Cet accord d'association entre l'Union européenne et la Moldavie a été signé le 27 juin 2014 à Bruxelles. Des trois accords d'association signés ce jour-là, c'est le premier que nous examinons. Les deux autres - signés respectivement avec la Géorgie et avec l'Ukraine - seront soumis plus tard à notre examen.
Nous sommes saisis de l'accord d'association avec la Moldavie seulement six mois après sa signature et nous en débattrons le 19 février prochain en séance publique. Cette rapidité doit être saluée. Notons la priorité accordée par le Gouvernement à cette convention pour l'examen de laquelle il a demandé la mise en oeuvre de la procédure accélérée.
Notons aussi que ce n'est pas la procédure simplifiée qui est mise en oeuvre, mais la procédure normale.
Ce texte mérite toute notre attention. Cette convention est déjà appliquée, à titre provisoire, depuis le 1er septembre 2014, s'agissant des dispositions relevant de la compétence exclusive de l'UE. C'est donc davantage le contexte géopolitique régional qui justifie un examen attentif que le texte lui-même, puisque, comme vous le savez, c'est la perspective de l'accord d'association avec l'Union européenne qui a fait basculer l'Ukraine.
J'évoquerai tout d'abord l'histoire récente de la Moldavie et sa situation intérieure ainsi que ses relations préexistantes avec l'Union européenne, avant de présenter les dispositions et les bénéfices attendus de cet accord d'association.
Ex-République de l'URSS, après avoir été une principauté tributaire de l'empire Ottoman, elle a successivement appartenu à l'empire Russe, puis à la Roumanie. La Moldavie est indépendante de l'URSS depuis le 27 août 1991. Ce nouvel état est marqué dès sa création par la sécession de fait de la Transnistrie, qui représente 12 % de son territoire, au-delà du Dniestr.
Un violent conflit territorial a bouleversé la Moldavie en 1992 et peut aujourd'hui être considéré comme un des premiers événements dramatiques précédant ceux qui se sont déroulés ensuite, en Géorgie et en Ukraine.
Le cessez-le-feu est signé en Transnistrie le 21 juillet 1992. Depuis, des négociations sont menées, notamment sous l'égide de l'OSCE, dans un cadre « 5+2 » (Moldavie/Transnistrie + Ukraine/Russie/OSCE et 2 observateurs : États-Unis/UE). Ces négociations sont aujourd'hui au point mort et le conflit de Transnistrie est considéré comme « gelé ». Mais il suffit de regarder une carte pour se rendre compte du potentiel de déstabilisation que peut représenter la situation dans cette région, entre deux puissants voisins, l'Union européenne et la Russie et à proximité de l'Ukraine, dont elle partage une longue frontière. Tiraspol, la capitale de la Transnistrie, est à moins de 100 kilomètres d'Odessa et proche également de la Crimée.
Par ailleurs, dans cette analyse des risques, insistons sur le positionnement de la région sud-ouest de la Moldavie : la Gagaouzie, qui est très proche de l'Ukraine. Cette partie de la Moldavie de 1800 km² et 160.000 habitants bénéficie d'un statut d'autonomie depuis 1994. La Gagaouzie ne représente que 4,5 % de la population moldave, mais cette population est marquée par son origine turque et elle est majoritairement russophone. Ainsi, elle s'est prononcée en 2014, dans le cadre d'un référendum, d'ailleurs illégal, pour une adhésion à l'Union douanière avec la Russie, plutôt que pour un rapprochement avec l'UE. Je me suis rendue récemment dans la capitale de cette région, à Comrat, où les autorités m'ont parues plus véhémentes encore à l'égard de Chisinau que celles de Transnistrie. La déstabilisation de cette région par la Russie est une hypothèse plausible.
Le rapprochement de la Moldavie et de l'Union européenne correspond à une demande relativement ancienne et continue, sans rupture depuis 2000.
L'accord d'association qui nous est soumis abroge un accord plus ancien, dit « de partenariat et de coopération », signé en 1994, qui avait mis en place des structures de dialogue politique et économique, préfigurant celles de l'accord d'association.
