Intervention de Francis Delattre

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 5 novembre 2014 : 2ème réunion
Loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 — Examen du rapport pour avis

Photo de Francis DelattreFrancis Delattre, rapporteur pour avis :

Le Gouvernement prévoit, pour la période 2015-2017, un effort d'économies important, à hauteur de 50 milliards d'euros, dont 21 milliards d'euros pour les administrations de sécurité sociale. Des trois grands contributeurs publics à cet effort, elles seront les plus concernées, tant en raison du volume de l'effort que parce que les objectifs qui leur sont assignés sont parmi les plus difficiles à atteindre.

Il n'est pas illogique, cependant, que les dépenses sociales, qui représentent 43,2 % de la dépense publique, portent une part plus lourde de l'effort. Les maîtriser est d'autant plus nécessaire que, représentant 27,4 % du PIB, contre 20,7 % en moyenne pour la zone euro, elles expliquent l'essentiel de l'écart entre le niveau de la dépense publique en France et le niveau moyen constaté dans la zone euro. Certes, le niveau élevé de nos dépenses sociales résulte d'un choix de société, qui remonte à l'après-guerre, mais ce modèle social que le monde, dit-on, nous envie, devient difficilement soutenable alors que le nombre de chômeurs atteint 5 millions et que la pauvreté gagne dans notre pays. Cette situation appelle des réformes structurelles.

Sur ces 21 milliards d'euros d'économies, 10 milliards d'euros concernent le champ des dépenses d'assurance maladie. Par conséquent, le projet de loi de programmation des finances publiques a prévu de ramener le taux d'évolution de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) à 2,0 % en moyenne entre 2015 et 2017. Sachant que la croissance tendancielle des dépenses entrant dans son champ s'est élevée, ces dernières années, à 3,9 % par an, on peut se demander si le défi est crédible. Il suppose que soient réalisés 3,5 milliards d'euros d'économies par an, en moyenne, sur la période. Atteindre un tel objectif, ainsi que l'a souligné le comité d'alerte sur le respect de l'ONDAM en octobre dernier, n'est envisageable qu'au prix de sérieuses réformes de structure.

Sont prévus, en outre, 11 milliards d'euros d'économies sur les autres dépenses de protection sociale. Ce montant comprendrait les effets de décisions déjà prises en 2013 dans le cadre de la réforme des régimes de retraite de base et complémentaire et de la réforme de la politique familiale, pour 2,9 milliards d'euro, la poursuite de la démarche du rétablissement de l'équilibre des régimes de retraite complémentaire pour 2 milliards d'euros, la réforme de l'assurance chômage - et peut-être est-ce là ce qui soulève le plus d'interrogations - pour 2 milliards d'euros et le report de la revalorisation de certaines prestations sociales, notamment sur les retraites de base, pour 2 milliards d'euros également. Enfin, les organismes de protection sociale seraient amenés à dégager 1,2 milliard d'euros d'économies de fonctionnement.

Ces chiffres sont éloquents. En 2015, il est prévu une contribution significative des administrations de sécurité sociale à l'amélioration du solde structurel et du solde effectif, conformément à la programmation. Celles-ci réaliseraient, en 2015, 9,6 milliards d'euros d'économies sur le total de 21 milliards d'euros prévu pour la période.

Toutefois, ce scénario est fragilisé par les hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement. Rappelons que la Commission européenne ne croit pas à l'hypothèse de 1 % de croissance, et table plutôt sur 0,7 %. Le dynamisme de la masse salariale pourrait être plus faible que prévu, ce qui n'est pas neutre : une progression de la masse salariale plus faible d'un point représente un manque à gagner de près de 2 milliards d'euros pour le régime général. Cette trajectoire nous paraît ainsi difficile à tenir, d'autant que le Gouvernement tarde à documenter plus précisément, comme nous le lui avons demandé, les économies annoncées.

Sur les 9,6 milliards d'euros d'économies annoncées dans le champ des administrations de sécurité sociale en 2015, 6,7 milliards d'euros concerneraient les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et 2,9 milliards d'euros pèseraient sur les autres administrations de sécurité sociale. Le projet de loi de financement pour 2015 intègre environ 4,6 milliards d'euros d'économies, dont 3,2 milliards d'euros provenant du respect de l'ONDAM.

Toutefois, sur ces 9,6 milliards d'euros, 1,5 à 3 milliards d'euros apparaissent très hypothétiques, compte tenu du manque d'informations transmises à leur sujet. Le plan d'économies du Gouvernement peut donc être qualifié de fragile.

Après cet aperçu d'ensemble, j'en viens aux grands équilibres et aux mesures proposées dans ce projet de loi de financement.

Tout d'abord, on constate que la baisse du déficit de la sécurité sociale attendue en 2014 n'aura pas lieu. Le déficit du régime général et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) se stabilisera en effet aux alentours de 15,4 milliards d'euros en 2014, comme en 2013. Ensuite, les ambitions de réduction des déficits du Gouvernement sont revues à la baisse en 2015 et les années suivantes. Le déficit global - tous régimes obligatoires de base et FSV - devrait s'établir à 13,3 milliards d'euros en 2015, soit au même niveau que l'objectif initialement fixé pour 2014. L'objectif de retour à l'équilibre des comptes sociaux en 2017 est quant à lui officiellement abandonné : un déficit de l'ordre de 6,1 milliards d'euros devrait persister en 2017 et de 4 milliards d'euros en 2018. Et j'avoue qu'à mon sens, il n'est pas dit qu'il n'ira pas au-delà...

