En présentant la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, je m'étais attardé sur l'analyse de la trajectoire de solde public à moyen et long termes, et notamment de sa composante structurelle, ainsi qu'aux prévisions macroéconomiques. Je m'intéresserai aujourd'hui plus particulièrement au déficit effectif, en le comparant à l'exécution des lois de finances pour 2013 et 2014.
Depuis le programme de stabilité d'avril 2014, le Gouvernement a revu ses hypothèses de croissance et d'inflation pour 2015, qui passent de 1,7 % et 1,5 % à 1 % et 0,9 %. À en croire le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et la Commission européenne, ces chiffres restent trop optimistes. Le premier juge « plausible » la prévision d'inflation, mais « optimiste » l'anticipation de progression du PIB ; la seconde, quant à elle, a annoncé qu'elle prévoyait, pour la France, une croissance de 0,7 %.
La croissance devant s'établir autour de 0,4 % en 2014, il faudrait, pour atteindre une progression de 1 % en 2015, que l'activité redémarre rapidement et durablement. À cet égard, le scénario du Gouvernement prévoit, tout d'abord, une hausse du commerce mondial de 5,1 % ; toutefois, la prévision de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) n'est que de 4 %. Les effets du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité et de solidarité pourraient être plus limités que prévu. Les incidences du CICE tant sur l'investissement des entreprises que sur l'emploi sont encore difficiles à déterminer à ce jour. Quant à la consommation, ni le taux d'épargne élevé, ni la situation du marché du travail ne laissent envisager une hausse rapide. Par ailleurs, l'indice synthétique de l'Insee sur le climat des affaires fait apparaître une dégradation au cours des derniers mois, qui ne laisse guère présager de rebond avant la fin de l'année, ni même l'an prochain. Même, les résultats d'une enquête menée par le cabinet de conseil Bain montre un net recul de l'attractivité de la France auprès des investisseurs américains.
En loi de finances initiale, un article liminaire présente l'évolution du solde structurel par rapport à la trajectoire prévue. En 2015, le solde structurel serait de - 2,2 % du PIB, pour un solde public effectif de - 4,3 % du PIB. La France affiche l'un des déficits les plus élevés de la zone euro ! La prévision de solde structurel pour 2015 comme la trajectoire de solde pour la période 2014-2019 sont déjà dépassées puisque le Gouvernement a annoncé, il y a quelques jours, un ajustement supplémentaire en 2015. Aucune des recommandations du Conseil de l'Union européenne, dans le cadre de la procédure de déficit excessif, n'a été respectée, d'où les récents échanges de lettres entre Paris et Bruxelles dans le cadre de la procédure instituée par le Two Pack. La première phase est passée, mais il faut, malgré tout, s'attendre à ce qu'un avis sévère soit rendu à la fin du mois de novembre par la Commission européenne. Pour l'heure, le Gouvernement s'est borné à annoncer, dans un courrier du 27 octobre à la Commission, un ajustement structurel supérieur à 0,5 point de PIB en 2015. En quoi consiste l'effort supplémentaire de 3,6 milliards d'euros envisagé ? Nos seules informations sont puisées dans les journaux. Je rappellerai à Michel Sapin, qui vient cet après-midi devant notre commission, que le Parlement devrait être informé et lui demanderai des évaluations chiffrées des mesures envisagées. Quoi qu'il en soit, la trajectoire 2014-2019 est déjà périmée.
La plus grosse partie du programme d'économies de 50 milliards d'euros pour la période 2015-2017 s'appliquera en 2015 ; sur un total de 21 milliards d'euros, l'État et ses agences réaliseraient un effort en économies de 7,7 milliards d'euros, les collectivités territoriales, de 3,7 milliards d'euros et les administrations de sécurité sociale, de 9,6 milliards d'euros.
L'évolution des recettes de l'État résulte de celle de trois grands ensembles : les recettes fiscales nettes, soit les recettes fiscales desquelles sont déduits les remboursements et dégrèvements, les dépenses fiscales et, enfin, les recettes non fiscales, comme les dividendes issus des participations de l'État. Pour 2014, d'après l'estimation révisée du projet de loi de finances pour 2015, les recettes fiscales nettes se seraient élevées à 273 milliards d'euros, soit 11 milliards d'euros de moins que prévu en loi de finances initiale. Cet écart est-il dû à un excès d'optimisme ? À une dégradation de la conjoncture ? Je crois qu'il résulte aussi des hausses d'impôts successives, qui ont fini par engendrer ce que Pierre Moscovici lui-même a appelé un « ras-le-bol fiscal ». Les hausses ne produisent plus le rendement attendu. Ainsi, s'agissant par exemple des cotisations sociales des particuliers employeurs, la suppression du système de forfait au décompte des heures réelles s'est traduite par une baisse de 8 % de leur produit dès le trimestre suivant.
