Intervention de Simone Harari

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 4 février 2015 à 9h30
Table ronde sur l'avenir de france télévisions

Simone Harari, ancienne présidente de l'Union syndicale de la production audiovisuelle :

J'ai prévu d'aborder le rôle du service public sous l'angle de la création plutôt que sous celui de son financement. Il me semble en effet qu'on a changé de monde, et qu'à travers les débats, c'est la relation entre l'offre et la demande, entre les programmes tels qu'ils sont diffusés et le public qui est remise en question.

Autrefois, il fallait bien sûr informer, cultiver et distraire, et chacun se devait de regarder la télévision pour s'élever. Aujourd'hui, le divertissement a pris le pas sur cette façon de voir. La question de courir après l'audience est également une chose fort ancienne. Chacun sait en effet que la légitimité provient de l'audience, qui est une condition nécessaire, mais en aucun cas suffisante : ce n'est pas parce que l'audience est élevée que l'émission est intéressante.

Ce rapport est tout à fait ambigu et remis davantage encore en question depuis que deux événements ont bouleversé le paysage audiovisuel. Le premier résulte de l'arrivée des chaînes de télévision numérique, qui sont désormais vingt-sept. En outre, la suppression de la publicité a eu pour effet de dégager le financement de France Télévisions, permettant ainsi une plus grande liberté d'offre.

C'est donc la conception du service public qui se trouve malmenée par l'État. Heureusement, le regard que portent les téléspectateurs sur le service public reste extraordinairement positif et favorable. La création, à la télévision, est présente dans l'ensemble des programmes originaux qui sont diffusés. L'avenir de la création audiovisuelle de la France dépend de la télévision publique.

Je voudrais souligner l'importance que représente la création télévisuelle en tant que valeur culturelle. Certes, celle-ci doit beaucoup aux artistes et aux oeuvres, mais il s'agit également de vivre ensemble et d'alchimie avec le public, au sens de ce qui fait une époque, et du rang que tient notre pays dans le monde. C'est en cela que les hommes politiques, qui considèrent que la télévision est juste bonne à se vider la tête, ont tort.

Je suis d'ailleurs ravie qu'un débat sur la télévision publique attire autant de sénatrices et de sénateurs. C'est à la télévision publique que se joue une part importante du climat de la société française, et c'est en cela qu'il faut ne pas la négliger.

La télévision publique joue un rôle social de représentation symbolique du pays, d'imaginaire collectif, mais aussi d'échanges entre générations. Il est certes d'actualité de considérer toutes les modalités d'intégration, mais on débat peu de l'échange entre les générations. À force de voir les chaînes privées se concentrer sur les cibles publicitaires - « la ménagère de moins de 50 ans »... - on finit par se demander, dans un pays où tout est segmenté, quel sera le sujet de conversation entre une personne de vingt ans et une personne de soixante ans, qui n'auront pas lu les mêmes livres, regardé les mêmes films, écouté les mêmes radios, tout en étant segmenté par génération. Si la télévision publique peut parvenir à fournir un centre d'intérêt commun entre générations, elle aura joué un rôle important dans le climat social du pays.

Par ailleurs, toute l'économie de l'immatériel se retrouve dans les programmes de télévision. J'ai tendance à considérer que la télévision de service public, ce sont d'abord les programmes qui sont diffusés par le service public. Toutefois, l'économie de l'immatériel est aussi représentée par tous les droits dérivés, les DVD, la télévision à la demande, les reprises et les ventes à l'étranger. J'ai la chance de produire deux jeux qui réalisent tous les jours la meilleure audience de France 2 et de France 3. Grâce aux présidents de France Télévisions, qui ont soutenu ces formats originaux et les ont considérés comme des créations, France Télévisions n'acquitte pas de royalties à des sociétés étrangères. Ce sont au contraire des pays comme le Japon ou la Slovénie, qui ont recréé nos formats, qui nous en versent. La création à la télévision a donc une dimension politique culturelle, sociale et économique, et devrait constituer un enjeu important.

La télévision publique est par ailleurs devenue responsable d'un rapport clé avec le monde de la création. C'est en cela qu'elle doit aussi se distinguer de la télévision privée. Le secteur privé travaille de manière privilégiée avec quelques sociétés, avec lesquelles il entretient des rapports confiants et professionnels. France Télévisions a toujours considéré que sa mission était de recourir à un grand nombre de producteurs et de sociétés de production, et de pousser à la création de nouvelles entités, comme si le saupoudrage était une garantie de diversité. D'autres modèles visent l'interne et l'intégration verticale entre sociétés audiovisuelles et sociétés de production.

Pour renouveler le vivier de la création, il faut selon moi jouer la carte de la professionnalisation. Seul le service public peut inciter de jeunes scénaristes, de nouveaux réalisateurs ou de jeunes producteurs à entrer dans le jeu, tout en considérant que c'est par leur professionnalisme et non parce qu'ils sont jeunes qu'ils doivent entrer dans la boucle. C'est le service public qui doit réfléchir à garantir ce professionnalisme et cette professionnalisation.

La télévision publique détient une responsabilité clé dans ce domaine par rapport aux autres chaînes. Elle constitue en effet un véritable benchmark dans ce domaine : à chaque fois que le service public prend des initiatives, qu'il s'agisse de diffuser des séries de 52 minutes en prime time, de créer des événements ou des formats, le privé innove. Si France Télévisions baisse la barre, cela ne se produit pas. Il y a donc là un effet d'entraînement doublement vertueux.

France Télévisions joue donc un très grand rôle dans la représentation du réel. La culture, dans le monde contemporain, doit faire une place importante à l'économie ou à la science, qui sont des éléments importants de la culture de notre époque. Il y a quinze ans, une chaîne comme M6, qui ne considère pas forcément que le service public soit sa première mission, a réussi à innover avec « Capital », en économie, ou avec « E = M6 », et a parlé le langage de son public et de son époque dans ces deux domaines, alors qu'on a tendance à voir la culture uniquement dans les domaines les plus classiques. Même si ceux-ci ont leur importance, on ne doit pas se limiter à une seule acception de la connaissance.

De ce point de vue, France Télévisions dispose de peu d'exemples d'innovation et d'intérêt pour ces sujets, qui sont soit traités comme de l'information, soit ignorés parce que ne remplissant pas les bonnes cases.

Il faut dire que le moment est particulièrement compliqué, France Télévisions devant à la fois faire lien et parler aux publics les plus divers. Je redoute le moment où des Français, estimant que la télévision publique ne leur apporte plus rien, décideront de ne plus payer la redevance. Que fera-t-on alors ?

Il est donc très important de parler à tous les publics, afin que chacun trouve une raison personnelle pour regarder des choses qui n'existent que sur France Télévisions. En ce moment, France Télévisions est écartelée entre les deux.

Enfin, Mme Ghali a protesté lorsque M. Wolton a évoqué l'augmentation de la redevance. Je comprends bien que ce n'est pas possible. Il me semble que la première mesure extraordinairement importante que vous pourriez prendre, mesdames et messieurs les sénateurs, serait de mensualiser la redevance, pour la rendre moins douloureuse, comme les abonnements aux opérateurs de téléphonie mobile, à Canal+, etc. Cela permettrait de remédier partiellement à ce sous-financement.

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