Je partage votre analyse, madame la présidente : le projet de règlement européen représente à la fois une chance et une opportunité, même si des corrections demeurent nécessaires. La CNIL a apporté une contribution majeure quant à la notion de « critère principal d'établissement », en vue d'éviter tout risque de « forum shopping » de sociétés, qui choisiraient d'installer leur siège social dans des pays où les instances de contrôle relatives aux données personnelles sont les moins protectrices du citoyen. En ce sens, le projet de règlement européen apparaît comme une occasion d'imposer un cadre éthique commun pour la protection des données. Nous avons une vision à défendre contre une philosophie anglo-saxonne plus libérale, ne serait-ce que sur le transfert de données à caractère personnel hors de l'Union européenne. Ne faisons pas la même erreur que sur les normes comptables, où nous avons cédé aux pressions américaines.
Vous avez raison, madame Ghali, lorsque vous évoquez l'enjeu majeur que constitue le numérique à l'école et les inégalités qu'il fait apparaître. J'utiliserai deux métaphores pour illustrer mon propos : comme dans une centrifugeuse à salade, celui qui ne se trouve pas au coeur du système s'en trouve très vite éjecté ; autrement dit, lorsque le train du numérique est manqué, l'élève reste longtemps sur le quai.
Vous savez combien l'économie collaborative peut être source d'emplois. Il en va de même pour le numérique, y compris dans des zones rurales ou isolées : il existe des applications locales de services, par exemple, qui peuvent améliorer l'attractivité d'un territoire et y faciliter les activités économiques. Encore faut-il que les citoyens, notamment les plus défavorisés, maîtrisent ces outils pour avoir accès aux informations qu'ils proposent. À cet effet, avaient été créés en 1998 les espaces publiques numériques (EPN). 4 500 structures ont vu le jour mais beaucoup ont été laissées à l'abandon, faute de moyens, dès lors que la Caisse des dépôts et consignations s'est désengagée de leur financement et que les communes n'ont pu toutes prendre la relève. Parmi les réussites, je citerai « Le Cube » à Issy-les-Moulineaux. Mais son coût annuel de deux millions d'euros ne permet pas le développement de telles structures sur l'ensemble du territoire national. En conséquence, la revitalisation des EPN, par la création d'un nouveau label par exemple, et la formation de leurs animateurs doit constituer une priorité des pouvoirs publics, notamment à l'occasion de la prochaine loi relative au numérique, d'autant qu'ils pourraient représenter une source d'emplois non négligeable. À titre d'illustration, les personnels affectés aux EPN pourraient traiter des données numériques, notamment dans le cadre de l'open data, au profit de la collectivité.
Vous avez mentionné, madame Blondin, le Passenger name record. La France dispose désormais d'un outil proche, dit « Système API-PNR France », même si sa création fut longue en raison du souhait du Gouvernement d'obtenir, pour sa mise en place, des financements européens. La question qui se pose concerne tant le ciblage que la finalité de ces fichiers de renseignement, mais également celle de leur proportionnalité eu égard à la menace terroriste. Les outils de fichage doivent pouvoir être efficaces sans conduire à une surveillance massifiée et indifférenciée des citoyens. Dès lors, un contrôle démocratique - de la CNIL comme du Parlement - s'impose, afin que ces systèmes obéissent à un principe de proportionnalité au regard de leur finalité. L'émotion, bien légitime, manifestée à la suite des récents attentats, ne doit pas conduire à ce que l'on revienne sur le principe de liberté qui fonde notre République. Un tel renoncement serait aussi dangereux qu'inefficace. D'ailleurs, le Patriot Act américain, imposé après le 11 septembre 2001, n'a pu éviter que de nouvelles attaques se produisent aux États-Unis. Il s'agit plutôt, au niveau national et local, de donner à la police les moyens d'agir, y compris en termes d'effectifs.
Je reviens un court instant sur les EPN. Derrière leur création se trouvait l'idée d'un service universel de médiation numérique. Dans le cadre de la publiphonie, il existe des moyens de financer ces espaces. Non qu'il faille supprimer l'ensemble des cabines téléphoniques, mais quelques millions d'euros pourraient être fléchés au profit des EPN. Pourrait être imaginé, à cet égard, un système de financement par les opérateurs télécoms et les acteurs du numérique, via un fonds sur le modèle de celui qui existe, aux fins de revitaliser les EPN et de former leurs animateurs. La médiation est, en effet, essentielle car l'éducation au numérique concerne avant tout les familles. Il convient de permettre aux parents de comprendre les nouveaux outils de communication. Déjà, la CNIL propose des tutoriels, mais des campagnes d'information sont également nécessaires. Il serait judicieux que l'éducation au numérique soit reconnue comme grande cause nationale 016. Si un dialogue entre parents et enfants est indispensable, il demeure délicat de s'immiscer dans la vie des familles. Dès lors, les EPN, sorte de « MJC 2.0 » pourraient constituer le lieu de l'éducation populaire au numérique auprès de l'ensemble des citoyens. L'exemple du Cube, qui offre des formations intergénérationnelles, est, à cet égard, remarquable. Mais, je vous l'indiquais, cette structure a un coût que toutes les communes ne peuvent assumer : les pouvoirs publics doivent s'investir.