Pour 2015, le Gouvernement escompte une progression de 5,6 milliards d'euros des recettes fiscales. D'où proviendrait-elle ? Certaines hausses d'impôts déjà votées entreront en vigueur. À l'inverse, la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu et la réforme de la décote coûteront 2,7 milliards d'euros ; de même, la hausse du coût des contentieux fiscaux est estimée à 800 millions d'euros. La plus grande part de l'augmentation des recettes fiscales est portée par l'évolution spontanée : or, la progression des recettes de 4,8 milliards d'euros grâce à la croissance me paraît des plus douteuses : si la croissance n'est que de 0,7 %, compte tenu de la forte élasticité prévue des recettes à la croissance, le manque à gagner en recettes serait de l'ordre de 4 milliards d'euros.
Le produit de tous les « grands » impôts devrait augmenter en 2015, à l'exception de celui de l'impôt sur les sociétés (IS) en raison de la montée en charge du crédit d'impôt compétitivité et emploi (CICE). Selon ce scenario optimiste, la TVA devrait rapporter 142,6 milliards d'euros, contre 137,8 milliards d'euros en 2014. Le produit de l'impôt sur le revenu (IR) augmenterait également malgré la suppression de la première tranche et la réforme de la décote. L'impôt sur le revenu a spectaculairement crû depuis 2011 : de 51,5 milliards d'euros à 69,5 milliards d'euros l'an prochain, soit une hausse de 35 % ! En aucun cas cette hausse n'accompagne celle de la richesse en France.
Cette évolution résulte de plusieurs mesures, parmi lesquelles : la fiscalisation des heures supplémentaires, la soumission des revenus du capital au barème progressif de l'impôt sur le revenu, les abaissements successifs du quotient familial et la suppression de dépenses fiscales en faveur des salariés et des retraités. La réforme de l'impôt sur le revenu coûtera 3,2 milliards d'euros, dont 500 millions d'euros pour la suppression de la première tranche.
Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, demandé par notre commission à l'initiative de François Marc et Philippe Marini et relatif à la fusion de l'impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée, nous sera présenté en janvier prochain. L'impôt sur le revenu, en particulier, est mité par de multiples dépenses fiscales. Très progressif, il est payé par un nombre de plus en plus réduit de contribuables : le journal Le Monde indiquait ainsi que 75 % des hausses récentes ont été payées par 20 % des ménages.
Les dépenses fiscales, au nombre de 453, augmenteront de près de 3 milliards d'euros : elles coûteront 81,9 milliards d'euros en 2015, contre 78,9 milliards d'euros en 2014. Cette évolution reflète la montée en puissance du CICE. Dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques qui sera examiné demain, en séance publique, la commission a adopté un amendement limitant à quatre ans et soumettant à une évaluation plus systématique toute nouvelle dépense fiscale. Le plafonnement des dépenses fiscales hors CICE prévu dans la loi de programmation des finances publiques 2012-2017 conduit à ce que les autres dépenses fiscales, hors crédit d'impôt recherche (CIR), diminuent d'environ 2 milliards d'euros.
Quant aux recettes non fiscales, certaines, provenant de la vente d'actifs et retracées dans les comptes d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » et « Participations financières de l'État », ne peuvent financer les dépenses courantes de l'État, comme le prévoit la LOLF s'agissant des participations financières de l'État.
Si on met à part ces recettes non fiscales provenant de la vente d'actifs, les autres recettes non fiscales sont composées de divers agrégats, comme par exemple les produits du domaine, les amendes... Elles incluent notamment les dividendes, qui constituent 40 % des recettes non fiscales du budget général de l'État. Au total, les recettes non fiscales diminueraient de 340 millions d'euros en 2015 par rapport à l'évaluation révisée pour 2014, principalement du fait de la baisse des recettes issues des dividendes.
Les dépenses totales de l'État devraient s'élever à 372,9 milliards d'euros en 2015, contre 379,1 milliards d'euros prévus en loi de finances initiale pour 2014. Sur un périmètre plus restreint, celui des dépenses des ministères et des opérateurs, l'estimation pour 2015 est de 208,6 milliards d'euros, contre 210,4 milliards d'euros en loi de finances pour 2014. Ces dépenses diminueraient donc de 1,8 milliard d'euros en valeur, soit une baisse par rapport au tendanciel de 7,2 milliards d'euros.
