Intervention de Annick Billon

Délégation sénatoriale aux entreprises — Réunion du 29 janvier 2015 : 1ère réunion
Compte rendu de la réunion de la délégation aux entreprises du 29 janvier 2015

Photo de Annick BillonAnnick Billon :

Madame la Présidente, mes chers collègues, je voulais à titre introductif préciser que cette journée du 19 janvier a été réalisée en très peu de temps. En effet, ce n'est que fin décembre que la décision a été prise mais grâce à cet esprit vendéen, les chefs d'entreprises se sont très vite mobilisés. Nous avions essayé de toucher un large panel de dirigeants d'entreprises afin d'anticiper les désistements ; toutefois, les quelques trente dirigeants invités ont tenu à se déplacer. Ils étaient extrêmement touchés et heureux d'accueillir les parlementaires et je pense que les collègues de la délégation qui étaient présents lors du déplacement -Mme Nicole Bricq, Mme Jacky Deromedi, M. François Aubey et Mme Elisabeth Lamure- pourront confirmer cette impression.

Comme vous l'avez vu dans le film, il y avait différents dirigeants représentatifs d'entreprises très variées : petites, moyennes ou intermédiaires avec de belles entreprises, leaders sur leur marché. Il y avait aussi des représentants de fédérations de professions telles que la fédération française du bâtiment, le syndicat de métallurgie, la CGPME, ainsi que le Medef. Par ailleurs, divers secteurs industriels étaient représentés : du BTP à la métallurgie en passant par l'agroalimentaire ou la construction navale. Ils ont tous eu à coeur de faire partager leurs expériences.

Pour amorcer la réunion, j'avais travaillé avec APM (Association pour le Progrès du Management) sur un petit film de neuf minutes où l'on avait posé à cinq chefs d'entreprises les questions suivantes : « Quelles sont les trois principales contraintes qui freinent votre développement ? » ainsi que « S'il y avait une mesure à prendre, quelle serait-elle ? ».

Nous avions une contrainte de temps forte puisque nous ne disposions que d'une heure et demie de temps de réunion pour 30 entreprises autour de la table et il s'agissait, bien sûr, que chacun puisse s'exprimer. Le déjeuner qui a suivi nous a donc permis de prolonger la discussion et d'approfondir certains sujets, mais lors de la table ronde, tous les chefs d'entreprises avaient d'ores et déjà pu s'exprimer, de manière brève et percutante.

De cette journée dense, si je ne devais retenir qu'une seule chose, ce serait le cri d'alarme que nous ont envoyé les entrepreneurs : « Laissez-nous travailler, faites-nous confiance ». Ils nous ont également suggéré quelques actions urgentes à mettre en oeuvre : si vous le voulez bien, je vais donc lister les différents points qui ont été évoqués par ces dirigeants d'entreprises.

Les entrepreneurs vendéens ont tous fait part de leur désir de garder cette envie d'entreprendre avant tout, mais ils se demandent actuellement s'ils vont y parvenir. S'ils veulent conserver cette envie de prendre des risques, ils estiment néanmoins que les conditions ne sont pas réunies pour préserver la dynamique qui les pousse à innover et à entreprendre.

Le premier frein à l'activité, selon les entrepreneurs interrogés, serait le manque de flexibilité du marché du travail. L'un des entrepreneurs a eu cette formule : « la France cherche à préserver des emplois, au lieu de chercher à en créer ». Il s'agit de deux choses bien différentes, on cherche à préserver l'emploi alors que certains métiers pourraient peut-être évoluer. Ils ont tous fait part de leur peur d'embaucher faute de ne pouvoir débaucher ensuite, ou alors à des coûts rédhibitoires. Ils ont tenu à rappeler qu'ils ne licenciaient jamais par convenance, mais toujours la mort dans l'âme. L'un d'eux a cité l'exemple du Canada où, depuis une dizaine d'années, il est possible de licencier aussi facilement que le salarié peut démissionner. Il s'y est établi un rapport de force favorable aux salariés. Les entrepreneurs ont aussi été nombreux à dénoncer la rigidité que représentent les seuils sociaux. Je citerai l'un d'eux : « lorsqu'on passe le seuil du 50ème salarié, il faut en embaucher un 51ème pour gérer les nouvelles contraintes ! ».

Le deuxième frein que dénoncent les entreprises est le manque de confiance de l'État dans les entreprises ainsi que son poids excessif : la pression administrative va croissant, avec des exigences accrues et de nouvelles obligations. L'un a évalué à 30% la part de son temps consacrée à gérer des questions administratives, ce qui est autant de temps perdu pour l'innovation et le développement de l'entreprise. Un autre s'est demandé pourquoi il fallait produire les mêmes papiers pour un marché public de 200 000 euros ou de 20 millions d'euros. Un troisième a dénoncé la nouvelle réglementation sur les métiers dangereux qui entrave la formation professionnelle : des jeunes apprentis se voient ainsi interdits d'utiliser les machines-outils (même à l'école) et se contentent de regarder pendant deux ans d'apprentissage ! D'autres, enfin, ont comparé la mise en place du compte pénibilité à une usine à gaz ; certains envisagent même de recruter une personne supplémentaire pour gérer cette nouvelle mesure ! Toutes ces obligations, qu'ils vivent comme des boulets, érodent la compétitivité de leurs entreprises. L'un d'eux a demandé « qu'on laisse courir les entreprises sans leur accrocher de nouveaux boulets aux pieds ».

