Intervention de André Reichardt

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 février 2015 : 1ère réunion
Projet d'ordonnance relative aux marchés publics proposé sur le fondement de l'habilitation prévue par la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises — Communication

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Concernant ce projet d'ordonnance, j'insisterai sur deux points : les marchés de partenariat dans un premier temps et les marchés publics stricto sensu dans un second.

Les marchés de partenariat, d'abord, constitueraient une nouvelle catégorie juridique créée par ce texte regroupant les actuels contrats de partenariat ainsi que d'autres formes contractuelles complexes. À la lecture du projet d'ordonnance, on remarque que de nombreuses recommandations de nos collègues Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur ont été reprises. Tout d'abord, la personne publique recourant à un marché de partenariat pourra conserver certaines missions comme la conception et l'aménagement du projet alors, qu'aujourd'hui, il est obligatoire de confier toutes les facettes de l'opération à l'entreprise attributaire d'un contrat de partenariat. Le caractère global du marché est ainsi atténué, permettant à la personne publique de garder la main sur le projet, au besoin avec l'appui de professionnels du secteur.

Ensuite, les critères actuels de recours à un contrat de partenariat - l'urgence, la complexité du projet et l'efficience économique - seraient simplifiés au profit d'un bilan global. Le marché de partenariat ne serait possible que si l'évaluation préalable démontre que son bilan global semble plus favorable que celui des autres contrats de la commande publique. C'est donc un nouveau système qui est proposé mais ses contours peuvent encore paraître flous. Il paraît souhaitable que le Gouvernement précise, par voie règlementaire, le contenu de ce bilan pour le rendre objectif et incontestable. Nos collègues ont montré, dans leur rapport, à quel point la comparaison entre contrats publics peut être biaisée.

Troisièmement, en réponse aux recommandations de nos collègues, l'évaluation préalable aux marchés de partenariat gagnerait en pertinence, car elle devrait comporter une « étude de soutenabilité budgétaire » et serait soumise pour avis à des organismes extérieurs. Nos collègues songeaient à la direction départementale des finances publiques pour les collectivités territoriales. J'ai interrogé le ministre sur ce point.

Enfin, il ne serait pas permis de recourir aux marchés de partenariat pour des opérations dont le coût estimatif serait inférieur à un montant fixé par décret. Cette recommandation reprend exactement celle de nos collègues, inspirées de la pratique au Royaume-Uni.

Le recours à ce type de marchés sera donc davantage encadré afin d'éviter les dérives constatées par le passé. Notons que le Gouvernement fait également un pas en direction des PME et des artisans. Une « part minimale » de l'exécution du marché de partenariat leur sera toujours réservée et - innovation importante - le pouvoir adjudicateur pourra intégrer cet élément dans les critères de sélection.

Reste deux interrogations que je souhaiterais évoquer : d'une part, pourquoi le cautionnement du titulaire du marché de partenariat vis-à-vis de ses sous-traitants reste-t-il optionnel ? En pratique, les grands groupes tentent de dissuader les PME d'exiger cette garantie. L'idée serait de rendre ce cautionnement obligatoire. D'autre part, l'arbitrage reste possible en cas de litige pour l'exécution des marchés de partenariat mais il n'est plus précisé que cet arbitrage s'opère selon la loi française. Est-ce un simple oubli ?

Pour conclure sur les marchés de partenariat, je dirais que la commission peut se féliciter que le rapport d'information de nos collègues Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur connaisse un aboutissement grâce à ce projet d'ordonnance.

Concernant les marchés publics stricto sensu, pour l'essentiel, le projet d'ordonnance reprend le droit existant. Les principales caractéristiques des marchés sont conservées.

Le texte du Gouvernement comprend toutefois des avancées notables. D'abord, le projet d'ordonnance permet de réduire de 40 % le nombre d'articles applicables en cette matière en unifiant les règles. En effet, à l'heure actuelle, les règles de la commande publique sont fixées dans trois corpus différents : le code des marchés publics pour l'État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, l'ordonnance du 6 juin 2005 pour les entités publiques intervenant dans les secteurs dits « spéciaux » et l'ordonnance du 17 juin 2004 pour les contrats de partenariat.

Ce projet d'ordonnance reprend l'ensemble de ces textes pour les regrouper dans un seul et unique texte. Le processus de rationalisation des règles de la commande publique s'achèvera avec la transposition de la directive « concessions de services » du 26 février 2014 afin d'obtenir un véritable code de la commande publique. C'est l'objet d'une demande d'habilitation au sein du projet de loi pour la croissance et l'activité en cours d'examen parlementaire.

