Intervention de Stefan Füle

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 décembre 2012 : 1ère réunion
Elargissement de l'union européenne — Audition de M. Stefan Füle commissaire européen à l'élargissement et à la politique européenne de voisinage

Stefan Füle, commissaire européen à l'élargissement et à la politique européenne de voisinage sur l'élargissement de l'Union européenne :

Je suis honoré de votre invitation. Malgré les défis et les incertitudes mondiales auxquels doit faire face l'Union européenne, la politique d'élargissement contribue à la paix et à la prospérité. L'Union européenne réfléchit à son avenir et doit rester ouverte à ceux qui, sur notre continent, souhaitent adhérer à ce projet démocratique commun, autour de valeurs partagées. Confrontée à des défis majeurs, l'Union européenne a tout intérêt à la stabilité politique dans la région. Les élargissements en cours relèvent d'une approche prudente, reposant sur une stricte conditionnalité et visant à maintenir une dynamique de réformes.

Notre principal objectif est de mettre l'état de droit au coeur de notre politique d'élargissement : priorité à la bonne gouvernance, aux réformes judiciaires, à la lutte contre la corruption et la criminalité organisée, ainsi qu'aux réformes de l'administration publique. Les défis sont nombreux : renforcement de la liberté d'expression, consolidation de la stabilité économique et politique, soutien à une croissance durable, coopérations régionales et relations de bon voisinage. Les problèmes bilatéraux doivent être résolus dès qu'ils se posent, afin de ne pas ralentir ou bloquer le processus d'élargissement.

La Croatie démontre combien le processus d'adhésion est porteur de transformations. Grâce à l'application d'une stricte conditionnalité, elle est arrivée bien préparée au stade final. La France a été un soutien actif et a fourni beaucoup d'expertises techniques. Le rapport de suivi complet d'octobre 2012 estime que la Croatie a progressé dans tous les domaines, notamment dans les chapitres où le degré d'alignement sur les règles de l'Union était déjà élevé. Il juge que des efforts supplémentaires sont toutefois nécessaires sur certains points, notamment la concurrence (chapitre 8), les droits judiciaires et fondamentaux (chapitre 23) et les questions de justice, liberté et sécurité (chapitre 24).

Nous avons indiqué quelles étaient les actions prioritaires sur lesquelles la Croatie devait se concentrer. Je ne doute pas que le pays sera prêt à devenir membre de l'Union au 1er juillet 2013. Les gouvernants croates, que j'ai rencontrés récemment, travaillent activement pour répondre aux demandes de la Commission européenne. Cette dernière continue à suivre la préparation de l'adhésion en Croatie et publiera son dernier rapport de suivi au printemps 2013. Nous attendons avec impatience la ratification de la France.

En Serbie, le gouvernement tient son engagement de poursuivre la trajectoire européenne. Les bonnes intentions doivent désormais être traduites dans les faits. La dynamique des réformes a été revigorée, notamment en matière d'État de droit. En ce qui concerne le Kosovo, les récentes évolutions sont encourageantes. Les rencontres entre les premiers ministres serbe et kosovar le 19 octobre puis le 7 novembre ont préparé la mise en oeuvre de l'accord de gestion intégrée des frontières ou IBM. Une troisième réunion était prévue aujourd'hui même avec Catherine Ashton à Bruxelles. Nous espérons qu'elle débouchera sur des résultats concrets. La Serbie doit appliquer tous les accords qu'elle a signés et s'engager de manière constructive pour régler les divers problèmes. Je me suis moi-même rendu à Belgrade le 11 octobre dernier ; lors de leur déplacement du 31 octobre, Mmes Ashton et Clinton ont également encouragé le gouvernement serbe à prendre ses responsabilités. Nous sommes prêts à faire rapport aux États membres quand des progrès suffisants auront été réalisés et quand les relations avec le Kosovo se seront visiblement améliorées. Les critères pour ouvrir les discussions d'adhésion ont été définis par le Conseil en 2011. La normalisation complète des relations doit advenir, pas à pas, durant les négociations.

Dans le cadre du paquet élargissement 2012, la Commission européenne a adopté une communication sur l'étude de faisabilité d'un accord de stabilisation et d'association avec le Kosovo. Le Kosovo est très désireux d'ouvrir les négociations. Cependant, nous avons posé la condition de progrès préalables dans un certain nombre de domaines clés.

La Bosnie-Herzégovine n'a que peu progressé vers les critères politiques que nous lui fixons et manque toujours de structures institutionnelles coordonnées et durables. J'ai apprécié que tous les leaders politiques se soient engagés sur la même feuille de route. Le soutien public à l'adhésion doit aller de pair avec une volonté politique forte. La coalition des six principaux partis récemment formée devrait rendre possible des progrès dans les mois à venir.