Les crédits peuvent être présentés par destination, ce qui correspond à une approche par mission, ou par nature, c'est-à-dire par titre : dépense d'investissement, dépense de personnel...
L'analyse par mission fait ressortir que la mission la plus importante est la mission « Enseignement scolaire », dotée de 66,4 milliards d'euros. Suivent la mission « Engagements financiers de l'État », avec 45,2 milliards d'euros, c'est-à-dire la charge de la dette - ce poste est donc sensible à la variation des taux d'intérêt - puis les budgets de la défense, de la recherche et de l'enseignement supérieur... L'analyse par nature de la dépense permet de noter que les crédits de personnel représentent 30 % des dépenses, de même que les crédits d'intervention. Les dépenses d'investissement se situent à 2,1 % seulement : ce chiffre est vraiment frappant.
L'État investit très peu et l'essentiel de l'investissement public est porté par les collectivités territoriales. Attention, donc, à ne pas trop diminuer leurs dotations ! Et ce d'autant plus que l'investissement devient une variable d'ajustement pour l'État.
Le plan d'économies de 50 milliards d'euros annoncé par le Gouvernement concerne aussi bien l'État (19 milliards d'euros) que les collectivités territoriales (11 milliards d'euros d'économies) et les administrations de sécurité sociale (20 milliards d'euros d'économies). En 2015, l'État devra dégager 1,4 milliard d'euros d'économies dans ses dépenses de personnel, 2,4 milliards d'euros dans ses dépenses d'intervention, 2,1 milliards d'euros dans ses autres dépenses et il devra réduire de 1,8 milliard d'euros les dépenses de ses opérateurs. Il faut noter que le taux de mise en réserve est augmenté à 8 % dans le projet de loi de finances pour 2015. Dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques, nous avons voulu encadrer le taux de mise en réserve en prévoyant un plafond et un plancher, j'y reviendrai. Les réformes qui sous-tendent ces économies ne sont pas toutes détaillées : si certaines, comme les prélèvements sur des fonds de roulement, ne présentent guère d'aléa, d'autres, comme la réduction des dépenses d'intervention et de fonctionnement, sont encore floues, faute de précisions du Gouvernement sur les sources d'économies. D'où l'augmentation à 8 % du taux de mise en réserve des crédits.
Le plafond global des taxes affectées diminue de 309 millions d'euros à périmètre constant. Sur 1,1 milliard d'euros d'économies au titre des ressources affectées aux opérateurs, 780 millions d'euros sont liés à des contributions exceptionnelles : 500 millions d'euros seraient prélevés sur les fonds de roulement des chambres de commerce et d'industrie, 175 millions d'euros sur ceux des agences de l'eau, pendant trois ans, 45 millions d'euros sur les chambres d'agriculture et 60 millions d'euros sur le Centre national de la cinématographie (CNC). Si ces diminutions sont peut-être justifiées pour certains organismes, elles ne sont pas pérennes et ne s'accompagnent d'aucune réforme structurelle : il s'agit de simples coups de rabot pour assurer le bouclage du budget.
Les collectivités territoriales devront dégager 3,7 milliards d'euros d'économies, 1,45 milliard d'euros pour les communes, 621 millions d'euros pour les intercommunalités, 1,1 milliard d'euros pour les départements et 500 millions d'euros pour les régions.
L'État réduit légèrement ses effectifs, mais cette réduction masque des disparités selon les missions. Les créations de postes sont concentrées sur quelques ministères, principalement l'éducation nationale, l'enseignement supérieur et la recherche, l'intérieur et la justice. Le ministère de la défense compensera, à lui seul, 85 % des créations d'emplois dans l'éducation nationale en 2015, ce qui, dans le contexte international actuel, me semble inquiétant. Le gel prolongé du point d'indice et une réduction inédite des mesures catégorielles, qui sont presque exclusivement destinées aux fonctionnaires les moins bien payés, entraîneront un tassement de la grille salariale qui devient préoccupante car elle dégrade l'attractivité de la fonction publique.
Les crédits correspondant aux prestations et transferts ont continument augmenté depuis dix ans, quand la part des crédits d'investissement, déjà faible, n'a fait que se réduire. Elle diminuera encore de 14 % en 2015. À cet égard, la diminution des dotations aux collectivités territoriales n'augure rien de bon : nous attendons avec impatience le rapport de Charles Guené et ses collègues au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.