De surcroît, toutes ces normes et obligations donnent lieu à des contrôles qui viennent encore peser sur les entreprises et faire grossir la sphère publique. L'un des frères Cougnaud a regretté d'avoir mis deux ans à obtenir le renouvellement d'une certification de la part du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).

Le poids des charges sociales dans le coût du travail a aussi été dénoncé à maintes reprises : les cotisations continuent de grimper, alors même qu'on traite les entreprises de voleurs de baisses de charges.

L'instabilité du cadre réglementaire est un autre frein au développement de nos entreprises selon les entrepreneurs consultés. Non seulement les règles sont toujours plus nombreuses mais de plus elles changent trop souvent. On nous a d'ailleurs dit avec une pointe d'humour « Que les parlementaires craignent d'avoir de trop bonnes idées ! » car c'est à l'entreprise de les assumer sur le terrain. A titre d'exemple, pour ce qui concerne la fiche de paye, l'adaptation permanente à de nouveaux paramètres exige d'un gestionnaire de paye 3 à 4 heures par mois uniquement dédiées à cet aspect, nous a confié un entrepreneur. En matière fiscale aussi, les règles changent constamment : la défiscalisation des heures supplémentaires a été supprimée et le taux de TVA a doublé en deux ans dans certains secteurs. En outre, des dispositions prises par certains entrepreneurs sur le fondement de nouvelles lois sont ensuite contestées par l'administration fiscale, qui les juge non conformes à l'instruction fiscale prise en application de la loi. De même, les entrepreneurs nous disent que les décrets d'application sortent trop longtemps après la loi et sont susceptibles de la réorienter. Si tant est qu'ils sortent un jour car certaines lois inapplicables ne verront jamais leur décret d'application sortir.

Enfin, je voudrais transmettre un dernier cri d'alarme que nous n'aurions pas pu entendre si nous avions rencontré des grands groupes. Il s'agit du coût et de la complexité de la transmission d'entreprise, sujet évoqué par de nombreux entrepreneurs de Vendée, où l'entrepreneuriat familial est prépondérant. Nous l'avons particulièrement vu au travers des deux entreprises visitées l'après-midi : la première, Cougnaud, est dirigée par quatre frères cinquantenaires, qui ont repris l'entreprise fondée par leur père et qui peinent à organiser la transmission à la génération suivante. La seconde, fondée par les Fonteneau, un couple de boulangers, passe progressivement aux mains de leurs enfants, qui n'étaient pas amenés au départ à rejoindre l'entreprise ; cependant la complexité et la fiscalité sont telles qu'ils envisagent de constituer une holding de rachat pour faciliter la transmission.

Pour être complète, j'évoquerai les points positifs qui ont été mis en avant comme la réduction d'ISF pour l'investissement dans les PME. La plupart ont salué le CICE comme une bonne mesure, mais là encore, la complexité du dispositif a été déplorée. Il aurait été plus efficace de baisser les charges que de créer un crédit d'impôt car ce mécanisme entraîne un décalage temporel et oblige certaines entreprises à demander un préfinancement du CICE que les banques facturent à un coût élevé.

J'insiste sur le fait que les chefs d'entreprises avaient à coeur de faire partager leur ressenti dans le cadre d'une discussion vraiment très agréable. Il n'y avait pas de polémique autour de la table ou lors des visites et je crois que le ton constructif des échanges a été ressenti par l'ensemble des personnes présentes.

Ainsi, pour synthétiser, les urgences et les pistes évoquées sont les suivantes :

- Revoir les seuils sociaux, alors que les négociations entre syndicats et patronat viennent d'échouer sur le sujet : les entrepreneurs demandent plutôt que soit annulé le seuil de 10, que le seuil de 20 passe à 50, que celui de 50 passe à 100 ;

- Assouplir le code du travail pour faciliter le licenciement et libérer l'embauche, ce qui pourrait conduire à un solde d'emplois positif ;

- Stabiliser l'encadrement législatif et réglementaire français comme européen et développer le rescrit fiscal ;

- Supprimer le compte pénibilité, à tout le moins pour le BTP ;

- Alléger les coûts salariaux et les charges sociales ;

- Simplifier la transmission d'entreprises.

Nous avons retenu l'encouragement des entrepreneurs à penser ensemble l'adoption de la loi et celle des décrets d'application, pour éviter de voter des lois inapplicables. Des études d'impact préalables pourraient y contribuer. Par ailleurs, un examen approfondi pourra être prévu pour analyser la proposition d'introduction d'un régime d'imposition différencié selon le type d'activité (pour taxer différemment l'export) et selon l'affectation des bénéfices - ainsi, les bénéfices mis en réserve pourraient être sortis de l'assiette de l'ISF. Surtout, les entreprises appellent de leurs voeux une stabilité législative dans une logique prévisionnelle : ne pas pouvoir prévoir à un an, à cinq ans, les éventuelles réformes, empêche de se projeter et d'établir un projet pour l'entreprise.

Pour conclure, je rappellerai le cri du coeur des entreprises : « Faites-nous confiance, laissez-nous travailler ».

Je tiens à remercier les sénateurs de la délégation aux entreprises qui se sont déplacés et les sénateurs voisins qui sont venus renforcer la délégation ; il n'est pas toujours très aisé de se déplacer en raison d'agendas très contraints. Nous avons été ravis de vous accueillir pour cette journée.

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