Le projet d'ordonnance apporte également trois précisions essentielles concernant les marchés et offre ainsi davantage de lisibilité aux acheteurs publics. Tout d'abord, tous les marchés publics seraient qualifiés de contrats administratifs et relèveraient donc de la juridiction administrative. Cette unification du contentieux constituera une source de simplification pour le justiciable. Ensuite, le projet du Gouvernement reprend les définitions de la directive en matière de « quasi-régie » et de « coopération entre pouvoirs adjudicateurs ». Ces notions regroupent, par exemple, les mutualisations de moyens entre collectivités territoriales au niveau d'une intercommunalité ou encore les liens entre une société publique locale et les collectivités territoriales qui en sont membres. Il sera donc explicitement prévu que ces situations échappent aux règles de la commande publique et donc à la mise en concurrence.

Malgré ces nombreux apports, le projet d'ordonnance soulève des questions en matière de charges administratives imposées aux acheteurs publics. Il serait d'ailleurs utile que le Gouvernement consulte, s'il ne l'a déjà fait, le Conseil national d'évaluation des normes sur ce sujet.

Par exemple, le projet d'ordonnance impose une nouvelle évaluation préalable pour les marchés dont le montant dépasse un seuil règlementaire. L'intérêt de cette nouvelle contrainte pose question dans la mesure où les évaluations préalables des contrats de partenariat n'ont pas donné entière satisfaction comme l'ont montré nos collègues Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli.

De même, ce texte vise également à généraliser la dématérialisation des procédures de marchés publics. Certes, il existe déjà une démarche globale de dématérialisation. Mais le projet d'ordonnance ne semble pas laisser suffisamment de temps aux acheteurs publics, notamment les « petites » collectivités territoriales, pour s'adapter à cette nouvelle contrainte.

Le Gouvernement souhaite également que tous les documents relatifs à la passation et à l'exécution des marchés publics soient conservés pendant au moins dix ans, alors que la directive européenne prévoit une durée de conservation de trois ans. Il existe, certes, des instructions de la direction des archives de France qui conseillent de garder certains documents une dizaine d'années mais ces mêmes instructions préconisent également d'en détruire d'autres - comme les dossiers des candidats évincés - au bout de cinq ans. En l'état, cette disposition en matière d'archivage constitue donc une charge supplémentaire pour les acheteurs publics.

Enfin, dernier sujet de mon intervention, ce projet d'ordonnance suscite certaines interrogations qu'il conviendrait de lever en liaison avec le Gouvernement. Je souhaite en particulier attirer votre attention sur cinq points.

Le premier concerne le champ d'application du présent texte. L'ordonnance du 6 juin 2005 sur les entités adjudicatrices cite explicitement des personnes morales de droit public au statut particulier comme la Banque de France et la Caisse des dépôts et consignations, ce qui n'est pas le cas du présent projet d'ordonnance. Ces entités seront-elles exonérées de toute mise en concurrence ?

Ma deuxième question porte sur les conflits d'intérêts en matière de marché public. Le projet du Gouvernement prévoit que les acheteurs publics puissent exclure une entreprise dont la candidature conduirait à un conflit d'intérêts. Jusqu'à maintenant, face à un risque de conflit d'intérêts, c'est l'administration qui doit veiller à le résoudre, en écartant des agents par exemple. Ici, ce serait l'entreprise qui serait interdite de candidater. Est-il possible de concilier ces deux approches de résolution du conflit d'intérêt ou faut-il en privilégier une au détriment de l'autre ?

Le périmètre de la sous-traitance constitue ma troisième interrogation. À l'heure actuelle, selon la loi du 31 décembre 1975, un sous-traitant est une entreprise sollicitée par le titulaire d'un marché pour participer directement à l'acte de construire. Le projet d'ordonnance complique la situation en mentionnant, en parallèle des sous-traitants, des « sous-contractants », terme non défini par le Gouvernement. Quel est donc le périmètre de la sous-traitance, cruciale pour nombre d'entreprises et notamment pour les PME ?

Je m'interroge ensuite sur l'absence, dans le projet du Gouvernement, de référence aux « sujétions techniques imprévues » pourtant citées dans l'actuel code des marchés publics. Pour mémoire, cette notion permet à l'acheteur public de faire face à des difficultés exceptionnelles constatées lors de l'exécution d'un marché sans devoir relancer une nouvelle procédure de mise en concurrence et sans limite de montant. Il ne me semble pas opportun de supprimer cette notion dans la mesure où elle constitue une souplesse d'action indispensable aux acheteurs publics.

Enfin, la dernière incertitude porte sur les motifs permettant la résiliation d'un marché public. À ce stade, le projet d'ordonnance ne cite qu'un faible nombre de clauses de résiliation. Or, des procédures en vigueur ne sont pas mentionnées comme, par exemple, la résiliation pour motif d'intérêt général. Dans ce contexte, j'ai interrogé le Gouvernement sur le maintien des clauses de résiliation actuellement en vigueur. Pourquoi en citer certaines au niveau législatif et en renvoyer d'autres au niveau réglementaire ?

En conclusion, l'information des parlementaires en amont de la publication des ordonnances me paraît être une excellente méthode : le travail d'analyse que nous effectuons aujourd'hui nous permettra d'examiner de manière plus éclairée le projet de loi de ratification de l'ordonnance relative aux marchés publics.

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