Merci Monsieur le Président. Nous allons vous présenter les éléments principaux du rapport de l'IGAS sur l'évaluation de la deuxième année de mise en oeuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale. Ce rapport répond à la volonté du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, ainsi qu'aux attentes du monde associatif, d'obtenir le suivi de la mise en oeuvre de ce plan. A ce titre, la présentation de notre rapport au Premier ministre doit amorcer une série de consultations avec les acteurs mobilisés dans la lutte contre la pauvreté et les différents membres du Comité national de lutte contre l'exclusion, afin d'assurer une adaptation annuelle des dispositions du plan.
J'en viens au cadre de travail de la mission. L'année dernière, j'avais organisé des réunions dans toutes les régions avec l'ensemble des décideurs locaux et les acteurs mobilisés pour le lancement du plan, soit un total de six mille personnes. Cette année, cette démarche de territorialisation a été confiée à la direction générale de la cohésion sociale et ce changement de rythme a retardé l'animation territoriale.
Le plan concerne sept thèmes autour desquels se déclinent soixante-neuf mesures. Parmi ces dernières, notre rapport en retient tout particulièrement dix-neuf, concernant tout d'abord l'accès aux droits et aux biens essentiels, via la montée en charge des rendez-vous des droits, le dossier simplifié et la fusion du RSA-activité et de la prime pour l'emploi. Le travail et l'emploi constituent le deuxième thème, avec le déploiement de la Garantie-jeunes et la réforme du financement de l'insertion par l'activité économique. L'hébergement et le logement, dont les mesures demeurent les plus délicates à mettre en oeuvre, constituent le deuxième thème. La santé, quatrième thème, avec la généralisation de l'accès aux soins et de la complémentaire santé, ainsi que la santé mentale et la précarité que nous avions déjà, du reste, évoquées l'année dernière. Le cinquième thème, consacré aux familles et à l'enfance, est redevenu d'actualité, avec l'accueil en structures collectives des enfants de moins de trois ans issus des familles pauvres. Derniers thèmes enfin, l'inclusion bancaire et le surendettement, ainsi que la gouvernance des politiques de solidarité, incluant l'avancée des mesures législatives et l'organisation des Etats-généraux du travail social.
La plupart des lois sur lesquelles s'appuie le plan ont été promulguées. Elles incluent des mesures pour le logement, l'inclusion bancaire, les droits sociaux, la consommation, la formation professionnelle, avec la prévention des expulsions notamment, ainsi que les impayés de pensions alimentaires. Plusieurs projets de loi intéressant le plan sont en cours d'examen, comme ceux relatifs à la transition énergétique, à la réforme du droit d'asile, avec des incidences sur l'hébergement d'urgence, ou la santé.
Le Gouvernement a globalement respecté sa feuille de route, s'agissant notamment de la revalorisation au-delà de l'inflation des minima sociaux. Les mesures phares ont été déployées ou sont bien engagées, comme l'instauration des Rendez-vous des droits, le déploiement de la Garantie-jeunes, la réforme du financement de l'insertion par l'activité économique depuis juillet dernier, l'accompagnement global des personnes éloignées de l'emploi ou encore la généralisation de l'accès au compte, la limitation des frais bancaires et la prévention du surendettement. Cependant, la visibilité du plan et la mobilisation des services, sur lesquelles nous avions alerté le Gouvernement en 2014, demeurent, cette année encore, problématique.
Des retards ont également été constatés, en raison notamment d'une mobilisation territoriale tardive, d'un relatif attentisme des conseils généraux suite aux incertitudes sur leur pérennité et de la durée d'établissement des diagnostics partagés à 360 degrés au niveau des territoires. Des chantiers emblématiques ont par ailleurs été modifiés ou demeurent en attente, comme les Etats-généraux du travail social, la mise en oeuvre du dossier simplifié, qui va être abandonné au bénéfice d'un simulateur des droits, et le projet de Points-conseils budget.
