Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux de me retrouver parmi vous en ce début d'année marqué par un contexte très douloureux mais aussi porteur d'espoir et de renouveau.
La délégation que je préside au sein du CESE présente la double caractéristique de se préoccuper de prospective et d'évaluation des politiques publiques, deux domaines d'étude somme toute assez cohérents et qui vont très bien de pair. Avant de vous la présenter plus en détail, je tiens à rappeler dans quelles conditions s'est déroulé le premier contact, d'ailleurs très fructueux, avec votre délégation, que présidait à l'époque Joël Bourdin.
Cette audition intervenait à un moment clef : notre délégation venait de voir le jour et réfléchissait à ce que pourraient être ses méthodes de travail et sa valeur ajoutée dans le cadre des travaux du CESE. L'expérience de Joël Bourdin et de ses collègues nous ont alors été très utiles pour mener à bien la réflexion. De plus, nous avons profité de la présence au sein de notre délégation de Jean-Claude Étienne, que je remercie chaleureusement d'avoir accepté de m'accompagner aujourd'hui, lui qui avait contribué, lorsqu'il siégeait parmi vous, à la création de la délégation sénatoriale à la prospective. Lui comme moi sommes convaincus de l'indispensable nécessité de prendre en compte la dimension prospective pour améliorer la qualité des travaux législatifs et ceux qui sont réalisés par le CESE. Les enjeux auxquels seront confrontées les générations futures sont d'une telle importance qu'il serait véritablement irresponsable de ne pas en tenir compte lorsque nous exerçons les uns les autres tels ou tels mandats, politiques, patronaux, syndicaux, etc.
Je m'intéresse à la prospective depuis maintenant fort longtemps et c'est un domaine sur lequel j'ai beaucoup travaillé au fil de mes différentes responsabilités entrepreneuriales à La Poste et à la RATP. C'est ainsi de travaux prospectifs que sont, pour la première fois, sorties des idées considérées comme novatrices à l'époque et devenues depuis des évidences. Je pense notamment à l'importance, pour le développement du transport en Île-de-France, du tramway et des liaisons interbanlieues.
Je dirai quelques mots des innovations introduites au CESE depuis la réforme constitutionnelle de 2008, complétée par la loi organique du 28 juin 2010, lesquelles ont tenté de répondre aux critiques habituelles sur la composition du Conseil.
Il s'agissait de faire en sorte que la société civile soit représentée dans toutes ses composantes, et ce à effectifs constants. Deux nouveaux groupes ont alors été intégrés, compétents en matière d'environnement - d'où l'ajout du terme « environnemental » - et de jeunesse. Des progrès très significatifs ont également été observés dans le domaine de la parité.
Parmi les autres innovations figurait l'élargissement des possibilités de saisine, par voie parlementaire notamment. Le Conseil peut, en effet, être consulté par le Parlement, via le président de l'Assemblée nationale ou du Sénat, sur tout problème économique, social et environnemental. Il peut également être saisi par voie de pétition citoyenne recueillant 500 000 signatures, comme cela a failli se produire une fois.
Depuis le 16 novembre 2010, le CESE, dans sa nouvelle mouture, est présidé par Jean-Paul Delevoye. Notre assemblée compte neuf sections, dont les champs de compétences et les dénominations ont été redéfinis, et trois délégations à dimension plus transversale : la délégation à la prospective et à l'évaluation des politiques publiques, la délégation aux droits des femmes et à l'égalité, ainsi que la délégation à l'outre-mer.
La création de la délégation à la prospective et à l'évaluation des politiques publiques a été actée par décision du Bureau et validée lors de l'assemblée plénière en décembre 2010. Elle répond à la volonté d'inscrire la prospective dans le coeur de métier de notre assemblée et de satisfaire à l'une des nouvelles missions confiées par la loi organique du 28 juin 2010, aux termes de laquelle le CESE « contribue à l'évaluation des politiques publiques à caractère économique, social ou environnemental ».