Quelques précisions sur la dette sociale, qui comporte, il faut le rappeler, deux ensembles. La Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) en supporte une partie. Le montant total de la dette transférée à la caisse atteindra 226,7 milliards d'euros à la fin de l'année 2014, tandis que le montant de la dette restant à rembourser s'élèvera, à la même date, à 130 milliards d'euros.

Mais il existe un autre volet de la dette sociale, dont on parle moins : le stock de dette courante supporté par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), dont l'endettement va significativement progresser : son plafond d'emprunt devra être relevé de 34,5 milliards d'euros à 36,3 milliards d'euros en 2015.

C'est là l'un des aspects les plus douloureux de notre situation depuis quelques années. Il n'était pas prévu, à l'origine, que la CADES ait à emprunter sur les marchés, puisqu'elle devait bénéficier du produit des privatisations... La dette sociale est une anomalie alarmante. En finançant notre protection sociale à crédit, on en fait peser la charge sur les générations futures.

Les mesures contenues dans le présent projet de loi de financement devraient certes améliorer le solde de 5,6 milliards d'euros mais, comme on l'a vu avec le projet de loi de finances, on s'achemine plutôt vers un ralentissement du déficit que vers sa stabilisation.

Parmi les mesures d'économies sur la dépense, celles qui entrent dans le champ de l'ONDAM s'élèveraient à 3,2 milliards d'euros, celles qui concernent la famille à 700 millions d'euros, tandis que la forfaitisation du capital décès, actuellement déterminé en fonction du salaire du défunt, compteraient pour 160 millions d'euros. Entre 400 et 500 millions d'euros d'économies devraient, enfin, provenir d'une meilleure gestion des caisses de sécurité sociale.

Les recettes nouvelles - 1,4 milliard d'euros - proviendront du transfert par l'État vers la branche vieillesse du rendement d'impôt sur le revenu correspondant à la fiscalisation des majorations de pensions des retraités ayant eu ou élevé trois enfants ou plus. Manquent ensuite 200 millions, qui devraient provenir d'un transfert équivalent de forfait social jusqu'ici affecté à la section 2 du FSV.

Le projet de loi de finances pour 2015 prévoit deux mesures afin de compenser les effets du Pacte de responsabilité et de solidarité. Je reconnais que l'impact de ce dernier sur les finances de la sécurité sociale, qui sera cette année de 6,3 milliards d'euros, semble correctement compensé. Sont ainsi prévus le transfert vers l'État de la part de l'aide personnalisée au logement (APL) financée par la branche famille, pour 4,75 milliards d'euros, ainsi que la majoration de 0,02 % de la fraction de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) affectée au régime général, pour 30 millions d'euros, le reste de la compensation étant assuré par un gain de trésorerie de 1,52 milliard d'euros - et 500 millions d'euros l'année suivante - qui résulte de la mise en place d'une retenue à la source pour les cotisations et contributions de sécurité sociale sur les indemnités versées par les caisses de congés payés. Cette dernière réforme, cependant, se fera-t-elle sans remous ? C'est là encore un pari.

Je signale également trois autres mesures importantes en matière de recettes. La création, tout d'abord, d'une contribution spécifique à la charge des laboratoires commercialisant les traitements contre l'hépatite C. Vient ensuite une disposition - liée à la réforme de l'impôt sur le revenu - qui vise à remplacer le critère du montant de la cotisation d'impôt sur le revenu par celui du revenu fiscal de référence pour bénéficier du taux réduit de 3,8 % de CSG sur les revenus de remplacement. Cette mesure, d'allure assez neutre, vise, en réalité à faire en sorte que parmi le million de contribuables qui sortiront, l'an prochain, de l'impôt sur le revenu, les retraités non imposables continuent néanmoins d'acquitter la CSG au taux normal. Contrairement à ce que pouvait espérer le Gouvernement, aucune petite ingénierie financière n'échappe aux parlementaires que nous sommes...

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a inséré, à l'initiative du rapporteur de l'équilibre général et des recettes, Gérard Bapt, un article 12 bis visant à soumettre, sous conditions, les dividendes versés par des sociétés anonymes (SA) ou des sociétés par actions simplifiées (SAS) à leurs dirigeants aux cotisations sociales. Je vous proposerai, en accord avec la commission des affaires sociales, un amendement de suppression. Mais je n'en estime pas moins que le sujet mérite que l'on s'y arrête, pour trouver une mesure adaptée. Il faut prévenir l'évasion sociale au même titre que l'évasion fiscale. Qui vise-t-on ici, en réalité ? Certains chefs de petites entreprises, qui en sont propriétaires, et qui ont tendance à minorer leur salaire en compensant par des dividendes majorés, moins taxés socialement. Selon moi, la bonne réforme serait de soumettre l'ensemble à cotisations sociales, mais dans la limite du plafond de la sécurité sociale, soit environ 37 000 euros. C'est une piste qui mérite que nous y travaillions.

