Pour rappel, les sages-femmes exercent une profession médicale et sont des acteurs fondamentaux pour la santé des femmes et des nouveau-nés. Cette profession est particulièrement concernée par les choix politiques relatifs aux questions de santé publique, surtout en ce qui concerne la prévention. Depuis la loi du 17 janvier 1975 qui a légalisé l'IVG, plusieurs réformes ont permis d'élargir l'accès à la contraception et de réduire les inégalités sociales quant au recours à l'IVG. Je mentionnerai notamment l'assouplissement de l'accès à l'interruption volontaire de grossesse pour les mineures, en 2001. En mars 2013, la prise en charge a été améliorée avec la mise en place de la gratuité de l'acte pour toutes les femmes. La loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes constitue une avancée majeure puisqu'elle supprime, dans le texte de loi sur l'IVG, la condition de détresse prévue par la loi Veil de 1975. Désormais, toute femme « qui ne veut pas poursuivre une grossesse » peut faire le choix d'une IVG. Quant à la méthode médicamenteuse, elle s'est diffusée au sein de la population à partir des années 1990 et a été rendue accessible dans les cabinets en ville. Cette méthode a connu un développement extrêmement important : en 2009, elle représentait plus d'une IVG sur deux.
Le projet de loi relatif à la santé affirme la place déterminante de la prévention et de l'éducation à la santé dans les politiques publiques.
Il comporte des dispositions qui visent à étendre les compétences en matière d'IVG médicamenteuse aux 22 000 sages-femmes en activité. En effet, l'article 31 du projet de loi comporte un certain nombre de dispositions intéressant directement l'exercice de la profession de sage-femme, et plus particulièrement l'extension des compétences des sages-femmes dans ce domaine. L'ensemble des instances ordinales a été consulté sur ces nouvelles dispositions. 85 % des élus se sont prononcés pour que les sages-femmes puissent pratiquer l'IVG médicamenteuse.
Le Conseil de l'Ordre considère que les sages-femmes accompagnent les femmes en matière de contraception et pendant leur grossesse, quel que soit leur choix. Reconnaître la compétence des sages-femmes en matière d'IVG médicamenteuse permet donc aux femmes d'accéder plus facilement à l'IVG. Cette innovation satisfait le Conseil de l'Ordre et converge avec une volonté de l'Ordre de promouvoir une meilleure reconnaissance du rôle des sages-femmes, en lien avec le médecin traitant, dans le suivi de la contraception et dans la réalisation des IVG.
Les sages-femmes sont d'ores et déjà prêtes à intervenir dans la prescription et le suivi des IVG médicamenteuses, d'autant que nombre d'entre elles travaillent déjà dans les centres d'orthogénie. Il convient également de souligner que cette nouvelle disposition devrait faciliter le fonctionnement de ces centres.
S'agissant de la contraception, il y a peu à dire puisque la loi « HPST » nous a déjà donné la possibilité de prescrire toutes les formes de contraception aux femmes en bonne santé.
Dr. Philippe Faucher, gynécologue-obstétricien à la maternité des Bluets-Trousseau, secrétaire général du Réseau entre la ville et l'hôpital pour l'orthogénie (REVHO). - Je commencerai par rappeler les recommandations du Haut Conseil à l'égalité (HCE f/h) sur l'accès à l'IVG.
Il y a deux ans, nous avons participé à la rédaction du rapport remis au HCE f/h, et qui comporte 34 recommandations. Je souhaite revenir sur quelques-unes d'entre-elles. J'ai fondé, il y a dix ans, avec plusieurs collègues, le Réseau entre la ville et l'hôpital pour l'orthogénie (REVHO) en Ile-de-France. Il s'agit d'une association qui bénéficie de fonds publics et qui a permis de développer l'IVG médicamenteuse en ville, en Ile-de-France, avec un certain succès.
Dans le rapport du HCE f/h, quelques recommandations me semblent importantes :
- la recommandation n° 9 visait à étendre la possibilité de recueillir la première demande d'IVG d'une femme auprès d'autres professionnels qu'un médecin. Ce point est extrêmement important car cette première démarche fait courir les délais légaux ;
- une autre recommandation (recommandation n° 10), qui n'a pas été retenue par le gouvernement, tendait à supprimer le délai de réflexion de sept jours entre la première demande d'IVG et sa confirmation. Nous sommes toujours partisans de cette suppression. Puisque le projet de loi ne revient pas sur ce sujet, il semble indispensable que ce délai de réflexion puisse commencer à courir à partir d'un premier entretien qui devrait pouvoir être réalisé avec un professionnel autre que le médecin. C'est pourquoi autoriser les sages-femmes à effectuer ce premier entretien est particulièrement satisfaisant. Nous pourrions même envisager d'aller plus loin en instaurant un système d'auto-déclaration par les femmes concernées. En tout état de cause, il est indispensable de faciliter l'obtention du premier certificat pour faciliter le parcours des femmes souhaitant mettre un terme à leur grossesse.
