Intervention de Marie-Christine Saragosse

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 5 décembre 2013 : 1ère réunion
Contrat d'objectifs et de moyens de france médias monde — Audition de Mme Marie-Christine Saragosse présidente

Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde :

Je tiens à vous remercier pour ces marques de sympathie très importantes, y compris pour les familles ; elles nous renvoient au coeur de notre mission : défendre une certaine idée de l'information, pluraliste, donnant la parole à chacun. Telles sont nos valeurs. C'est en leur nom que nous avions des envoyés spéciaux dans toutes les régions du Mali pour couvrir les élections, mais il y a des barbares qui ne respectent ni l'information ni les êtres humains.

Ce sont ces mêmes valeurs qui forment le socle du COM, fruit d'un travail collectif ayant commencé en novembre 2012, avec des séminaires se déroulant le samedi, sur la base du volontariat des équipes, où nous avons discuté de nos valeurs, de nos contenus éditoriaux et de nos missions, pour aboutir en mars 2013 à un projet stratégique. Une quinzaine de réunions détaillées avec nos tutelles ont conduit cet été à un arbitrage budgétaire permettant de rédiger ce COM qui en garde l'esprit et l'essentiel des mesures.

Quelles sont les caractéristiques du contexte mondial dans lequel s'inscrit ce COM ? L'explosion de nouveaux médias, d'abord, dont l'usage ne se substitue pas aux autres : avoir une tablette ou un i-phone n'impose pas de renoncer à regarder son téléviseur ou à écouter la radio sur la bande FM, majoritaire pour l'écoute sur téléphone portable. Gardons-nous donc de jeter aux orties les anciens modes de diffusion. Ces nouveaux médias s'accompagnent d'un développement de la mobilité : c'est une grande révolution pour nous, car elle touche l'Afrique, où l'usage des terminaux mobiles est plus important que celui des ordinateurs fixes. Les réseaux sociaux explosent, eux aussi : il n'est plus concevable de penser des médias unilatéraux. Les évolutions des équipements numériques sont très contrastée selon les zones, notamment en termes de coût : il faut les analyser pays par pays, afin de ne pas commettre de contresens.

Le développement de la télévision en haute définition (HD) ensuite. Cela ne nous arrange pas forcément : la HD coûte deux fois et demie plus cher en termes de diffusion satellitaire que la télévision classique, la SD - or nous n'avons pas cet argent ; elle occupe plus de capacité de diffusion. Cela peut provoquer des effets d'éviction chez les opérateurs et, selon les zones, en Europe en particulier, constituer une menace dans les deux ans à venir. L'arrêt de la diffusion analogique et le passage complet à la télévision numérique terrestre (TNT), par ailleurs, offrent des opportunités qu'il ne faut pas rater, notamment en Afrique francophone.

L'extrême violence et l'hétérogénéité d'une concurrence multiforme est due à l'explosion des médias locaux - notamment les radios - et internationaux - on pense au Qatar mais aussi à la Chine, qui s'attaque à l'Europe, à l'Afrique mais aussi à l'Amérique latine, puisqu'elle vient de lancer une chaîne en espagnol. Certains sont des amis mais restent des concurrents : Broadcasting Board of Governors (BBG) qui chapeaute les médias américains tels que Radio Free Asia ou Voice of America avec un budget de 750 millions de dollars et une diffusion en 50 langues, la BBC, qui pour un budget de 400 millions d'euros diffuse en 40 langues, et Deutsche Welle qui avec 270 millions d'euros diffuse en 30 langues. Nous disposons d'un budget de 250 millions d'euros dont 238,7 millions d'euros de dotation publique en 2013 pour faire entendre la voix singulière de notre pays.

Il est fondamental d'affirmer cette identité singulière au niveau du groupe, mais aussi au sein de chaque média. En juillet 2012, la décision a été prise de ne pas fusionner les rédactions. France 24 fait de l'information en continu en français, en anglais et en arabe. Nous devons affirmer ce regard français : nous parlons depuis Paris. Une nouvelle signature a été présentée hier, avec un slogan, « Liberté, égalité, actualité », valeurs universelles que nous partageons avec de nombreux citoyens du Monde.

L'AFP est partenaire de notre campagne d'illustration de cette signature. Nous accentuerons les différences de programmation entre les trois langues. Une chaîne en anglais qui s'appelle France 24 est plus cohérente si nous y parlons davantage de la France. France 24 en arabe cherche à être l'autre chaîne arabophone : la chaîne de la liberté et de la laïcité, enracinée en Méditerranée, contrairement aux autres chaînes qui viennent de l'Est du bassin. J'accompagnerai ainsi le Premier ministre pour signer des accords de coopération le 16 décembre à Alger ; la radio nationale algérienne et Monte Carlo Doualiya ont déjà commencé leur mise en oeuvre et nous coproduisons une émission hebdomadaire recevant des invités à Alger et à Paris avec des thèmes aussi sensibles que le terrorisme aux frontières de l'Algérie ou le rôle des États-Unis dans ce pays : c'est une grande première !