Un débat existe sur l'hébergement et le logement, avec une offre de logements sociaux en retrait par rapport aux engagements. Un tel constat vaut également pour l'accueil de places de crèche pour les enfants pauvres, puisque l'objectif d'accueil des enfants de moins de trois ans en structures collectives est de fait retardé. Cependant, le ministre du travail, M. François Rebsamen, a repris cette disposition destinée à faciliter l'accès aux crèches des enfants pour que les parents puissent reprendre une activité professionnelle, dans son plan de lutte contre le chômage de longue durée. Celui-ci devrait répondre aux fortes attentes en matière d'insertion et d'emploi que nous avons soulignées dans notre rapport.
Dans l'introduction de notre rapport, nous avons souhaité faire un point sur le contexte de la pauvreté dans notre pays. Celle-ci connaît une concentration géographique et touche de plus en plus d'enfants, tandis que la solidarité suscite un durcissement de l'opinion à son encontre. Les statistiques dont nous disposons datent cependant de 2012, alors que le plan débute en 2013. Force est de constater que la France dispose d'un amortisseur social important qui explique que, depuis 2008, le taux de pauvreté ne connaisse pas de réelle augmentation. En revanche, la situation de ceux qui se trouvent sous le seuil de pauvreté est devenue plus précaire encore. On constate ainsi une stagnation du taux de pauvreté à 60 % du salaire médian, mais une augmentation de ceux qui se trouvent à 50 %. Les personnes pauvres ne sont pas plus nombreuses, mais elles deviennent plus pauvres !
En outre, la pauvreté des enfants et des familles monoparentales s'accentue : aujourd'hui, quasiment un enfant sur cinq vit dans une famille pauvre. La proportion atteint un sur trois dans les familles monoparentales, voire un sur deux dans certains quartiers. Le Credoc a par ailleurs souligné le durcissement de l'opinion publique face au sentiment d'assistanat lié aux mesures contre la pauvreté, avec un taux d'acceptation de la population de notre système social le plus bas depuis 35 ans. Les Français privilégient ainsi les services aux prestations.
J'en viens à présent aux sept thèmes principaux contenus dans le rapport. S'agissant de l'accès aux droits, plus de cent mille Rendez-vous des droits ont été réalisés par les centres d'allocations familiales en 2014, mais nous ne disposons pas de connaissance précise de l'impact sur les droits effectivement ouverts. L'expérimentation du dossier simplifié n'a pas été concluante, et sa réorientation, sous la forme d'un simulateur des droits, ne peut être pertinente qu'à la condition de simplifier effectivement les droits. Il convient également d'être vigilant quant aux modalités de la fusion du RSA-activité et de la prime pour l'emploi au 1er janvier 2016, et viser la consolidation de l'aide alimentaire grâce à une meilleure coordination des parcours sociaux.
Le deuxième thème concerne l'accès à l'emploi et la Garantie-jeunes qui s'est déployée et concerne, fin 2014, quelque huit mille jeunes sur les dix mille prévus. Le Gouvernement accélère d'ailleurs la mise en oeuvre de ce dispositif qui devrait bénéficier à cinquante mille jeunes en 2015. Les conventions d'accompagnement global des personnes éloignées de l'emploi entre les conseils généraux et Pôle emploi ont enregistré des résultats encourageants, à partir d'une expérimentation conduite en région Franche-Comté. Nous regrettons cependant l'absence d'avancée sur la question de la mobilité des travailleurs modestes, ainsi que le faible accès à l'emploi et à la formation tout autant que le maintien dans l'emploi et le faible niveau de qualification des travailleurs handicapés. Les propositions formulées par l'Igas sur ce sujet n'ont malheureusement pas été, pour l'heure, reprises. Il importe également de bien cibler les personnes qui seront au premier chef concernées par la réforme du financement de l'insertion par l'activité économique.
