Je ne suis guère surpris des résultats de ce sondage. Vous avez rappelé que vous en aviez déjà réalisé un, il y a dix ans. Je pense que les observations étaient les mêmes à l'époque, même pour ce qui concerne la hiérarchie des chaînes. C'est pourquoi le thème que j'ai choisi ce matin portera sur l'aptitude au changement du groupe France Télévisions et sur sa gouvernance.
Malgré les réformes intervenues - et il y en a eu toute une série depuis une trentaine d'années - le contenu du débat reste le même et la perception du téléspectateur a peu évolué. C'est cette stabilité, dans un monde qui évolue extraordinairement rapidement, qui pose question. Elle doit nous interpeller à propos du mode de gouvernance et du pilotage de France Télévisions, indépendamment des questions que nous connaissons bien concernant ses moyens financiers, la nature de ses programmes, etc.
Je rappelle que ce qui a beaucoup changé et qui affecte France Télévisions, c'est l'évolution de l'information et la façon dont les Français accèdent maintenant à celle-ci.
Ce qui a également beaucoup changé pour France Télévisions, c'est la nature même des oeuvres diffusées par la télévision et leur importance relative. Le passage de fictions unitaires à des séries devenues des moteurs de l'audience, ainsi que leur perception par les téléspectateurs sont des éléments fondamentaux ; ils introduisent une concurrence supplémentaire pour France Télévisions.
Je ne parle pas du sport, les données économiques de la télévision sportive étant en effet radicalement différentes. Là aussi, la modification est importante pour France Télévisions. Le mode de réception des programmes et la place de la consommation à la demande constituent des changements radicaux, en particulier pour certaines catégories de téléspectateurs. Par ailleurs, la politique de diversification de l'offre télévisuelle de l'État, tout à fait légitime, ne peut qu'affecter France Télévisions.
France Télévisions a-t-il beaucoup changé dans cet environnement ? France Télévisions a, à ma connaissance, engagé deux grands chantiers, qui vont dans le sens d'une adaptation à cette évolution. Ces chantiers sont loin d'être aboutis.
Le premier concerne le rapprochement de ses rédactions, afin de participer à l'évolution. Il s'agit d'un chantier majeur, déjà prioritaire qui remonte à environ quinze ans, et qui est toujours en devenir - même s'il a beaucoup évolué ces dernières années. On peut en féliciter l'équipe actuelle.
Le second chantier concerne l'adaptation des programmes de France Télévisions et du mode de diffusion au réseau Internet et au réseau numérique. Un effort important a été réalisé, mais il est sans commune mesure avec les moyens financiers que détiennent les autres télévisions publiques. M. Klossa dispose à ce sujet de quelques chiffres assez préoccupants, qu'il nous communiquera tout à l'heure...
En France, comme ailleurs, les grandes chaînes de télévision généralistes ont tendance à considérer l'érosion des audiences comme inéluctable. Or, ce n'est pas indifférent. Il existe de grands programmes fédérateurs et il est important que la télévision publique en propose un nombre important. D'autres programmes, par définition moins fédérateurs, seront affectés par la diversité des sources audiovisuelles et par le morcellement de l'audience.
Il existe à ce sujet trois questions majeures. La première est celle de la capacité de redéploiement des moyens. Je suis de ceux qui considèrent que le problème de France Télévisions est aujourd'hui moins un problème de niveau de moyens que de capacités à les redéployer d'une thématique à une autre, d'une chaîne à une autre ou d'un mode de diffusion à un autre.
Cette difficulté de redéploiement est due à des sources internes, mais aussi à des sources externes. Nous devons, avec votre commission, nous pencher sur le mode de tutelle que l'on exerce sur France Télévisions, la multiplicité des objectifs chiffrés, quantifiés, qui se développent à l'infini. La ministre en a évoqué environ quatre-vingt et il est très difficile, avec un tel nombre, de redéployer et de réaffecter ses moyens. Si je puis me permettre de plaider pour les équipes qui vont venir diriger cet ensemble très important pour notre pays, il faut privilégier l'innovation.
On doit, d'une certaine manière, sanctuariser l'innovation et lui donner les moyens de se développer autour de thèmes majeurs, avant de quantifier les objectifs de France Télévisions. Dans le cas contraire, elle sera immanquablement marginalisée par rapport au respect d'objectifs quantitatifs fixés il y a de nombreuses années.
En second lieu, je suis de ceux qui estiment que les grandes chaînes publiques nécessitent de grands projets fédérateurs, voire de dimension internationale, même en matière d'oeuvres.
J'ai toujours pensé qu'il était très important que le documentaire puisse avoir accès au « prime time ». Certains, qui ont coûté très cher, résultent d'une coproduction internationale et bénéficient d'un fort renom. Il faut créer l'événement sur France Télévisions ! C'est ce qui marque une identité. Aujourd'hui, pour le téléspectateur des chaînes privées, TF1 est incarnée par « The Voice », « Les experts », etc. On ne définira jamais une chaîne en fonction de son pourcentage de documentaires, d'animations...
Il faut que France Télévisions bénéficie de programmes de cette nature. Or, c'est, selon moi, de moins en moins le cas. France Télévisions ne se renouvelle pas assez et n'a pas pris sur certains formats la position de leader qui est celle de nombreuses télévisions publiques autour d'elle.
Par ailleurs, l'érosion de l'audience ne doit pas détourner le groupe public de sa volonté de diffuser de grands programmes fédérateurs. L'équipe de France et le sport en général en fournissent souvent l'occasion ; l'information aussi, on l'a vu malheureusement, lorsqu'elle est tragique. Le divertissement et la fiction doivent se fixer des objectifs non de dispersion, d'étalement, ou de nombre de programmes, mais de programmes qui perdurent dans les mémoires.
Enfin, on le voit à travers cette enquête, France 3 a perdu son identité pour les téléspectateurs. Elle n'est plus la chaîne préférée des Français qu'elle était il y a quinze ans. Pourquoi ? Il est très difficile de combiner deux chaînes nationales ; en outre, l'évolution de l'environnement nous amène aujourd'hui à privilégier la régionalisation de France 3. Plusieurs démarches sont possibles pour y parvenir. Ce n'est pas à moi de vous indiquer la bonne, mais l'aptitude au changement de France Télévisions doit aussi se mesurer dans sa capacité à réformer France 3. La nouvelle organisation territoriale constitue une occasion de mettre en oeuvre une telle orientation.
Le pilotage de l'État ne doit pas être facteur de conservatisme - ce que l'État ne souhaite d'ailleurs pas - du fait de sa multiplicité et des contraintes qu'il crée, mais il doit, au contraire, inciter France Télévisions à innover.