Radio Monte-Carlo Doualiya (MCD), inventée il y a quarante ans par les Français, est la radio généraliste qui défend en langue arabe la laïcité, l'universalisme, l'égalité des hommes et des femmes et la liberté de conscience. Elle diffuse dans seize pays, mais malheureusement, pas en France. Nous affirmons une signature française en arabe et nous nous ouvrons aux femmes et aux jeunes, qui ont fait les révolutions arabes. Le nouveau site internet a vu les visites passer de 200 000 à 400 000 en un mois. Son slogan est : « sur la même longueur d'ondes » - sous entendu de l'autre monde arabe, celui de la liberté et du respect de l'Autre.

Depuis le drame qui nous a frappés, nous mesurons d'autant plus le poids de Radio France Internationale (RFI), avec la vague incroyable de milliers de témoignages d'affection, et pas seulement d'Afrique. Je rentre de Roumanie, où nous avons une filiale depuis 22 ans, qui est la radio qui fait l'information là-bas, avec une audience moyenne respectable de 200 000 auditeurs veille, avec ses quatre émetteurs, RFI donne le « la » de l'information. C'est aussi le cas en Afrique évidemment, mais au Maghreb, alors qu'elle n'y dispose pas de fréquence FM - faute d'autorisation - ce que les journalistes locaux déplorent à chaque conférence de presse que j'y donne, la radio bénéficie d'une réelle notoriété. Sa signature, « les voix du monde », signifie qu'elle n'est pas « la » voix de la France, ou plutôt que celle-ci ne peut être que plurielle. Être fidèle à la France, c'est donner la parole à chacun : grâce à ses douze langues étrangères - bientôt treize, car nous allons ajouter une nouvelle langue d'Afrique de l'Ouest - qui ne sont pas un problème mais bien un atout pour RFI ; grâce aussi aux auditeurs, très présents sur les ondes, et qui ont tous les accents de la francophonie.

Nous construisons une stratégie différenciée selon trois zones. Les zones de consolidation, d'abord - Afrique francophone, Maghreb et Moyen-Orient -où notre présence ne doit pas se laisser déstabiliser : nous ne devons pas rater le passage à la TNT, saisir les opportunités de FM, lancer une nouvelle langue africaine et être très présents sur la mobilité. Les zones de développement, ensuite, où l'accessibilité existe, où nous sommes bien diffusés, mais avec une insuffisante notoriété, et par conséquent une audience à développer : dans les pays du Golfe - où les nouveaux médias sont très répandus - ou en Afrique non francophone - qu'une stratégie panafricaine ne doit pas laisser en tête à tête avec l'Afrique du Sud. Nous avons des atouts : France 24 diffuse en anglais, RFI en anglais et en kiswahili ; nous avons signé avec le Kenya et la Tanzanie une diffusion de France 24 sur la TNT ; nous devons aussi rechercher des partenariats pour des reprises partielles.

Autre zone de développement : l'Europe, où il faudrait des ressources massives pour exister. RFI y garde beaucoup d'émetteurs, mais a dû réduire le nombre de langues. Reste Radio France România avec ses vingt-cinq agents vivant depuis des années dans l'angoisse de voir leur antenne fermer - ce qui est regrettable - alors qu'ils ne coûtent que 600 000 euros par an et s'autofinancent à 15 % et alors que ce pays est courtisé par les chaînes chinoise (CCTV) et russe (Russia Today). J'y suis allée récemment : de nouvelles fréquences seront financées par des recettes publicitaires, et j'y ai signé un « acte de mariage » entre RFI Romania et TV5 Monde qui sous-titre ses programmes en roumain.

La France fait partie de ces zones de développement : RFI est diffusée en Île-de-France seulement et France 24 sur le câble, le satellite et l'ADSL, tout en restant jusqu'ici interdite de TNT. J'ai obtenu de nos tutelles une modification de notre cahier des charges pour que cela change. Nos concitoyens ont besoin de s'ouvrir au monde ; nous avons des programmes dans des langues utilisées par nos concitoyens, mais aussi par des médias qui ne partagent pas forcément nos valeurs. La diffusion temporaire à Marseille de MCD et de RFI gagnerait à être pérennisée ; RFI pourrait être diffusée à Lyon, à Bordeaux ou Toulouse et surtout à Strasbourg, en accord avec la vocation européenne de cette radio, avec ses deux émissions hebdomadaires et son émission quotidienne sur l'Europe. De nombreux parlementaires européens francophones étrangers viennent y parler et ne s'entendent pas sur la bande FM de la ville - est-ce pour cela que certains préfèreraient Bruxelles ? Je sais que la création d'une radio européenne est un projet cher à M. Pierre Bernard-Reymond...

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