Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 10 février 2015 à 14h30
Adaptation au droit de l'union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi soumis à notre examen a pour objet de transposer en droit français trois directives européennes dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel.

Nous ne rappellerons jamais assez que le patrimoine européen est l’un des éléments structurants de notre construction politique et sociale. Aussi doit-il être protégé et préservé des logiques purement économiques et commerciales. Toute perte de la mémoire européenne est une atteinte à l’humanité.

Plus largement, le pillage par l’État islamique de la bibliothèque de Mossoul, qui possédait des œuvres datant pour certaines de plus de 5 000 ans avant Jésus-Christ, et l’autodafé qui a suivi sont des atteintes à l’humanité tout entière.

En matière culturelle, l’Union européenne mène une politique active et efficace, qui prend forme dans plusieurs initiatives bienvenues.

L’harmonisation des pratiques est un aspect essentiel de la protection des œuvres d’art.

La révolution numérique, qui touche l’ensemble du secteur culturel, a largement lésé les artistes. L’allongement de la durée des droits voisins dans le domaine musical, mis en œuvre par la directive 2011/77/UE, est donc une mesure opportune, au vu des considérations actuelles. Elle implique notamment un complément de rémunération qui doit revenir en partie à l’artiste, corollaire de l’allongement de la durée de la vie des artistes-interprètes, qui entraîne souvent la perte du bénéfice des droits voisins avant leur décès. Nous ne pouvons que regretter que les plus petits producteurs soient exemptés de verser un complément de rémunération, car les artistes-interprètes concernés continueront d’être lésés.

Dans l’architecture européenne, la directive du 25 octobre 2012 prend également toute sa place. Au début des années 2000, a été lancée la Bibliothèque numérique européenne, vaste projet de numérisation et de mise en ligne d’un ensemble d’œuvres représentatives du patrimoine européen. Cette directive, qui définit un cadre juridique pour les œuvres orphelines, qui sont protégées et divulguées mais dont les titulaires de droits ne peuvent être identifiés ou retrouvés malgré des recherches diligentes, s’inscrit dans la stratégie « Europe 2020 ».

En se limitant au secteur du livre en France, on peut évaluer que, de 1900 à 2010, sur un stock total cumulé de plus de 1 400 000 œuvres publiées, le nombre d’œuvres orphelines ou épuisées s’élève à près de 820 000, soit 57 % du total.

Comme toujours en matière de propriété intellectuelle, l’équilibre doit être trouvé entre les droits des auteurs, qui constituent le fondement de l’innovation créative, et le droit à l’information. Le projet de loi nous semble avoir trouvé ce compromis. Les institutions ayant une mission de service public, comme les musées et les bibliothèques, seront les seules bénéficiaires du régime dérogatoire mis en place. Les œuvres ne pourront être utilisées hors des « missions culturelles, éducatives et de recherche et à condition de ne poursuivre aucun but lucratif ». Cependant, si un ou plusieurs titulaires de droits se manifestent, l’œuvre cessera d’être orpheline et relèvera alors du droit commun de la propriété intellectuelle. L’exigence de recherches diligentes, avérées et sérieuses, sera également un sérieux garde-fou. Le dispositif est certes contraint, mais nous pensons que cela est nécessaire.

Sur la question des frais de numérisation de ces œuvres, nous pensons que la durée de sept années, fruit d’un compromis avec l’Assemblée nationale, permettra à la fois d’amortir le coût d’une telle opération et de limiter l’exploitation commerciale de ces œuvres.

La protection du patrimoine européen, c’est aussi celle des trésors nationaux, objet de la troisième directive transposée. Les trésors nationaux constituent une exception au sein de l’Europe, puisqu’ils échappent au principe de libre circulation des marchandises. En 2006, la question de la sortie du territoire français du tableau de Nicolas Poussin, La Fuite en Égypte, avait déclenché de vives réactions dans l’opinion.

De longue date, l’Union européenne encourage la coopération entre les États membres en vue de protéger le patrimoine culturel. En une vingtaine d’années, le dispositif mis en place par la directive 93/7/CEE a montré ses limites.

La pratique a, par exemple, mis en lumière les difficultés relatives aux délais fixés et ces derniers ont été allongés à plusieurs égards. Ainsi, le délai permettant aux autorités de l’État requérant de vérifier la nature du bien culturel retrouvé dans un autre État passe de deux à six mois. Le délai pour exercer l’action en restitution est étendu de un à trois ans.

Une seconde difficulté était liée à la notion même de trésor national. La transposition de la directive 2014/60/UE permet un élargissement de la notion à tous les biens culturels reconnus « trésors nationaux » par la législation des États membres, notamment par la suppression de l’annexe contenant une liste limitative des catégories de biens culturels.

Le droit de la propriété intellectuelle est sans cesse partagé entre une logique économique et la volonté de diffuser les œuvres culturelles à une grande échelle. Il nous semble ici que la logique spécifique à la protection de la création artistique l’a emporté.

Le groupe RDSE votera donc ce projet de loi qui est au service de notre patrimoine artistique et culturel, patrimoine vivant, dont nous sommes tous dépositaires.

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