Intervention de Éric Peres

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 11 février 2015 : 1ère réunion
Audition de M. éric Peres auteur du rapport sur « les données numériques : un enjeu d'éducation et de citoyenneté » fait au nom de la section de l'éducation de la culture et de la communication du conseil économique social et environnemental cese

Éric Peres, membre du CESE :

Je vous remercie, madame la présidente. Au cours de mes travaux, je me suis beaucoup appuyé sur le rapport de la mission commune d'information. Comme vous l'avez dit, plus nous serons nombreux, dans les lieux de pouvoir et de décision, à nous intéresser à la protection des données, plus nous serons en mesure de définir le cadre de la régulation aujourd'hui nécessaire au regard de ce que nous appelons « la révolution numérique ».

Cet avis du CESE est un avis modeste, dont la visée est essentiellement pédagogique et de sensibilisation. Vous êtes très sensibles à cette question, mais trop peu ont encore conscience de tous les enjeux. La révolution numérique constitue un changement d'ordre civilisationnel, voire anthropologique, en ce sens qu'elle bouleverse nos façons de faire, de communiquer, d'échanger.

Dans cette révolution, la France et l'Europe sont en retard. Je ne crois pas que l'on pourra créer demain un Google français ou européen, il est trop tard. Toutefois, la bataille n'est pas perdue : nos concurrents ne font que prendre la place que nous leur avons laissée, faute d'une réflexion stratégique et prospective à ce sujet. Sans cadre de régulation, sur le plan fiscal ou des libertés, nous aurons demain sans aucun doute des acteurs économiques qui offriront des services à nos concitoyens, et dont la valeur ajoutée sera intégralement transférée vers l'étranger, notamment outre-Atlantique. Cet état de fait pose la question de la souveraineté, entendue comme la capacité des États et des individus à choisir leur destin, d'un point de vue individuel et collectif. Parler de données numériques, c'est parler d'un enjeu de pouvoir, que ce soit pour les États, les entreprises et les citoyens.

Jusqu'à présent, l'essentiel des fichiers et des données était détenu par les États et se caractérisait par une relative stabilité. Nous sommes témoins aujourd'hui d'une croissance spectaculaire de la quantité d'information disponible, désormais stockée par des acteurs économiques. La sensibilisation des acteurs qui collectent et gèrent ces données est essentielle. Il faut également s'adresser aux utilisateurs, en rappelant le principe selon lequel « si c'est gratuit, c'est vous (et vos données) qui êtes le produit ». Il s'agit donc d'un enjeu de souveraineté. Maîtriser ses données, c'est rendre à l'État et à ses concitoyens la maîtrise effective de leur destin, mais également donner aux États les moyens de définir une véritable stratégie du numérique. C'est pourquoi nous prônons une « diplomatie du numérique » à l'échelle de la France comme de l'Union européenne.

Notre troisième constat est que le débat numérique demeure, de par sa complexité, un débat d'initiés, alors même que ses enjeux sont très importants. Nous avons tenté d'éviter deux écueils principaux : la technolâtrie, d'une part, et, de l'autre, une certaine technophobie, alimentée par les craintes liées notamment aux effets de « disruption » de certaines filières économiques qu'engendre la révolution numérique.

Il nous a semblé, au sein de notre section du CESE, qu'il était essentiel de réunir toutes les parties prenantes et de les faire participer au débat pour fixer un cadre éthique à la gestion maîtrisée de ces données. La finalité est bien de préciser que nous sommes dans une ère post-Snowden. En conséquence, si nous voulons restaurer la confiance dans le monde numérique, il nous faut rompre l'asymétrie qui existe entre les usagers - que nous sommes - et les grands acteurs du numérique, qui savent beaucoup de choses sur nous, mais dont nous ne savons pas grand-chose. Comprendre comment ces choses fonctionnent, c'est déjà faire un grand pas vers la protection des libertés fondamentales et de la vie privée.

Dans cet avis, nous avons fait le choix de démontrer les grandes opportunités de la révolution numérique. En effet, des avancées considérables sont permises par la collecte et le traitement des données numériques, qui représentent une somme colossale d'information. Dans le domaine de la médecine, des algorithmes ont permis de modéliser des organes artificiels, ou encore de produire une application permettant de déceler les premiers stades de la maladie de Parkinson. Des avancées sont également possibles dans les domaines de l'énergie, par la calibration de la consommation et donc la réduction des gaspillages dans la « ville intelligente », mais également dans la domotique, la mobilité connectée et l'avionique.

Les risques liés à cette révolution ne sont pas moins considérables. La collecte des données, nécessaire pour les acteurs économiques comme les États, peut présenter des éléments attentatoires aux libertés. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) est ainsi née de la révélation du projet SAFARI (Système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus), qui visait à interconnecter tous les fichiers de l'administration.

Au quotidien, c'est l'utilisation de certains fichiers sur Internet qui pose également problème. Ces informations, saisies auprès de certains sites dans le cadre d'un service, peuvent ensuite être revendues et détournées de leur finalité première, sans que l'usager en soit averti.

Enfin, il existe un risque réel d'une surveillance indifférenciée de l'ensemble des citoyens, qui menace la liberté d'aller et de venir, la protection de la vie privée ainsi que des données sensibles de santé - je fais référence à l'ensemble des objets connectés, qui enregistrent et transmettent, de manière anodine, des données relatives à notre état de santé.

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