Mon deuxième point concerne la mise en oeuvre de moyens nécessaires en matière d'IVG : recrutement et formation.
Des professionnels doivent être formés et compétents dans le domaine de l'IVG. Cette pratique reposait principalement, depuis 1975, sur un militantisme hérité de la période pionnière de lutte pour le droit à l'IVG. La relève doit maintenant être assurée, faute de quoi la situation risque de se dégrader encore. La pratique de l'IVG n'est pas organisée de la même manière dans les autres pays européens, où le système privé réalise la majeure partie des IVG. En France, plus de 50 % des IVG sont réalisées dans le système public ; le système privé en effectue de moins en moins, pour des raisons de rentabilité. La charge de la pratique de l'avortement repose donc, en France, sur le secteur public : c'est au service public que doivent être attribués les moyens nécessaires et suffisants pour recruter des professionnels. Des fonds ont été alloués à cet effet aux maternités et aux services de gynécologie-obstétrique, mais sans véritable contrôle de leur affectation. Ces moyens ont souvent été affectés à d'autres activités. Pour protéger la pratique de l'IVG, il est indispensable de créer des unités fonctionnelles, voire des services hospitaliers, comme à Roubaix, pour protéger les moyens attribués à l'IVG. Ces unités fonctionnelles d'orthogénie devraient, si possible, ne pas être incluses dans les services de gynécologie-obstétrique.
Le recrutement de praticiens formés et investis dans la pratique de l'IVG est essentiel : encore faut-il cependant conférer à ces professionnels un statut convenable. Il est complexe de créer des postes de praticiens hospitaliers ; les médecins vacataires devraient gagner plus que 50 euros la matinée. Il faut proposer un statut décent pour intéresser de nouveaux médecins à cette activité. Les jeunes obstétriciens ne s'intéressent pas beaucoup à l'IVG, contrairement à certains jeunes généralistes que les centres d'IVG souhaiteraient recruter pour assurer la relève.
J'évoquerai ensuite la nécessaire mise en oeuvre d'un contrôle des services pratiquant l'IVG.
Le nombre d'IVG réalisées dépend du bon vouloir du chef de service. Or la pratique de l'IVG doit faire l'objet d'un contrôle, qui n'existe pas aujourd'hui. Cette fonction pourrait être dévolue aux agences régionales de santé (ARS), en inscrivant la pratique de l'IVG dans leurs objectifs. En Ile-de-France, l'ARS essaie de se saisir du problème en évaluant l'offre de chaque service hospitalier. Cette pratique devrait être généralisée à d'autres ARS.
Le réseau REVHO a constaté que l'IVG médicamenteuse pouvait être pratiquée par toute personne correctement formée. Dans la pratique, les sages-femmes réalisent déjà des IVG médicamenteuses, sous le contrôle d'un médecin. Que le projet de loi leur attribue cette compétence ne pose donc pas de problème. Des études comparatives ont été réalisées dans différents pays, et notamment en Suède. Il s'agissait d'analyser la pratique de l'IVG médicamenteuse par un médecin, par une sage-femme, voire par une infirmière formée : le résultat est exactement le même, en termes de succès, d'efficacité ou de taux de complication. Nous soutenons donc absolument la disposition du projet de loi étendant la pratique de l'IVG médicamenteuse aux sages-femmes.
Dr. Philippe Lefebvre, gynécologue, chef du service d'orthogénie et du pôle femme-mère-enfant du centre hospitalier de Roubaix. - Je vous remercie d'auditionner des acteurs de terrain. Mon expérience est sans doute particulière car nous disposons, à Roubaix, d'un service d'orthogénie original, unique en France, pour la pratique de l'IVG.
Maya Surduts a indiqué que les maternités étaient le lieu privilégié de réalisation des IVG. Pourtant, les maternités et les services de gynécologie-obstétrique accusent un réel retard dans la pratique de l'interruption volontaire de grossesse, raison pour laquelle des centres autonomes ont été ouverts. Les unités qui prennent actuellement en charge les IVG sont essentiellement de grosses structures où cette pratique est courante pour améliorer la qualité de la prise en charge des femmes, notamment en faisant évoluer les techniques. Force est de constater que ce sujet n'a jamais été une préoccupation principale pour les obstétriciens. Paradoxalement, je suis plutôt favorable à la clause de conscience, car je préfère, pour la meilleure prise en charge possible des femmes, que les praticiens qui s'engagent dans la pratique de l'IVG soient volontaires.