S'agissant des dépenses, la branche maladie est celle dont le poids est le plus important et qui connaît le déficit le plus prononcé. Le solde du régime général s'est, depuis 2013, dégradé dans d'importantes proportions : - 6,8 milliards d'euros en 2013 et - 7,3 milliards d'euros en 2014, soit 62 % du déficit total du régime général.

Les mesures nouvelles proposées ne devraient réduire le déficit que de 400 millions d'euros en 2015, en raison du rythme de croissance tendancielle - 3,9 % - des dépenses d'assurance maladie. Cela reste donc un problème majeur.

Afin de respecter l'objectif de progression de 2,1 % des dépenses dans le champ de l'ONDAM, un montant global d'économies de 3,2 milliards d'euros est nécessaire. Je passe sur la liste des mesures techniques envisagées, pour vous indiquer d'emblée que la commission des affaires sociales, que je vous proposerai de suivre, a déposé un amendement visant à réaliser un milliard d'euros d'économies supplémentaire.

J'en viens à la branche vieillesse. Les déficits de l'ensemble des régimes obligatoires de base d'assurance vieillesse devraient se réduire pour atteindre 1,3 milliard d'euros. Le décalage de six mois de la date de revalorisation des pensions devrait se traduire par une économie estimée à 500 millions d'euros en 2014 et 600 millions d'euros en 2015.

Surtout, la réforme des retraites de 2010 permettra de dégager 3,3 milliards d'euros d'économies en 2014 et 4 milliards d'euros en 2015. Ce qui montre que lorsque l'on procède à des réformes structurelles, on suscite certes, sur le moment, l'émotion de la rue, mais on obtient, dans la durée, des résultats.

Pour ce qui concerne la branche famille, qui sera la plus touchée par un certain nombre de mesures modifiant les règles d'attribution des prestations, le déficit se situera à 2,9 milliards d'euros en 2014.

Pour 2015, des zones d'ombre demeurent sur le montant des économies envisagées par le Gouvernement, qui prévoit, en 2015, une résorption du déficit à hauteur de 900 millions d'euros alors que les mesures de son plan d'économies n'atteignent que 700 millions d'euros. Malgré nos sollicitations, il n'a pas été en mesure de justifier cet écart. Nous ne manquerons pas de lui demander des explications en séance.

Quant à la fiabilité des prévisions avancées pour la période 2016-2018, elle peut être discutée...

Le choix de faire porter l'effort sur les seules prestations familiales semble insuffisant puisque les dépenses continuent d'augmenter à un rythme plus important que les recettes de la branche. Il conviendrait de s'interroger sur les marges de productivité à dégager en matière de gestion des prestations par les caisses d'allocations familiales (CAF) et de fixer la priorité sur la lutte contre les fraudes - dont nous avons tous des exemples sur le terrain.

S'agissant des allocations familiales, je vous proposerai, en accord avec la commission des affaires sociales, un amendement visant à supprimer l'article relatif à la mise sous conditions de ressources des allocations. Nous aurons l'occasion, en séance, de déployer pleinement nos arguments.

La réforme, qui entrerait en vigueur à compter du 1er juillet 2015, diviserait les allocations familiales par deux pour un foyer dont les revenus sont supérieurs à 6 000 euros mensuels, et par quatre lorsque ces revenus dépassent 8 000 euros par mois. Cette mesure, nous assure-t-on, n'affecterait que 600 000 familles, ce qui reste à vérifier car nous ne disposons pas d'étude d'impact. Un ensemble de mesures plus complexe avait été initialement envisagé mais le Gouvernement a eu des difficultés à le faire admettre à sa majorité à l'Assemblée nationale. Il s'est donc rabattu sur cette réforme des allocations familiales et du congé parental, qui pose, elle aussi, bien des problèmes, au regard du principe d'universalité de la politique familiale, tout d'abord, mais aussi, très concrètement, pour la garde des enfants. J'ajoute que le chiffrage de la modulation du montant des allocations familiales reste très incertain, car les critères retenus manquent encore de précision.

L'ensemble des mesures prises par le Gouvernement depuis 2012 entraînerait une baisse globale des prestations en faveur des familles de 810 millions d'euros en 2015 et de 1,84 milliard d'euros en 2017. Les familles ont vu leurs revenus globalement amputés d'un montant encore plus significatif si l'on ajoute les mesures fiscales relatives à la baisse du plafonnement du quotient familial : elles devraient être mises à contribution à hauteur de 2,4 milliards d'euros entre 2012 et 2015. Les associations familiales considèrent même que c'est un effort de 4 milliards d'euros qui a été demandé aux familles, entre 2012 et 2014, si l'on prend en compte la fiscalisation des majorations de pensions de retraite pour enfants et la restriction du bénéfice de la demi-part des personnes seules ayant élevé un enfant.

Pour toutes les raisons que je vous ai exposées, je vous proposerai un certain nombre d'amendements, et émettrai, sous réserve de leur adoption, un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015.

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