques et l'Autorité nationale en charge des élections ont présenté un calendrier précis en vue des élections législatives et présidentielles de 2015 qui doivent à mon sens impérativement se tenir à l'été. La pacification globale du territoire permet aujourd'hui l'organisation prochaine des élections. Nous avons eu confirmation à Dakar du soutien de la CEEAC et de l'Union africaine à ce processus électoral et à l'organisation d'élections dans un délai bref.
Nous avons en conséquence décidé de réduire notre empreinte sur le terrain. Nous compterons 1 900 militaires français à la fin de ce mois au lieu de 2 400 au plus fort de notre engagement. Il devrait atteindre 1500 à l'été 2015. Cette réduction s'accompagne d'un renfort en armement, afin de pouvoir agir plus efficacement en appui de la MINUSCA. La MINUSCA restera jusqu'au rétablissement d'une situation normale et la reconstitution des forces armées centrafricaines, ce qui prendra nécessairement un peu de temps.
J'en viens à notre contribution à la lutte contre le virus Ebola qui constitue une opération extérieure pour la Défense. Avec plus de 18 000 cas et de l'ordre de 7 000 décès, l'épidémie due au virus Ebola revêt une gravité exceptionnelle qui menace plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest. Face à cette situation sans précédent du fait de la létalité induite par cette maladie (60 à 70% au début), le ministère de la défense concourt activement à l'action interministérielle de riposte organisée par la France, essentiellement centrée sur la Guinée.
Sur le territoire métropolitain, la Défense contribue au dispositif de prise en charge hospitalière des cas possibles ou confirmés de malades à virus Ebola. Ainsi, l'hôpital Bégin, à Saint-Mandé, est l'un des établissements de santé « Ebola » référencés par le ministère en charge de la santé. Il a pris en charge avec succès les deux patients confirmés et hospitalisés en France à ce jour.
Pour notre action à l'étranger, les armées ont mis en place une capacité d'évacuation médicalisée par voie aérienne, associant les moyens de l'armée de l'air et du service de santé des armées, mobilisables à tout moment.
Des experts ont été également dépêchés sur place auprès des autorités guinéennes. Nous appuyons le centre de traitement confié à la Croix-Rouge à Macenta en Guinée forestière. Il s'agit d'un appui logistique, sécuritaire et en personnel de santé. Pour les centres de Forecariah, Kérouané et Beyla, nous avons renouvelé notre appui logistique et sécuritaire.
Enfin, la Défense va mettre en oeuvre à Conakry un centre de transit et de traitement pour les personnels soignants, avec des personnels des armées et du service de santé, et en coopération avec les armées guinéennes. Ce centre sera opérationnel à la mi-janvier 2015 et représentera un déploiement de 130 militaires.
Les forces françaises sont également engagées au Levant, avec l'opération Chammal, dans des opérations de haute intensité contre la menace présentée par Daech.
Sur le terrain, Daech a perdu l'initiative mais demeure extrêmement combatif au nord de l'Irak, dans la vallée de l'Euphrate et autour de Tikrit. « L'Armée terroriste », car il s'agit bien d'une armée disposant de 20 à 30 000 combattants, qui utilise des techniques diverses y compris militaires classiques, cherche à compenser son manque de succès tactique par un activisme accru dans le champ médiatique. Confronté à de multiples fronts, Daech ne semble plus en mesure de basculer son effort d'un point d'appui à l'autre aussi facilement qu'auparavant.
Ayant amélioré leurs connaissances sur les modes d'action adverses, les Forces de Sécurité irakiennes et les Peshmergas, commencent à contrer plus efficacement les offensives ennemies et parviennent à gagner du terrain à certains endroits.
