Intervention de George Pau-Langevin

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 25 juin 2014 : 1ère réunion
Audition de Mme George Pau-langevin ministre des outre-mer

George Pau-Langevin, ministre :

Monsieur le Président Larcher, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre invitation. Je suis très heureuse de me retrouver devant la délégation sénatoriale à l'outre-mer. J'ai déjà eu l'occasion de prendre connaissance des rapports qu'elle a publiés et je tiens à en saluer la qualité. La semaine passée nous avons débattu sur les zones économiques exclusives. Il est important de mettre l'accent sur l'importance de ces zones pour la France en général et plus particulièrement pour l'outre-mer. Je sais que l'action du Gouvernement est très attendue outre-mer. Il est vrai que je succède à un ministre des outre-mer particulièrement actif et qui a fait voter plusieurs textes importants. Je pense notamment à la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer dont vous avez été, Monsieur le président Larcher, le brillant rapporteur. Elle permet de s'attaquer aux maux structurels de notre économie. Ma tâche sera de faire en sorte que les préconisations de cette loi entrent dans les faits.

Dans les outre-mer, les boucliers qualité-prix sont devenus une sorte de produit d'appel pour un certain nombre d'entreprises. Nous devons être attentifs à ce que ce développement continue afin de lutter contre la vie chère et de favoriser les produits locaux.

La réforme de la défiscalisation a été menée avec le concours actif de votre délégation. Elle permet d'éviter que ce dispositif essentiel pour les investissements des entreprises soit raboté chaque année. Elle donne ainsi de la visibilité et de la sécurité aux investisseurs.

Les grands groupes industriels doivent désormais se plier à l'interdiction de rajouter davantage de sucre dans les produits destinés à l'outre-mer que dans ceux vendus dans l'hexagone, notamment les yaourts. Ce dispositif est d'application directe et favorise la production locale.

Le code des marchés publics a été modifié afin de favoriser les produits locaux dans les appels d'offres des collectivités et des hôpitaux.

La semaine dernière, lors de mon déplacement à La Réunion, j'ai été de nombreuses fois interrogée sur la régionalisation de l'emploi. Le Gouvernement examine le rapport qu'il avait demandé au député Patrick Lebreton afin de voir quelles améliorations pourraient être apportées à la situation actuelle.

Ces réformes témoignent d'un retour de l'État dans les outre-mer, avec une augmentation continue du budget qui leur est consacré. C'est donc un signe très fort dans le contexte budgétaire contraint qui caractérise la situation actuelle. Les moyens affectés à l'éducation nationale ont été également augmentés.

La stratégie du gouvernement commence à produire ses effets mais la situation demeure très dégradée et socialement fragile : le chômage se situe entre 20 % et 30 % selon les territoires. Il est encore plus élevé chez les jeunes.

Nous pouvons nous réjouir de l'embellie qui résulte des mesures adoptées, mais nous sommes encore loin d'avoir une situation satisfaisante pour l'économie et l'emploi en outre-mer. C'est là tout l'enjeu du premier point que vous avez mis, Monsieur le Président, à l'ordre du jour : la déclinaison outre-mer du pacte de responsabilité.

Il faut que nous arrivions à utiliser les mesures qui constituent ce pacte de responsabilité pour qu'il y ait des répercussions positives sur l'économie et l'emploi en outre-mer. Les effets du pacte tel qu'il a été conçu au niveau national permettront d'alléger le coût du travail et d'améliorer la situation des entreprises. Dans les outre-mer, le tissu économique est très fragile et repose essentiellement sur des TPE. De plus, la concurrence régionale est très dure et nous sommes confrontés à un chômage qui atteint des niveaux insupportables.

C'est la raison pour laquelle un certain nombre de mécanismes spécifiques ont été mis en place : un dispositif d'exonération étendu ainsi que des allégements de fiscalité dans le cadre des zones franches d'activité.

En 2012, la création du CICE a marqué une étape importante de la stratégie gouvernementale en faveur de la compétitivité, de la croissance et de l'emploi. Les entreprises des outre-mer en ont perçu le plein bénéfice, au même titre que l'ensemble des entreprises françaises. Cette mesure s'est traduite par un allégement du coût du travail à hauteur de 320 millions d'euros. Les entreprises d'outre-mer bénéficient de cette mesure, comme l'ensemble des entreprises françaises. Il faut toutefois noter qu'en outre-mer, où il y a beaucoup de très petites entreprises, les mesures annoncées n'auront pas le même impact qu'en métropole.