Le CESE s'est alors vu consacrer comme un acteur à la fois de l'actualité et du temps long.
Notre délégation comprend vingt membres représentant la plupart des groupes siégeant au sein du Conseil. Elle s'inscrit dans deux axes de travail : éclairer par des autosaisines le contexte économique, social et environnemental en se projetant dans l'avenir à moyen et long termes ; apporter une valeur ajoutée aux autres formations du Conseil en matière d'évaluation et de prospective.
Ses premières réunions, disais-je, ont été consacrées à la détermination d'une méthodologie de travail et à la conduite d'une réflexion sur les moyens de promouvoir la prospective et l'évaluation au sein des travaux du CESE.
La vocation première de cette délégation est de produire, sur la base d'autosaisines, des études, à la différence des avis rendus par les sections qui adressent aux pouvoirs publics les propositions de la société civile. Nos études établissent des pistes de réflexion ouvrant les champs du possible sur des sujets transversaux mais ne donnent pas lieu à un vote en assemblée plénière comme pour les avis ; elles sont adoptées en délégation, validées par le Bureau du CESE puis présentées pour information dans l'hémicycle. Cette présentation peut être suivie d'un débat d'actualité.
Au cours de la mandature, notre délégation a publié trois études et fourni quatre contributions.
La première étude, adoptée en avril 2013 et intitulée Réfléchir ensemble à la démocratie de demain, s'est révélée relativement prémonitoire sur un certain nombre de sujets. Une toute jeune femme, Mélanie Gratacos, appartenant au groupe des associations, en était la rapporteure. Cette étude a connu un processus d'élaboration long et plutôt difficile en raison de la nature politique du sujet et du degré de maturation qu'exige un exercice de prospective pour envisager les futurs possibles.
Elle dresse un diagnostic étayé de la double crise de légitimité et d'efficacité qui frappe notre régime politique, constat assez largement partagé, présente ensuite des scénarios prospectifs tendanciels de possibles dérives du système actuel, avant d'aborder quatre leviers d'action qui permettraient de régénérer notre régime politique. Le document final a fait l'objet d'une présentation en assemblée plénière afin que les conseillers ne siégeant pas au sein de notre délégation puissent en prendre connaissance et soient sensibilisés au contexte dans lequel se sont déroulés les travaux.
Notre deuxième étude, Principe de précaution et dynamique d'innovation, sujet particulièrement intéressant et largement débattu, a été rapportée par Alain Féretti, du groupe de l'Unaf, l'Union nationale des associations familiales. La délégation s'était fixé un objectif pédagogique permettant de circonscrire les cas précis où le principe de précaution s'applique, en cas de risque suspecté dans le domaine de l'environnement et, par extension, dans celui de la santé. Il convenait de bien distinguer les notions de précaution, de prudence, de prévention. Au contraire de cette dernière, la précaution ne concerne que des risques non avérés.
En s'appuyant sur l'exemple de la téléphonie mobile, la délégation a tenté de démontrer que la juste application du principe de précaution ne devait pas entraver l'innovation, puisqu'il s'agit d'un principe d'action et non d'abstention.
Lors de sa présentation en assemblée plénière, l'étude a été suivie d'un débat d'actualité très ouvert, en présence de différents intervenants. Jacques Attali est venu défendre l'idée selon laquelle le principe de précaution devait être retiré de la Constitution. Nous avons aussi entendu Anne Lauvergeon, qui, dans le même temps, présentait son rapport visant à concilier principe de précaution et principe d'innovation, en réaction notamment aux pistes envisagées par notre étude. Enfin, deux représentants de ce qui ne s'appelait pas encore France stratégie et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail ont fait état de leurs récents travaux en la matière.