Je parlerai en premier des avantages et des inconvénients de la pratique de l'IVG médicamenteuse par les sages-femmes.
Bien évidemment, les sages-femmes sont des professionnelles tout à fait compétentes pour prendre en charge l'IVG médicamenteuse. Dans certaines régions, il est extrêmement difficile d'obtenir dans des délais courts des réponses à des demandes d'IVG. C'est pour cette raison qu'en Ile-de-France l'IVG médicamenteuse en ville s'est développée.
Concernant l'IVG médicamenteuse en établissement de santé, donner cette compétence - et uniquement celle-là - aux sages-femmes expose, à mon avis, à un risque de monopratique. En effet, les restructurations amènent un certain nombre d'unités qui pratiquent les IVG à être absorbées par des services de gynécologie-obstétrique. Si les sages-femmes sont habilitées à pratiquer des IVG médicamenteuses, on court alors le risque de ne plus avoir recours qu'à cette pratique au détriment de l'aspiration. Or il est indispensable que les femmes concernées puissent avoir le choix de la méthode d'IVG. Les femmes n'ont souvent accès qu'à l'IVG médicamenteuse. Si les recommandations professionnelles préconisent de ne pas administrer le médicament au-delà de neuf semaines, il se trouve que certains services de gynécologie-obstétrique pratiquent des IVG médicamenteuses jusqu'à quatorze semaines.
À ce jour, les IVG médicamenteuses réalisées en ville s'effectuent en convention avec des centres référents. Si, demain, les sages-femmes peuvent pratiquer, en ville, des IVG médicamenteuses, il faudra que cette possibilité soit assortie d'une convention avec des centres référents qui pratiquent les IVG. Ne vous méprenez pas, il ne s'agit pas de défendre la « chasse gardée » des services d'orthogénie, mais de s'attacher à la qualité, à la sécurité et au respect des femmes qui demandent une interruption de grossesse.
J'aborderai maintenant la question du maintien du délai de réflexion de sept jours : c'est, à mon avis, une insulte faite aux femmes et aux professionnels de santé. C'est bien infantiliser les femmes que de penser qu'elles doivent consulter un médecin pour prendre leur décision. C'est aussi une insulte pour les professionnels qui prennent en charge les femmes en demande d'IVG. Ces derniers n'oeuvrent pas à la légère, ils sont à même de juger si un délai est nécessaire ou non ; le cas échéant, ils savent orienter certaines femmes vers un professionnel de l'écoute si elles ont besoin d'aide. L'utilisation parfois abusive de ce délai de réflexion peut en outre amener un dépassement du terme légal. Pour cette raison, deux femmes se sont récemment trouvées dans des situations délicates : la première a dû faire pratiquer une IVG en Espagne tandis que la seconde a accouché sous X.
En ce qui concerne le dépassement du terme légal, le problème des mineures est important puisque les grossesses de mineures sont parfois révélées tardivement : elles consultent trop tard pour bénéficier d'une interruption de grossesse en France. Je regrette l'existence d'inégalités territoriales en matière d'accès à l'IVG. Lorsque les jeunes femmes se trouvent en détresse psychosociale, il serait souhaitable qu'il y ait une écoute plus importante des comités d'interruption médicale de grossesse pour faciliter l'accès à cette interruption de grossesse en dehors des seuls contextes de viol ou d'agression sexuelle.
Dr. Jean-Claude Magnier, gynécologue, membre du conseil d'administration de l'Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception (ANCIC). - Une chose doit être soulignée d'emblée : malgré les avancées, la question de l'avortement n'est toujours pas totalement réglée et fait toujours débat. Il est faux de prétendre que tout le monde admet l'avortement, y compris tous les praticiens censés s'en charger. On a voulu obliger les chefs de service d'obstétrique à prendre en charge ces interventions et imposer la pratique des IVG dans les services d'obstétrique. Parallèlement était programmée la disparition des centres d'IVG - disparition qui répondait à la volonté des pouvoirs publics de réaliser les IVG dans les hôpitaux, pour des raisons de santé publique. Les obstétriciens y étaient opposés à une très forte majorité. On leur a ensuite donné une sorte de blanc-seing, puisque les contrôles sont peu fréquents, sans prévoir une réelle organisation pour répondre à la demande.