Le pacte de responsabilité et de solidarité constitue une nouvelle étape décisive qu'a engagée le gouvernement de Manuel Valls. Toutes les entreprises dans les outre-mer vont en bénéficier.

Les ultramarins bénéficieront de l'intégralité des mesures prises en faveur du pouvoir d'achat des salariés et des ménages modestes (allégements de charges sociales, réduction d'impôt sur le revenu, revalorisation des prestations et petites retraites).

Les entreprises des outre-mer profiteront, comme les autres, des allégements de fiscalité prévus au niveau national, soit pour un montant de l'ordre de 150 millions d'euros.

Mais pour tenir compte de la structure des entreprises et de la situation particulièrement dégradée dans les outre-mer, nous avons souhaité un effort supplémentaire en leur faveur. Le Premier ministre en a pris la décision et je l'ai annoncé vendredi dernier à La Réunion : le CICE outre-mer sera augmenté de 50 %, son taux devant passer en deux ans de 6 % à 9 %, avec une première étape à 7,5 %. Les entreprises en outre-mer verront leur situation s'améliorer et auront des marges de manoeuvre supplémentaires par rapport aux entreprises de la métropole. Je veux en remercier le Premier ministre qui a entendu les appels qui venaient des outre-mer, relayés par les parlementaires et des structures comme la Fédération des entreprises d'outre-mer.

Je veux toutefois souligner la nécessité, à partir du moment où il y a un effort spécifique, de réfléchir avec les entreprises sur des contreparties qu'elles pourraient apporter afin de favoriser l'emploi, notamment l'emploi local. Je note que, pour l'instant, nous ne sommes pas encore totalement parvenus à des propositions et à des solutions qui nous semblent à la hauteur de ce que nécessite la situation. Je sais qu'il y a des chefs d'entreprise vertueux, des personnes qui souhaitent que les demandeurs d'emploi puissent être recrutés sur ces chantiers, mais nous devons tous être extrêmement vigilants. S'il n'y a pas de répercussions positives de l'effort du Gouvernement sur l'emploi, nous nous heurterons à l'incompréhension de la population, notamment chez les plus jeunes.

Au-delà du pacte et de son adaptation à l'outre-mer, nous proposons une feuille de route plus large et fédératrice pour donner corps à notre politique en matière de croissance, d'emploi, de développement économique durable.

Nous essayons, dans les différents secteurs, de mettre en avant la situation des outre-mer. C'est le rôle de mon ministère, des parlementaires de l'outre-mer ou de ceux qui s'intéressent à l'outre-mer. Nous travaillons à la mise en place d'un fonds de soutien à l'économie sociale et solidaire qui constitue un gisement d'emploi majeur à l'heure actuelle en outre-mer. Il pourrait permettre de créer de nombreuses petites structures.

Nous avons aussi des mesures particulières pour les contrats aidés. Il s'agit d'encourager les entrepreneurs. Cependant, un certain nombre de mécanismes existants ne sont pas suffisamment exploités.

La transition énergétique et écologique représente un défi et une opportunité fondamentale pour nos outre-mer pour limiter des surcoûts de production qui sont aujourd'hui considérables. L'outre-mer a des atouts, que ce soit l'énergie thermique, les énergies marines ou solaire.

Vous avez posé la question de l'Europe et notamment des aides d'État. Je suis allée à Bruxelles récemment. Nous avons sécurisé, avec la Commission européenne, un dispositif garantissant la pérennité des aides d'État sans période de vide juridique puisque l'autorisation européenne expirait au 1er juillet prochain. Ces régimes d'aides au fonctionnement ou à l'investissement continueront donc à s'appliquer sans discontinuité. Les commissaires aujourd'hui en place ont bien compris les spécificités des outre-mer. Nous souhaitons que le dossier soit bouclé pour la rentrée de manière à ce que nous n'ayons pas à tout réexpliquer à la nouvelle Commission qui se mettra en place à partir de novembre.

