Monsieur Vasselle, notre avis s'adresse moins à l'éducation nationale qu'à l'ensemble des acteurs de la vie sociale. Selon moi, l'usage des tableaux numériques à l'école ne permettra pas, demain, de développer l'esprit critique des élèves au regard de cette révolution numérique, de leur apprendre à se mouvoir dans cet espace d'une manière responsable et dans le respect du droit.
Vous avez évoqué un point sensible, qui concerne les enseignants des établissements scolaires qui ont affaire à des opérateurs privés qui, dans le cadre des espaces numériques de travail, leur fournissent des applications sur des clouds dont on ne sait pas s'ils sont localisés en France et s'ils sont sécurisés. Une réflexion est aujourd'hui en cours sur ces espaces numériques de travail, laissés à la libre appréciation des établissements face à des acteurs économiques qui n'apportent pas toutes les garanties.
La question de la fracture numérique est un autre point important évoqué dans cet avis. Tout le monde n'est pas équipé d'un smartphone. Chacun n'a pas la même capacité à gérer le numérique. Dès l'école, les enfants doivent apprendre à dépasser l'objet numérique qu'est le tableau pour voir ce qui se cache derrière, ce qu'il y a derrière un programme. Le numérique ce n'est pas de l'irréel, c'est bien dans la réalité, avec les dangers qu'il comporte, notamment sur les réseaux sociaux. Il faut, en outre, que les établissements scolaires soient équipés des mêmes outils pédagogiques dans ce domaine. Nous n'avons pas travaillé sur la pédagogie du numérique qui est un autre volet.
Le numérique va-t-il bouleverser la vie des enseignants ? Il est certain qu'il s'agit d'un outil formidable dans la démocratisation d'accès au savoir. Toutefois, la vigilance s'impose, en particulier dans le domaine des MOOCs (Massive Online Open Courses), dont la majorité des plateformes sont américaines. Ce sont des produits d'appel dont le contenu pédagogique, par ailleurs, ne prétend pas élever l'enseignement à un niveau d'excellence.
S'agissant de l'exploitation des dossiers de santé, madame Blandin, un cadre précis s'impose pour en déterminer les modalités d'application et les finalités. Le rôle de la CNIL est réaffirmé en termes de contrôle de fichiers et de prévention, sans pour autant en faire un acteur qui sanctionne. Son action doit s'inscrire en amont, auprès des entreprises et des assurances, en qualité de conseil. De nombreux acteurs font croire qu'en raison de la masse de données importante, le principe de finalité ne joue plus, c'est-à-dire qu'il faut traiter toutes les données afin de s'en servir à un moment donné, si le besoin s'en fait sentir. J'évoquerai, à titre personnel, le Système national d'informations inter-régimes de l'Assurance maladie (Sniiram), l'une des plus importantes bases de données de santé au niveau mondial, très convoitée par les assureurs. L'accès aux données de santé personnelles, anonymisées, par les laboratoires de recherche, dans le cadre de protocoles thérapeutiques, d'études et de recherches sur des panels, par exemple, est possible sur autorisation préalable de la CNIL.
Monsieur Hervé, les enseignants sont là pour transmettre du savoir, encore faut-il leur donner les moyens d'être à la hauteur de la révolution numérique et de ses implications. Nous avons eu, au CESE, un débat sur les tenants d'une approche informatique, avec les tenants de l'enseignement du codage dès la maternelle, ce qui, à mon sens, ne paraît pas judicieux. En revanche, initier au codage dans l'ensemble des disciplines me paraît utile, même si l'expérience montre que les langages deviennent rapidement obsolètes. Apprendre à utiliser des données et à les décrypter est nécessaire aujourd'hui. Cela passe par l'enseignement de la géographie, des mathématiques, des sciences humaines, etc...
En matière de formation des enseignants, je crois aux vertus de la formation continue et à l'utilité de plateformes publiques permettant des échanges entre enseignants. Il faut donner les moyens aux enseignants de l'école républicaine et laïque et ne pas couper régulièrement dans les budgets publics, y compris ceux de l'éducation nationale. Comme l'a dit le président Abraham Lincoln : « si vous considérez que l'éducation est beaucoup trop chère alors essayez l'ignorance ». L'enjeu majeur consiste à initier les enseignants à l'usage du numérique tout au long de leur parcours, à l'instar du Certificat informatique et Internet niveau 2. Il faut revoir le volet de cet enseignement, le rendre obligatoire et l'enrichir de celui de la protection des données personnelles.
Madame Gonthier-Maurin, nous n'avons pas abordé dans nos travaux la question de la fiscalité des données. Le Sénat pourrait mener une réflexion sur l'ouverture des données de l'administration publique dans le cadre des open data, notamment à la question de l'instauration d'une redevance, tout en prenant garde de ne pas pénaliser les start up et les jeunes entreprises. En effet, nous n'avons pas intérêt à voir Google faire son marché sur l'ensemble des données ouvertes par l'administration, ouvrant la voie à des détournements dont nous n'avons même pas idée. Cette redevance constituerait pour l'État et les administrations des revenus destinés à maintenir une architecture informatique digne de ce nom, et ce afin d'assurer la protection et l'anonymisation des données. La redevance permettrait également de faire en sorte que cette plateforme soit accessible par tous les citoyens de manière lisible.
Madame Blandin, s'agissant du consentement libre et éclairé, les conditions générales d'utilisation et de vente sont à revoir. Comme pour les indicateurs de consommation énergétique sur les appareils ménagers, imposer un étiquetage sur les risques pris par les utilisateurs quand ils utilisent une plateforme ou un outil numérique irait dans le bon sens.