L'IVG médicamenteuse est une solution que les femmes doivent pouvoir choisir ; dans les faits, elle est utilisée pour décharger les hôpitaux des IVG. Certains hôpitaux se sentent tenus de pratiquer des IVG ; d'autres, pas. C'est le cas de l'hôpital Necker qui, sans être pénalisé, réalise uniquement des interruptions médicales de grossesse. Alors que l'objectif est que l'IVG soit pratiquée dans tous les hôpitaux, on considère qu'il suffit qu'un hôpital, au sein du groupe hospitalier, pratique l'IVG : cela qui ne favorise pas l'accès aux soins pour les femmes.
L'important, à mon avis, est de privilégier des équipes pluridisciplinaires spécialement formées.
Il apparaît que des équipes pluridisciplinaires sont nécessaires puisque c'est dans les centres IVG que les femmes peuvent parler de ce qu'il leur arrive - mais aussi ne pas parler si elle ne le souhaitent pas. J'étais responsable du centre de Bicêtre, et quand l'entretien préalable avec un médecin n'a plus été obligatoire, on a constaté une très forte augmentation des entrevues avec les infirmières. Les femmes appréhendaient l'entretien officiel, mais elles appréciaient l'idée d'un accueil par une équipe. Dans les services d'obstétrique, le manque de personnel dédié et l'absence de culture pluridisciplinaire ne permet pas d'assurer un tel accueil.
Ce matin, en parcourant le journal gratuit « 20 minutes », j'ai lu un article relatif à l'étude d'un chercheur de l'Institut national d'études démographiques (INED) qui met en lumière une augmentation du recours multiple à l'IVG par certaines femmes. Les femmes sont libres de faire ce que bon leur semble, mais répéter les IVG n'est, selon moi, pas recommandé pour la santé. Il ne me semble pas non plus que l'IVG puisse être envisagée comme un moyen de contraception.
La multiplication des possibilités d'IVG médicamenteuses en ville me semble poser problème. En effet, certaines femmes ne se présentent pas à la visite de contrôle. Il me semble inquiétant de laisser les femmes seules et ne pas leur donner l'occasion d'une écoute. Entendons-nous bien : il s'agit simplement de rappeler combien il est important d'épauler les femmes et de les accompagner dans ces moments particuliers.
Dans les années 1990, les deux tiers des IVG s'effectuaient dans le secteur privé ; celui-ci s'est ensuite désengagé, jugeant la pratique peu rentable. Aujourd'hui 75 % des IVG sont réalisées dans le public. Ce désengagement du privé a été compensé par l'IVG médicamenteuse en ville qui, comme je le disais à l'instant, n'est pas sans poser de problèmes.
Le troisième sujet que je voudrais évoquer est la nécessaire redéfinition du délai de réflexion, qu'il faut revoir à mon sens.
Le premier contact avec un professionnel devrait faire courir le délai. Celui-ci pourrait même débuter dès que la femme a les résultats de son test de grossesse, puisque sa réflexion commence dès ce moment. Certes, trop de rapidité dans la réponse peut être néfaste et il faut prendre le temps de la réflexion. Il arrive encore que le délai ne puisse débuter que lorsque le praticien a reçu la femme, même si celle-ci a déjà rencontré son médecin traitant auparavant. Les délais, de ce fait, se trouvent rallongés. Le délai pourrait donc commencer à courir au moment où la femme apprend qu'elle est enceinte.
Un point important concerne les femmes qui dépassent le délai légal de quatorze semaines. Certaines se rendent dans un autre pays, mais toutes n'ont pas cette possibilité. Cela me conduit à évoquer les interruptions médicales de grossesse qui, rappelons-le, ne peuvent résulter de la seule décision du médecin. Ce dernier doit également prendre en compte le choix de la femme et du couple. Une polémique porte sur le fait que, si un diagnostic anténatal a été réalisé avant le délai de quatorze semaines, une femme ne peut plus demander à subir une IVG sans en donner la cause. Le texte est ambigu : si une procédure d'interruption a été lancée pour raisons médicales, il faut s'en tenir à cette procédure et il n'est pas possible de relever d'une IVG. Or, pour moi, la loi générale s'applique à tout le monde, y compris aux femmes dont la grossesse présente une anomalie et qui voudraient l'interrompre. Ce point devrait être précisé dans le projet de loi. Il conviendrait également de s'occuper des femmes ayant dépassé le délai de quatorze semaines.