En 2004, la Moldavie a été incluse dans le champ « de la politique européenne de voisinage », ce qui a donné lieu à la signature d'un plan d'action, définissant des priorités dans les réformes à mener.
En 2005, la Moldavie a accepté le déploiement d'une mission d'assistance de l'UE sur le barreau Tiraspol/Odessa pour le contrôle de sa frontière commune avec l'Ukraine. Je m'y suis rendue à plusieurs reprises. Le contrôle douanier est exigeant. Il s'est avéré que le principal objet de trafic était le poulet, en provenance de Chine.
L'orientation européenne de la Moldavie est donc antérieure à 2009, année qui a vu la formation d'une coalition démocratique de partis pro-européens, arrivée au pouvoir après une crise ayant conduit à la dissolution du Parlement. La même année, la Moldavie s'est engagée dans le partenariat oriental, proposé par l'UE à l'initiative de la Pologne et de la Suède, pour relancer nos relations de voisinage à l'est, et contrebalancer la création, au sud, de l'Union pour la Méditerranée.
Avec ce partenariat oriental, il ne fait aucun doute que la Moldavie est l'État le plus avancé dans ses relations avec l'UE :
- l'accord d'association y est appliqué à titre provisoire depuis le 1er septembre 2014 ;
- une dispense de visas pour les courts séjours dans l'espace Schengen y est effective depuis le 28 avril 2014 ;
- un grand nombre de réformes ont été engagées : réforme du système judiciaire, dispositions anti-corruption, lutte contre la criminalité... Ces réformes méritent d'être poursuivies et rendues effectives par une mise en oeuvre rapide. Le dialogue politique prévu dans le cadre de l'accord d'association doit y contribuer.
L'orientation pro-européenne de la Moldavie a, enfin, été confirmée par les résultats, d'ailleurs relatifs, des élections du 30 novembre 2014, qui devraient aboutir à la formation prochaine d'un Gouvernement de coalition. Les modalités de la relation à l'UE constituent l'un des aspects de la négociation politique en vue de la formation du gouvernement.
En revanche, l'adhésion à l'OTAN n'est pas à l'ordre du jour, par souci d'équilibre, et dans la mesure où la constitution moldave proclame la neutralité du pays.
L'accord d'association, lui-même, est un accord mixte, qui engage l'Union européenne, ses États membres, ainsi que la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA).
La CEEA est partie à l'accord, au titre d'une disposition relative à la coopération dans le domaine de la sûreté et de la sécurité nucléaires, ainsi que de la protection radiologique. Ces questions se posent dans le cadre de la lutte contre le trafic illégal de matériel nucléaire et radioactif, qui fait l'objet d'une coopération avec l'AIEA.
Quant aux États membres, ils sont parties à l'accord au titre de son volet politique, de stipulations relatives à des sanctions pénales, de dispositions dans le domaine de la propriété intellectuelle et parce que le texte de l'accord est considéré comme un tout indissociable, devant être ratifié par les vingt-huit États membres de l'Union européenne.
L'accord ouvre un nouveau chapitre des relations entre l'Union européenne et la Moldavie.
C'est d'abord un accord de coopération, dans de très nombreux domaines politiques, économiques et sectoriels. Dans tous ces domaines, un programme complet de rapprochement progressif de la législation moldave des acquis de l'UE est établi.
C'est ensuite un accord de libre-échange, dit « approfondi et complet ». Contrairement à un accord de libre-échange classique, cela signifie qu'il prévoit non seulement une libéralisation commerciale quasi-totale, mais aussi une harmonisation réglementaire, par alignement sur les normes de l'Union européenne. L'accord prévoit la libéralisation des échanges pour 95 % des lignes tarifaires, représentant 99 % des droits en valeur commerciale pour la Moldavie. Il facilite l'investissement et l'accès aux marchés publics.