La Commission européenne a recommandé, pour la quatrième fois, l'ouverture de négociations d'adhésion avec la Macédoine qui a depuis sept ans déjà le statut de candidat. Il est temps désormais de passer au stade suivant, de consolider les réformes. Le pays s'est bien préparé et les négociations avec l'Union européenne doivent permettre de progresser sur l'état de droit, la lutte contre la criminalité organisée, les relations interethniques. Le statu quo est de moins en moins tenable, les relations de bon voisinage sont une nécessité. Les recommandations de la Commission européenne ont eu un effet catalysateur, le dialogue avec la Grèce s'est intensifié, notamment sur la question du nom. Les négociations des 19 et 20 novembre derniers, sous l'égide des Nations Unies, ont été constructives. S'agissant du problème bilatéral avec la Bulgarie, les ministères des affaires étrangères des deux pays mènent des discussions concrètes. Nous espérons des résultats positifs.

Le Monténégro a réalisé des progrès continus dans des domaines-clés. Les chapitres « droits judiciaires et fondamentaux » et « justice, liberté et sécurité » seront ouverts plus tôt que prévu. Cependant les efforts devront s'intensifier sur l'état de droit et la lutte contre la criminalité organisée et la corruption. Les examens en cours s'achèveront à l'été 2013.

En Albanie aussi les progrès ont été significatifs ces douze derniers mois, avec des accords entre les partis politiques sur le processus de réforme et des réformes substantielles dans plusieurs domaines. S'il est encore trop tôt pour proposer l'ouverture de négociations d'adhésion, nous souhaitons accorder à ce pays le statut de candidat. L'adhésion est conditionnée à des réformes parlementaire, électorale et administrative, ainsi qu'à des progrès en matière de droits fondamentaux. Il est important de maintenir l'Albanie ancrée dans une perspective européenne pour consolider sa stabilité politique.

La Turquie est un pays clé pour l'Union, de par son économie dynamique, sa situation stratégique et son rôle régional, particulièrement manifeste depuis le début de la crise syrienne. Pourtant le processus d'adhésion est aujourd'hui à l'arrêt. Nous avons mis en place un « agenda positif » pour aider la Turquie à revenir dans la course. Un premier résultat a été obtenu sur la question des visas pour les citoyens turcs, en attendant de les en dispenser complètement. Il est important de relancer les négociations, peu à peu abandonnées faute de consensus entre États membres. Une nouvelle impulsion dans les discussions aiderait la Turquie à avancer et combler ses lacunes persistantes en matière de droits fondamentaux, à commencer par la liberté d'expression. Enfin, il faudra que le pays applique pleinement le protocole additionnel à l'accord d'Ankara à tous les États membres, y compris Chypre. Sur ce dernier point, il est temps de reprendre les négociations, sous l'égide des Nations Unies. Nous sommes prêts à apporter soutien politique et conseils techniques en la matière.

L'Islande répond pleinement aux critères politiques et ses préparatifs d'adhésion sont fort avancés. Les négociations progressent dans un esprit constructif. La prochaine conférence intergouvernementale d'adhésion est prévue le 18 décembre. L'adhésion fait débat en Islande ; l'Union présentera un paquet qui permettra aux Islandais, le moment venu, de se prononcer en connaissance de cause. Nous comptons sur le soutien de la France.

Ma priorité, en prenant mes fonctions, était de tirer les leçons du passé pour que le processus d'élargissement retrouve sa crédibilité. La politique d'élargissement n'est pas crédible si les nouveaux membres doivent rester soumis à des vérifications après leur entrée dans l'Union. La Croatie est le premier pays à se voir imposer les nouvelles règles, sur la base de critères plus exigeants. Les États membres se sont vus octroyer un droit de contrôle accru, et les critères doivent désormais être adoptés à l'unanimité.

Désormais, les critères sont plus rigoureusement appliqués. Ces pays qui ont connu des régimes totalitaires pénibles ne doivent pas seulement adopter une nouvelle législation : ils doivent aussi la faire vivre et nous voulons voir des résultats concrets. La Croatie a tenu ses promesses dans la dernière étape du processus de négociation. Le rapport de suivi a créé un sursaut des autorités croates. Elles ont pris conscience qu'il restait encore des problèmes à régler. Je suis convaincu qu'elles ont la volonté et la capacité d'assumer leurs responsabilités. Le processus de suivi et de contrôle fonctionne. Il prendra fin avec l'adhésion. Je ne doute pas que la Croatie sera prête à assumer ses obligations ; j'espère pouvoir vous l'annoncer officiellement en mars prochain.

Les négociations d'adhésion pour le Monténégro ont été lancées en juin dernier. C'est le premier pays à emprunter le nouveau processus d'élargissement. Les chapitres 23 et 24 étant ceux qui traitent des valeurs et principes de l'Union, nous ne voulons pas attendre : ils seront ouverts dès l'entame du processus. Nous aurons toujours la possibilité, pendant les trois à quatre ans que dureront les négociations d'adhésion, d'introduire de nouveaux critères de référence au sein de ces deux chapitres. Les États membres auront la main : ils pourront accélérer, ralentir, voire stopper le processus si un pays candidat ne tient pas ses promesses en matière d'état de droit.

Nous voulons tirer les leçons du passé, présenter un élargissement crédible, des résultats crédibles, même s'il y a beaucoup à faire dans nos propres pays. Merci de m'avoir invité : il est précieux de pouvoir se parler directement.

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