Intervention de Michèle Reiser

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 4 février 2015 à 9h30
Table ronde sur l'avenir de france télévisions

Michèle Reiser, réalisatrice, productrice et auteur de films de télévision :

ancien membre du CSA, réalisatrice, productrice et auteur de films de télévision. - Je vais en effet modestement vous parler de culture.

Dominique Wolton a rappelé que l'élite méprisait la télévision. Or, la télévision publique a pour mission, depuis ses origines, de proposer une offre culturelle, libérée des contraintes publicitaires - ce qu'elle est aujourd'hui - visant à permettre au plus grand nombre d'accéder aux oeuvres de la création, souvent réservées à une élite.

C'est en cela, selon moi, que la télévision publique est indissociable de la démocratie. C'est pourquoi je crois nécessaire de penser le projet de France Télévisions au travers du prisme de la culture, car si le projet culturel de France Télévisons transparaît dans les émissions dédiées à la culture, qui représentent un quart de son antenne, suivant un rapport du CSA, il doit également apparaître dans toutes les émissions du groupe, de la fiction jusqu'à l'information.

Parler de culture à la télévision publique, ce n'est pas se limiter à un no man's land d'émissions nocturnes pour connaisseurs, mais revenir à la source d'une ambition qui ne doit pas se démentir, à l'heure où nous avons une conscience aiguë de la nécessité de partager les valeurs communes de notre société. Les événements récents nous permettent de mesurer la place de la culture à la télévision et l'enjeu qui se cache derrière celle-ci.

Un rapport du CSA consacré à l'exposition des programmes culturels sur les antennes de France Télévisions recense ainsi plus de 9 000 heures de programmes culturels sur un total de 35 000 heures diffusées sur les antennes de France 2, France 3, France 4 et France 5. Cette photographie est intéressante, même s'il est toujours possible de définir différemment les catégories de programmes.

Cette exposition correspond aux objectifs fixés par l'article 4 du cahier des charges du groupe, qui précise que France Télévisions doit diffuser au minimum un programme culturel par jour en première partie de soirée sur l'ensemble des antennes, obligation portée à 450 programmes annuels dans l'avenant au contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2011-2013.

D'où vient cette impression que les émissions culturelles ne sont pas assez présentes sur les antennes du groupe ? La catégorisation des programmes dits culturels est assez large - peut-être trop. On peut distinguer ceux dédiés aux arts et aux lettres, comme « La grande librairie », la « Galerie France 5 », « D'Art d'Art », des émissions comme « Ce soir ou jamais », dans laquelle l'actualité culturelle occupe une large part, des émissions de culture contemporaine, comme « Alcaline » ou « Monte le son », des émissions de connaissance et de découverte, comme « Secrets d'histoire » ou « Thalassa ». En fait, 73 % des émissions dites culturelles appartiennent au genre des émissions de connaissance et de découverte. Ces émissions sont certes de grande qualité et nous apprennent beaucoup, mais ne correspondent pas forcément à la définition stricto sensu d'une émission culturelle.

Viennent ensuite les émissions de culture contemporaine, principalement musicales pour 14 % d'entre elles, alors que 8 % seulement des programmes culturels diffusés sont consacrés aux arts et aux lettres.

Les émissions dites de connaissance et de découverte réalisent souvent des audiences très importantes, se chiffrant en millions de téléspectateurs, alors que les autres types d'émissions peinent souvent à dépasser les 500 000 téléspectateurs. Mais pour un opéra, c'est magique !

Un autre déséquilibre tient aux chaînes sur lesquelles sont programmées ces émissions. France 5, sur le total des 9 000 heures de programmes culturels, en compte la moitié et bien plus si l'on ne considère que l'offre accessible entre minuit et 6 heures, car la programmation tardive est encore souvent la règle décrite par Catherine Clément dans son rapport : « La nuit et l'été ».

Ainsi, 75 % de l'offre dite « arts et lettres » se situe entre minuit et 6 heures. Ce constat n'est pas nouveau ; il n'en demeure pas moins, malgré les efforts importants de l'équipe dirigeante actuelle de France Télévisions, dont le succès en la matière ne doit pas être sous-estimé.

Malgré la programmation de musique classique, d'opéras en première partie de soirée, comme les captations à Orange, et malgré le fait que France Télévisions ait à sa tête un humaniste mélomane en la personne de Rémy Pflimlin, beaucoup de mélomanes et de professionnels de la musique ont l'impression que la musique classique est très peu présente à la télévision. Ce n'est guère étonnant, car la majorité des concerts classiques et des opéras sont diffusés entre minuit et 6 heures.

À ce noctambulisme effréné s'ajoute un manque d'identification dans la grille des programmes de rendez-vous culturels. C'est une façon de fidéliser et d'identifier le téléspectateur. Cela n'existe pas assez et doit, selon moi, faire partie de la révision des obligations de France Télévisions. Le système de points que l'on a mis en place pour le spectacle vivant, cf. l'article 6 du cahier des charges, est insuffisamment efficace. La qualification des émissions à contenu culturel, définie dans l'article 5 est, selon moi, une classification très floue, qui permet de valoriser des émissions qui ne le sont pas forcément.