En Irak, « l'Armée terroriste » piétine donc contre les lignes de défense des Peshmergas ; elle recule même dans certains cas face aux forces de sécurité irakiennes. Néanmoins, afin de sanctuariser ses acquis avant l'hiver, Daech multiplie des offensives localisées, notamment dans la vallée de l'Euphrate, sur l'axe Falloujah-Ramadi et dans la province d'Al-Anbar. Il pratique par ailleurs une stratégie de terreur avec des actions de harcèlement, attentats, assassinats et enlèvements dans le Grand Bagdad. L'offensive de Daech a été arrêtée mais le mouvement de recul n'a pas été engagé.
En Syrie, Daech a perdu du terrain face aux combattants kurdes à Kobane, mais recherche des gains plus à l'est, le long de la frontière turque. En outre, il y a dix jours, il a lancé une offensive contre Deir-ez-Zor avec pour objectif la prise de la ville et de son aéroport. Appuyées par de nombreuses frappes aériennes, les forces de Bachar el Assad ont réussi pour l'instant à repousser l'offensive et à garder le contrôle de l'aéroport. Dans le même temps, lundi, le Jabat al Nosra et Ahrar al-Cham, deux mouvances radicales, qui ne sont pas liées à Daech et relèvent de la mouvance d'Al-Qaeda, se sont emparés de deux positions militaires, bases, du régime. Cette avancée du Jabat conforte ses positions au nord-ouest de la Syrie.
Les forces aériennes de la coalition ont conduit plus de 640 frappes en Irak (et 560 en Syrie) depuis le début des opérations.
Notre dispositif Chammal constitue la deuxième contribution derrière les Etats-Unis avec 9 Rafale basés aux Emirats arabes unis et son renforcement effectif avec le déploiement de 6 Mirage 2000D en Jordanie. Nos avions participent aux vols opérationnels dont l'objectif est de cibler des lieux de concentration, des dépôts de munitions, ou des installations de Daech ou de traiter des cibles d'opportunité détectée à l'occasion des patrouilles réalisées quotidiennement. Ils ont encore participé cette nuit même à un raid de la coalition à l'est du Mont Sinjar. Enfin, les missions de reconnaissance françaises à Bagdad préparent notre participation au programme de conseil et d'assistance, qui mobilisera 120 soldats français aux côtés des forces de sécurité irakiennes mais aussi kurdes.
Dans le Golfe arabo-persique, la frégate Jean-Bart est parfaitement intégrée dans le dispositif allié, permettant de conduire et contrôler les activités aériennes quotidiennes, tout en recueillant du renseignement.
S'agissant de notre action en Syrie, nous n'effectuons ni frappes, ni attaques au sol. Nous ne souhaitons pas que notre intervention favorise Bachar el Assad, pas plus que Daech. Comme les autres pays européens, nous soutenons l'Armée syrienne libre dont les forces se trouvent principalement dans le nord-ouest entre la frontière turque et Alep et au sud. Nous participerons au programme « Train and Equip » initié par la coalition qui vise à rendre plus opérationnelles ces forces syriennes « libres » qui ne sont assujetties ni à Bachar el-Assad, ni à Daech, ni à Jabat al Nosra, et auxquelles nous fournissons éventuellement de l'armement pour les aider à résister.
La stratégie de la coalition est assez simple. Il s'agissait dans un premier temps d'arrêter la progression de Daech par de l'appui au sol. Il faut maintenant former les Forces armées irakiennes et les Kurdes liés par un accord aux autorités de Bagdad pour qu'ils soient en mesure de reconquérir le terrain avec également la nécessité d'intégrer les éléments sunnites qui voudront bien se rallier, ce qui est en cours. L'opération prendra du temps, il est difficile de dire quand l'offensive sera lancée. Nous ne sommes pas dans cette phase, mais il y aura une offensive, probablement dans le courant de 2015 pour reconquérir le territoire.
En outre, nous devons contrer la volonté du Califat de s'étendre au Liban, à la Jordanie et à la Palestine. Au Liban, avec le soutien de l'Arabie Saoudite, nous avons décidé en décembre 2013, de renforcer les Forces armées libanaises par un plan tripartite d'équipement et de formation volontariste. Ce contrat d'une valeur de 2,5 milliards d'euros a été signé le 4 novembre dernier.