L'un des aspects les plus sensibles de l'accord est la protection des droits de propriété intellectuelle. Des dispositions contraignantes prévoient un rapprochement avec le droit européen, ainsi que la reconnaissance et la protection de toutes les indications géographiques de l'UE.
Enfin l'accord met en place des instances de dialogue, notamment un conseil d'association, un comité et des sous-comités, ainsi qu'une commission parlementaire d'association.
Quels sont les effets attendus de cet accord d'association ?
Pour l'Union européenne, il s'agit de soutenir la modernisation et d'encourager la stabilité d'un État directement voisin. Il s'agit également de favoriser le commerce et l'investissement dans ce pays.
Pour la Moldavie, l'accord de libre-échange vient rééquilibrer ses relations économiques extérieures. La Moldavie est partie à l'accord de libre-échange de la CEI, en vigueur depuis le 1er janvier 2013. Or l'Union européenne représente déjà 54 % de ses exportations et 45 % de ses importations. Et les relations existant au sein de la CEI sont déséquilibrées : elles n'ont pas empêché la Moldavie d'être victime de sanctions économiques, de la part de la Russie, en réaction à la perspective de l'accord d'association (sanctions sur le vin en 2013 puis sur certaines viandes et fruits depuis 2014).
L'accord d'association est surtout, pour la Moldavie, un levier de modernisation, notamment dans le domaine de la lutte contre la corruption. La poursuite des réformes engagées par la Moldavie, et leur réussite, sera l'un des marqueurs essentiels de la réussite du processus de rapprochement entre la Moldavie et l'Union européenne.
Il est également important que l'ensemble de la population moldave puisse percevoir concrètement les effets du rapprochement avec l'UE, notamment sur le niveau de vie. La population perçoit mal ce que l'Union européenne lui apporte de ce point de vue. La classe politique est l'objet d'une certaine défiance, qui n'est pas encore une défiance vis-à-vis de l'Union européenne.
Je terminerai en évoquant les relations de la Moldavie et de la France. Pourquoi devons-nous soutenir le rapprochement avec ce petit État, situé aux confins de l'UE ?
D'un point de vue strictement commercial, la portée de l'accord devrait être limitée, dans la mesure où le montant de nos échanges avec la Moldavie est faible.
Toutefois, plusieurs entreprises françaises importantes sont présentes en Moldavie : Orange, qui est le premier exploitant de téléphonie mobile dans ce pays, mais aussi Lactalis, Lafarge, Société Générale... Ces entreprises devraient profiter d'une amélioration du climat des affaires.
Enfin, il nous faut soutenir le développement économique du pays le plus francophone d'Europe orientale, devant la Roumanie. Pour des raisons historiques et culturelles, plus de 50 % des élèves moldaves choisissent d'apprendre le Français, qui reste la première langue étrangère enseignée, devant l'anglais. La coopération culturelle prévue dans le cadre de l'accord d'association pourrait constituer un outil parmi d'autres de promotion des échanges entre nos pays. En l'absence d'une volonté politique forte, le déclin prévisible de la francophonie au sein des jeunes générations moldaves sera difficile à enrayer.
En définitive, l'accord d'association permet à la Moldavie de bénéficier d'un nouvel équilibre dans ses relations extérieures.
L'Histoire dira si cet accord constitue un aboutissement, ou une simple étape, sur la voie d'une éventuelle adhésion future à l'Union européenne. Tel n'est pas l'objet du partenariat oriental, ce que rappelle le préambule de l'accord d'association, qui indique clairement « prendre acte » des aspirations européennes de Moldavie, sans que cela ne préjuge « en rien » de l'évolution de ses relations avec l'UE.
J'estime, à titre personnel, pour des raisons historiques, géographiques et culturelles, que la Moldavie a toute sa place, à terme, dans le grand ensemble européen.
Dans l'immédiat, la ratification de cet accord d'association témoignera de notre soutien à un pays situé dans une région soumise à de fortes pressions, à un risque d'instabilité politique, et à un contexte de ralentissement économique.
Pour ces raisons, je propose à la commission d'adopter ce projet de loi d'autorisation.