Nous avons veillé à la continuité du dispositif de l'octroi de mer. C'est pourquoi une décision de prorogation du dispositif actuel jusqu'au 31 décembre prochain a été adoptée pour donner le temps de procéder aux dernières vérifications nécessaires concernant la proportionnalité de l'aide et le caractère bénéfique pour les consommateurs. La commission a bien compris l'intérêt de l'octroi de mer. Il nous appartient - et également aux acteurs économiques concernés - de fournir les justificatifs demandés. Notre inquiétude porte sur la lenteur de l'instruction du dossier. Si nous précipitons trop le mouvement, nous pourrions obtenir une validation du régime, mais pour un nombre réduit de produits. Il nous faut donc être patients.

Vous avez aussi évoqué les quotas sucriers. La filière a reçu un certain nombre d'aides lui permettant d'affronter cette ouverture à la concurrence. J'ai le sentiment que la fin des quotas sucriers inquiète mais je ne suis pas sûre que nous soyons parvenus à utiliser pleinement les quotas qui nous sont alloués. Il importe de promouvoir un certain nombre de filières d'excellence, par exemple les sucres spéciaux, notamment les sucres roux, que nous avons exclus du mandat de la Commission. Ainsi, les producteurs n'auront pas de difficultés particulières pour conserver ces niches.

En ce qui concerne la santé dans les outre-mer, vous avez raison de dire que nous devons aujourd'hui affronter un certain nombre de difficultés spécifiques. Quand je suis allée récemment en Martinique ou en Guadeloupe, j'ai vu ce qui avait été prévu comme dispositif pour affronter l'épidémie de chikungunya. Sur la Martinique, il semble que l'épidémie soit endiguée. Sur Saint-Martin où l'épidémie avait commencé, les choses évoluent de manière plutôt positive. Manifestement, l'épidémie flambe en Guadeloupe. C'est l'occasion d'apprendre ou de rappeler à la population un certain nombre de gestes de prévention. Des équipes seront très prochainement envoyées en renfort, principalement pour éradiquer les sites larvaires. Sur Mayotte et La Réunion, on observe des problèmes préoccupants - et récurrents - liés à la dengue. Le rapport de la Cour des comptes sur la santé dans les outre-mer met l'accent sur un certain nombre de difficultés que nous connaissons. Ce rapport sera pour nous une aide dans nos démarches auprès des administrations de tutelle qui ont souvent du mal à accorder les fonds nécessaires, par exemple, pour rebâtir un CHU aux normes sismiques ou, pour Wallis, éviter la sous-évaluation budgétaire des évacuations sanitaires. Il y a aussi dans les outre-mer des taux de mortalité infantile qui ne sont pas conformes à ceux des pays développés. À Mayotte, une maternité moderne va être construite, permettant ainsi une amélioration de la situation, mais il y a aussi la problématique des gens de la zone qui viennent pour se faire soigner. Grâce à la coopération internationale, des hôpitaux ont été bâtis dans les îles voisines mais il manque des médecins. À Mayotte même, le nombre de médecins est largement insuffisant par rapport à la population.

Il y a enfin un problème récurrent d'alimentation, et notamment de restauration scolaire. En Guyane, nous essayons de mettre en place une collation. Comme la CAF fonctionne sur la base du remboursement des dépenses exposées, tant que les enfants n'ont pas mangé une première année, ils n'entrent pas dans le système de prise en charge. Le sénateur Patient lui-même était prêt à mettre sa réserve parlementaire à disposition pour amorcer la pompe. Je trouve extrêmement choquant de ne pas obtenir de la CAF un changement de ce système. Dans un pays développé, nous ne pouvons pas nous résigner à ce que des enfants n'aient pas de repas ou même de collation alors qu'ils font souvent la journée continue. Dès 11 heures du matin, ils ne sont plus en mesure d'écouter ce qu'on leur enseigne. À Mayotte le problème est voisin, même si la CAF participe à la collation que nous avons mise en place. Des familles sont tellement paupérisées qu'elles ne peuvent pas apporter les vingt centimes nécessaires pour permettre à leurs enfants d'avoir droit à la collation. Quand on sait que c'est à peu près leur seul repas quotidien, cette situation est inadmissible sur le plan de la protection de l'enfance. Nous poursuivons les démarches pour trouver des solutions.

Monsieur le Président, je crois, pour l'essentiel, avoir présenté les points essentiels que je voulais aborder en réponse à votre introduction. Je pourrai y revenir plus en détails si vous le souhaitez.

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