J'en viens à présent au thème conjoint de l'hébergement et du logement. Le Gouvernement a tenu ses engagements en matière d'ouverture des hébergements d'urgence et d'accueil des demandeurs d'asile dont le flux constant nourrit une demande soutenue. A ceux-ci s'ajoute l'ensemble des immigrants déboutés de leur demande d'asile, qui sont à la fois non expulsables du fait de leur situation familiale et non éligibles au logement social ; ces personnes bénéficient de nuitées hôtelières sans accompagnement social. Une telle situation de blocage motive, selon nous, l'adoption d'un plan d'urgence destiné à faire baisser le nombre de nuitées hôtelières et à privilégier l'intermédiation associative. D'ailleurs, les mesures récemment annoncées par Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, nous paraissent aller dans le bon sens.
Le point critique de cette thématique demeure, comme par le passé, la construction de logements sociaux qui reste en-deçà des objectifs annoncés, et ce, en dépit des leviers d'intervention déjà déployés. Certaines dispositions de la loi Alur permettent d'améliorer la situation, même s'il faut regretter que le mécanisme de garantie universelle des loyers (GUL) n'ait pas été retenu et que ses décrets d'application n'aient pas permis le déploiement des observatoires des loyers et l'encadrement de ces derniers sur l'ensemble des zones tendues. En outre, des points de vigilance demeurent, puisque la plupart des actions restent incitatives et reposent sur le levier fiscal ou les subventions. Les diagnostics à 360 degrés sont en attente de généralisation et la pression croissante de la demande de logement, notamment en Ile-de-France, nuit à l'effectivité du droit au logement opposable (Dalo). À cet égard, les chiffres sont édifiants : depuis l'instauration de ce droit en 2007, sur les cinq cent mille demandes enregistrées, quatre-cent-cinquante mille ont été honorées et sur les cinquante mille personnes en attente de logement, quarante mille se trouvent en Ile-de-France.
S'agissant du thème de la santé, l'augmentation des plafonds de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS) a permis d'élargir le nombre de bénéficiaires de 9,1 %, soit cinq cent mille personnes. La prochaine loi de santé demeure le principal point de vigilance pour cette thématique, avec le lien entre maladie mentale et l'accès aux soins, ainsi que la généralisation des assurances complémentaires santé. Le taux de non-recours demeure important, s'agissant notamment de l'ACS, et nous appuyons la proposition émise par Mme la sénatrice Aline Archimbaud, dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée sur l'accès aux soins des plus démunis, visant à instaurer l'automaticité du bénéfice de l'ACS aux personnes en grande précarité.
Les accueils collectifs et les accès aux crèches me paraissent l'élément essentiel de la thématique « familles et enfance », avec une attention particulière portée à l'aide sociale à l'enfance et à la situation des mineurs étrangers.
Je ne reviendrai pas sur l'inclusion bancaire et le surendettement. Sur la gouvernance enfin, de nombreux points positifs sont à relever, parmi lesquels le développement par le comité Agile des expérimentations initialement conduites avec les conseils généraux de la Meurthe-et-Moselle, du Nord, du Val d'Oise et du Rhône, et qui associent désormais près d'une dizaine de départements.
Ainsi, la mission d'évaluation 2014 porte l'accent sur cinq sujets majeurs afin de permettre une adaptation plus efficace du plan. Il s'agit ainsi de mettre en oeuvre un plan d'aide destiné aux familles pauvres, particulièrement les familles monoparentales, et qui dépasse la simple revalorisation des minima sociaux en proposant un réel dispositif d'accompagnement vers l'emploi. S'agissant de la création d'une prime d'activité par fusion du RSA-activité et de la prime pour l'emploi, la mission maintient son alerte concernant l'impact sur le taux de recours, sur la couverture des populations, notamment les jeunes, en privilégiant la logique d'incitation à la reprise d'un travail. Elle rappelle également la nécessité de développer un plan d'urgence d'accès à l'hébergement et au logement, afin de résorber l'utilisation excessive de nuitées hôtelières, en particulier par l'intermédiation locative et en prenant en compte la situation des personnes déboutées du droit d'asile. La mission souligne enfin l'importance, d'une part, de rendre automatique l'accès à la CMU-C et à l'ACS pour les personnes percevant les minima sociaux et, d'autre part, de préciser le calendrier définitif des États-généraux du travail social et le contour des sujets qui y seront traités. Je vous remercie de votre attention.