Aujourd'hui, il existe d'autres mondes que ceux liés à la musique. Des pans entiers de l'art, de la sculpture ou de l'architecture, ne sont pas exposés. La littérature me semble également insuffisamment représentée, particulièrement la littérature pour la jeunesse. J'ai débuté à vingt ans sur France 3, en présentant une émission littéraire pour la jeunesse, qui était diffusée à 18 heures 30, à une heure accessible, toutes les semaines. Je l'ai présentée durant huit ans, soit 300 numéros. C'était une époque où la littérature pour la jeunesse était en plein essor. Aujourd'hui, elle est devenue une littérature à part entière, qui représente un volume très important de la littérature générale, avec des auteurs et des éditeurs de très grande qualité. Il n'est qu'à voir le salon de Montreuil, qui fêtait ses trente ans cette année. Cette littérature intéresse à la fois les enfants, les adolescents et les parents. Elle concerne tout le monde. Or, aucune émission dédiée à la littérature pour la jeunesse n'existe sur les antennes de France Télévisions, ni sur les antennes de télévision en général, depuis que l'émission que j'avais créée, « Des livres pour nous », il y a bien longtemps, a disparu.

Très souvent, les manques que je viens de souligner ne correspondent pas à une crise artistique ou à une désaffectation du public. La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) note ainsi une augmentation de 16,6 % des droits liés au spectacle vivant, qui attire de plus en plus. Les musées ont connu une hausse de fréquentation de près de 40 % depuis 2005. Offrir une vitrine à la culture, c'est aller dans le sens du public, plus que ne le croient les responsables de programmes. Il est nécessaire de donner plus de place aux émissions d'art et de lettres, de ne pas les limiter à une exposition sur France 5 - même si cette chaîne est merveilleuse - mais de leur faire retrouver la lumière du jour.

Le deuxième élément sur lequel je voudrais m'arrêter est la création de Culturebox. Cette plateforme d'actualités culturelles et de diffusion de spectacles témoigne de l'importance du travail effectué ces dernières années pour faire prendre à France Télévisions un virage numérique. J'ai beaucoup aimé ce qu'a dit Dominique Wolton, lorsqu'il a affirmé qu'aucune technique ne déterminera jamais un contenu.

Le volume des investissements dans la captation de spectacles a ainsi doublé sous ce mandat. Cependant, il est regrettable que cette exposition soit réservée au non linéaire, alors que beaucoup de nos concitoyens, notamment les plus fragiles, n'y ont pas forcément accès aujourd'hui.

Il faut instaurer une véritable complémentarité entre le linéaire et le non linéaire, entre captation, recréation et présentation d'oeuvre. Il faut, par ailleurs, apporter des évolutions à Culturebox pour qu'elle constitue une plateforme de retransmission et de programmes culturels plus facilement accessible. Elle pourrait d'ailleurs se développer demain grâce à un partenariat associant les grandes institutions culturelles de notre pays, dans le domaine de la musique, de l'art vocal, de la danse, mais aussi du cinéma. Je pense en particulier au court-métrage.

La disparition récente de Jacques Chancel nous a rappelé le temps où la télévision diffusait des émissions culturelles de qualité, populaires, à des heures de grande écoute. France Télévisions a eu raison de lui rendre hommage - même si l'heure de diffusion de l'émission était tardive, puisqu'elle débutait vers 23 heures.

Il faut rappeler l'importance de ces passeurs de culture qu'ont été en leur temps Pierre Dumayet, Bernard Pivot, Jacques Chancel, et bien d'autres, comme le sont aujourd'hui Frédéric Taddeï, Michel Field - bien qu'il ne soit plus sur France Télévisions - François Busnel et d'autres. Nous avons besoin de ces passeurs, nous avons besoin d'animateurs érudits, qui savent transmettre, nous avons besoin de responsables de programme audacieux qui font la part belle aux nouveaux talents et qui n'ont pas peur d'y amener le public, plutôt que de courir après lui. Il ne faut pas craindre d'exposer la culture, même celle dite « classique », mais qui est totalement contemporaine, à des heures décentes.

Cette révolution culturelle reste à entreprendre. Il faut bien sûr tenir compte des aménagements du cahier des charges, de la question des moyens financiers et du contrat d'objectifs et de moyens, mais c'est avant tout une question de volonté. France Télévisions a une proximité avec le monde culturel qui pourrait permettre une croissance et un renouveau de l'exposition de la culture sur ses antennes. Elle en a la responsabilité. Elle doit faire mentir Groucho Marx, qui disait : « Je trouve que la télévision à la maison est très favorable à la culture : chaque fois que quelqu'un l'allume chez moi, je vais dans la pièce d'à côté, et je lis ». Demain, c'est parce que nous allumerons la télévision que nous aurons envie de lire, d'aller voir un spectacle ou de visiter un musée. C'est une ardente nécessité.

Je citerai pour terminer un grand ministre de la culture, André Malraux, car je pense que la culture est au coeur du projet d'identité de la République, au coeur de l'identité de notre Nation : « La culture ne s'hérite pas, elle se conquiert ». La télévision publique doit aider à cette conquête, qui devient une urgence.

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