Notre troisième étude, Promouvoir une culture d'évaluation des politiques publiques, est en cours d'élaboration et devrait être adoptée dans les prochains jours. Son rapporteur, Nasser Mansouri-Guilani, du groupe de la CGT, a effectué un important travail de recensement des pratiques évaluatives au sein de notre pays en s'intéressant particulièrement aux acteurs, outils et méthodologies de l'évaluation. Parmi les nombreuses pistes envisagées, l'objectif est de rappeler que l'évaluation est un outil au service de la démocratie, qu'elle répond à des critères d'exigence élevés qui la distinguent du contrôle ou de l'audit, que le CESE y joue un rôle contributif de premier ordre.
Notre prochaine autosaisine portera sur Les territoires face aux catastrophes naturelles : quels outils pour prévenir les risques ? Ce projet d'étude devrait être adopté par notre délégation à la fin du premier semestre 2015, sachant que la mandature actuelle s'achèvera le 16 novembre prochain.
La délégation a également fourni quatre contributions, à la demande des autres formations de travail du CESE.
À la suite de deux demandes émanant de la section des affaires européennes et internationales, dans le cadre de la consultation du Comité économique et social européen concernant le projet de programme national de réformes 2011-2014 et l'« Acte pour le marché unique », la délégation a produit deux contributions adoptées et annexées aux avis du CESE.
La délégation a en outre répondu à une demande formulée par la section de l'aménagement durable des territoires, intitulée Quelle place pour la prospective : État stratège, État visionnaire ?, dans le cadre de l'avis rendu par Jacqueline Doneddu, du groupe de la CGT, sur Quelles missions et quelle organisation de l'État dans les territoires ? Les principales recommandations formulées dans la contribution ont été reprises dans l'avis, ce texte étant annexé dans son intégralité au rapport. Les préconisations tendent notamment à redonner à l'État et à la puissance publique les moyens d'une vision prospective, en imaginant, par exemple, les contours d'une organisation institutionnelle capable de penser le long terme et de mobiliser suffisamment en amont les différents acteurs du dialogue civil et social.
J'insisterai plus particulièrement sur le dernier rapport que nous avons réalisé car, d'une certaine manière, il incarne une forme d'aboutissement de la démarche prospective au sein du CESE. Il a introduit une vraie originalité dans nos méthodes de travail puisqu'il s'appuie sur la méthode des scénarios, extrêmement rigoureuse et scientifique, fruit d'une collaboration inédite avec l'association de prospective Futuribles.
Dans le cadre du rapport annuel sur l'état de la France en 2014, la section de l'économie et des finances, saisie à titre principal, nous a demandé de fournir une contribution portant sur « les évolutions du travail dans une perspective de moyen terme ». Comme vous le constatez, cette thématique se rapproche du rapport d'information Quels emplois pour demain ?, publié récemment par Alain Fouché au nom de votre délégation. Pour réaliser cet exercice de prospective, notre délégation a sollicité l'appui méthodologique de Futuribles en la personne d'Hugues de Jouvenel. C'est la première fois, j'y insiste, que notre délégation s'engageait dans une telle collaboration.
À l'issue d'un débat en son sein, la délégation a identifié onze variables « clefs » pour l'avenir du travail. Je précise qu'il s'agit là de variables de base, ce qui explique que le taux de chômage n'y figure pas.
Pour chacune de ces onze variables, nous avons réalisé un quadruple travail. Un travail de définition, d'abord, pour savoir de quoi on parle. Un travail de mesure, ensuite, pour identifier les indicateurs pertinents. Une évaluation rétrospective, par la suite, pour connaître les tendances à l'oeuvre. Un travail de prospective, enfin, qui a systématiquement reposé sur la fixation de trois hypothèses prospectives formalisées, détaillées et relativement contrastées.
C'est alors qu'ont été élaborés quatre scénarios - deux tendanciels et deux de rupture - par le biais d'une analyse combinatoire des variables clefs et des hypothèses. J'en citerai deux : « Restaurer la compétitivité à tout prix » et « Pour une autre répartition des richesses et une conception nouvelle du travail ».